Quand les ex-RG pistent les blogueurs

Avant fermeture, son site n'avait reçu que quinze visites.

La tenue d'un blog de lycéens sur les réformes Darcos a valu à un lycée de la banlieue parisienne la visite de deux policiers : l'affaire, ubuesque, remonte à début janvier, mais il aura fallu l'intervention d'un élu de Bry-sur-Marne et d'une journaliste du Parisien pour que l'information commence à émerger.

En décembre dernier, au plus fort des grands mouvements de manifestations menés contre les réformes Darcos, deux jeunes élèves du lycée Paul Doumer du Perreux-sur-Marne mettent en ligne un blog, " CIL94170 ", CIL pour Comité indépendant lycéen.

Leur objectif : relayer les informations relatives aux manifestations lycéennes et à la réforme Darcos en général. Rien de bien révolutionnaire : le site reprend quelques articles parus sur le sujet dans la presse nationale, confronte différents points et annonce les dates des prochaines manifestations.

Point d'injure ni de propos diffamatoires, pas d'appel à la haine ni au rassemblement... Rien, en somme, qui puisse porter atteinte à la sûreté de l'Etat. Le blog n'aura d'ailleurs en tout et pour tout qu'une quinzaine de visites, c'est dire son influence !

Le 2 janvier, une journaliste du JDD interviewe Stéphane*, 15 ans, par téléphone. Suite à cet entretien, cette journaliste publie, le 4 janvier, un article dans lequel elle présente les deux blogueurs comme les instigateurs d'une manifestation organisée à Sèvres-Babylone :

" A Paris, une manifestation est ainsi prévue jeudi, à 14 heures, au métro Sèvres-Babylone, à l'initiative du comité indépendant lycéen 94, créé pendant les vacances scolaires par des élèves du Val-de-Marne. "

Deux agents des RG se présentent au lycée

Le lendemain de la publication de cet article, la proviseure du lycée Paul-Doumer du Perreux-sur-Marne, dans lequel sont scolarisés les deux adolescents, reçoit la visite de deux agents qu'elle dit s'être présentés comme de la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur, ex-renseignements généraux).

Motif invoqué de cette visite : il y aurait au sein du lycée deux agitateurs qui fomenteraient une micro-révolte. Les deux policiers s'enquièrent des situations professionnelles, adresses et coordonnées téléphoniques des parents des deux blogueurs. Puis se saisissent du dossier scolaire des lycéens, après avoir posé un certain nombre de questions quant à leur scolarité et à leur comportement au sein de l'établissement.

Suite à cette visite, la CPE (conseillère principale d'éducation) du lycée convoque les deux élèves pour les informer de la situation. Indignés par " cette atteinte préoccupante à la liberté d'expression et au droit d'opinion, pourtant posées comme libertés fondamentales par notre Constitution ", les parents de Stéphane tentent alors d'obtenir l'identité des mystérieux visiteurs, en vain.

La proviseure, prudente, souhaite garder le silence. Et les courriers adressés par la mère du jeune homme et par Johan Ankri, conseiller municipal PS de Bry-sur-Marne (commune de résidence de Stéphane) au ministère de l'Intérieur restent sans réponse.

Hélène Bréault, journaliste à l'édition Val-de-Marne du Parisien, tente à son tour d'entrer en contact avec le ministère. Ses interlocuteurs affirment être certains que les deux prétendus policiers ne sont pas membres de la DCRI. Finalement, après de nombreux appels, il s'avèrera que les deux agents sont issus de la SDIG (Sous-direction de l'information générale, également issue des RG). En effet, selon Laurence Wittek, chargée de communication auprès du Sicop, service en charge de la communication de la police :

" L'attention de ces agents s'est portée sur ce blog car tout ce qui touche aux manifestations et à la sécurité publique entre dans leur champ de compétences. Leur intervention s'inscrit dans le cadre de leurs missions habituelles de surveillance et de suivi des mouvements de manifestations. "

" Une tendance de plus en plus liberticide de la part du pouvoir en place "

Pour Stéphane et ses parents, on a affaire à une véritable tentative d'intimidation, doublée d'une atteinte à la liberté d'expression. Le conseiller municipal Johan Ankri, quant à lui, y voit une confirmation de la " dérive liberticide du pouvoir en place ".

Les pressions semblent d'ailleurs avoir eu l'effet escompté : le blog a été fermé il y a quelques semaines par le co-auteur, sous prétexte d'un nombre insuffisant de visites.

L'élu PS et les parents du jeune homme craignent surtout qu'il ne soit désormais fiché sur EDVIRSP (anciennement fichier EDVIGE), qui recense les personnes " dont l'activité individuelle ou collective indique qu'elles peuvent porter atteinte à la sécurité publique ". Avec le risque qu'une mention dans un tel dossier ne le poursuive tout au long de sa vie et de ses études.

Afin " d'inciter les gens à la vigilance et de les informer pour que ce type de situation de ne reproduise pas ", les parents ont donc fait parvenir un courrier commun au lycée et à la fédération des parents d'élèves, dans l'espoir qu'il soit distribué (ce qui n'a toujours pas été fait à ce jour), au ministère de l'Intérieur et au commissaire à la Jeunesse et aux Sports Martin Hirsh.

Pour autant, si elle lui a fait quelque peu perdre confiance en le système, cette affaire n'a en rien altéré la détermination de Stéphane. Le jeune homme, fidèle à ses idéaux, a ainsi rejoint, quelques semaines après cette affaire, le conseil municipal de sa ville, " afin de s'investir dans un lieu où la parole citoyenne est légitime et entendue ". Et a la ferme intention de lancer un nouveau blog.

* Le prénom a été changé à la demande du jeune homme et de ses parents.

Photo : Manifestation de lycéens à Paris le 16 décembre (Charles Platiau / Reuters)

- Modifié le 16/03/2009 à 19h40 suite aux informations fournies par la police sur le service dont sont issus les agents.

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