Daniel Villareale CPME
Daniel Villareale, président de la CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises) Auvergne-Rhône-Alpes.

"Les chefs d’entreprise ont l’impression d’être dans une écologie punitive"

Daniel Villareale, président de la CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises) Auvergne-Rhône-Alpes.

A l'occasion du plus grand rassemblement de TPE et PME d’Auvergne-Rhône-Alpes - Made in PME - , Daniel Villareale, président de la CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises) Auvergne-Rhône-Alpes revient sur l'importance de ce sorte de speed dating XXL orienté business, qui s’inscrit dans la politique de relocalisation et de réindustrialisation de la région Auvergne-Rhône-Alpes, sur le poids des PME en Auvergne-Rhône-Alpes qui représentent 98 % des entreprises et 30 % de l’emploi salarié.

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Lyon Capitale : En deux mots, à quoi sert la CPME Auvergne-Rhône-Alpes ?

Daniel Villareale : C’est une déclinaison régionale de la principale organisation patronale interprofessionnelle qui assure la représentation et la défense des TPE-PME, professions libérales, artisans et commerçants. Les PME en Auvergne-Rhône-Alpes, c’est 98 % des entreprises qui représentent 30 % de l’emploi salarié. Avec 244 000 adhérents au plan national, la CPME est ainsi la première organisation interprofessionnelle française.

Le 28 mars est organisé la deuxième édition de Made in PME, le plus grand rendez-vous business aurhalpin, avec plus de 6 000 entreprises attendues. Quels sont les objectifs ?

C’est de faire se rencontrer les chefs d’entreprise pour plus de cohésion sur le territoire. Tout seul, on va plus vite mais ensemble on va plus loin, dit un proverbe africain. On travaille mieux ensemble que seul dans son coin. C’est aussi prioriser la région, 4e à l’échelle européenne avec 269 milliards d’euros de PIB, dont le poids économique dépasse celui d’un pays comme la Finlande, et de favoriser l’économie circulaire. La souveraineté n’est pas un gros mot : il ne s’agit pas de protectionnisme mais bien de renforcer et développer nos industries. Made in PME, c’est aussi un accélérateur des opportunités de développement. Pendant une journée, on offre la possibilité de faire le plein de solutions à travers trois grands leviers : les rencontres B to B, l’intelligence collaborative et les centres de ressources et d’expertise ; à titre d’exemple les labos de recherche, autrefois réservés aux grands groupes, qui jouent le rôle de booster. De grands donneurs d’ordre ont aussi confirmé leur venue, avec des interlocuteurs de premier plan, comme les chefs de file du consortium Lyon-Turin, qui a besoin d’avoir un panel de fournisseurs élargi pour la bonne marche du projet, ou la responsable achats d’EDF qui va présenter les besoins déjà identifiés dans le cadre de la future construction de l’EPR 2 sur la centrale du Bugey, afin de recenser et pouvoir rencontrer un certain nombre de fournisseurs pour répondre à l’ampleur de la demande.

“Comme l’a justement dit André Comte-Sponville : ‘L’entreprise sans le profit c’est de l’angélisme, mais sans la morale, c’est de la barbarie’”

Selon un sondage Ifop paru en janvier 2023, 87 % des Français plébiscitent les PME, contre 49 % les grandes entreprises. Comment expliquez-vous cet écart ?

Je pense que le mot patron est très connoté patronat de gestion, un peu mondialisé, financiarisé. Le patron de PME est avant tout entrepreneur, créateur de richesses économiques et d’emploi. À chaque crise, on l’a encore vu pendant la dernière, les petits patrons préfèrent ne pas se payer plutôt que de licencier des salariés, en prenant des risques sur leur patrimoine personnel. On ne parle pas de parachute doré ici ! Les patrons de PME pensent d’abord au bien commun qu’est leur entreprise, à la pérennité de l’outil de travail, avant de penser à ce qu’ils vont pouvoir dégager comme bénéfice. En janvier dernier, la CPME a publié une étude de conjoncture sur la rémunération des dirigeants de TPE/PME : les trois quarts d’entre eux ont une rémunération mensuelle inférieure à 4 000 euros et 20 % gagnent moins que le Smic, pour soixante-dix heures de boulot et un risque personnel accru. Cela permet de remettre l’église au centre du village. Ce sondage permet d’objectiver le fait qu’il y ait deux modèles : un premier, ultra majoritaire, celui d’une économie territoriale, humaine, sociale qui est l’économie PME et, le deuxième, constitué de grands groupes mondialisés, financiarisés, dont la logique est plus actionnariale. Et, c’est vrai, il y a parfois une caricature capitaliste avec une dérive vers une financiarisation de l’entreprise ; comme l’a justement dit André Comte-Sponville : “L’entreprise sans le profit c’est de l’angélisme, mais sans la morale, c’est de la barbarie.”

Le Premier ministre, Gabriel Attal, a expliqué, le 10 février dernier, qu’il voulait faire adopter, avant l’été, la loi Macron 2 visant à “libérer l’activité économique, la croissance et le développement industriel”. Que veut dire au juste l’expression “libérer l’économie”, dont la CPME se revendique aussi ?

Nous, chefs d’entreprise, nageons dans une espèce d’océan administratif qui nous empêche d’avancer, une espèce de millefeuille indigeste qui annihile toute volonté d’entreprendre. En dix ans, tenez-vous bien, on a empilé pas moins de 567 lois, c’est 17 843 articles, 665 ordonnances (12 442 articles) et 7 451 décrets de plus. Les chefs d’entreprise sont sous l’eau, complètement noyés ! Bien sûr qu’il faut des normes mais, à ce stade, on est dans l’overdose et parfois dans l’absurdite aiguë ! Et c’est une spécificité française : il y a, certes, une base européenne, mais en France nous sommes trop souvent dans la surtransposition de la législation européenne, en prétextant qu’on veut être le bon élève et donc en faisant toujours plus.

“Milton Friedman a énoncé un principe selon lequel à 44 %, on était en économie socialiste au sens collectiviste. En France, on dépasse les 45 %. Je vous laisse méditer”

Quelles sont les conséquences de cette “surtransposition” de la législation européenne ?

La compétitivité de nos entreprises, inévitablement. On a 62 codes en France, 62… Il y a un vieil adage fiscal qui dit que “trop d’impôt tue l’impôt”. En matière de norme, c’est pareil : trop de norme tue la norme. Que se passe-t-il concrètement : d’un côté, on vide la baignoire administrative à la petite cuillère, de l’autre côté, on continue à la remplir avec le robinet d’eau ouvert. C’est tout le sens du “test PME” que nous réclamons depuis longtemps et que nous avons proposé au gouvernement. Cette accumulation administrative et la mise en œuvre de lois pas toujours adaptées aux TPE-PME sont une source d’insécurité juridique. La conséquence, c’est que cela ouvre la porte à des réglementations et injonctions contradictoires. La CPME propose donc une mesure frappée au coin du bon sens, le “test PME”. L’idée, c’est de faire évaluer l’impact d’un projet de réglementation par un panel d’entreprises avant son adoption. Il est ensuite évalué en amont et fait l’objet d’un rapport. Si ce dernier n’est pas concluant et aboutit à alourdir de manière inconsidérée la charge normative des entreprises, le dispositif est revu ou abandonné. Élisabeth Borne avait validé le principe en novembre dernier, lors de la journée nationale “Impact PME”, on espère aujourd’hui que son successeur Gabriel Attal s’engagera également à le mettre en œuvre.

Dans son discours de politique générale du 30 janvier dernier, le Premier ministre Gabriel Attal a fixé un nouveau cap, avec les “3 dé” : désmicardiser, avec une baisse des charges “qui pèsent sur les classes moyennes”, débureaucratiser, soit “simplifier les normes”, justement, et déverrouiller “l’accès au travail”. Le RN regrette un “catalogue La Redoute de mesurettes de secrétaires d’État”, LR déplore l’absence de “grandes mesures”. Qu’en retenez-vous ?

Ce qui pèse lourdement sur les entreprises, c’est à la fois les normes, dont nous avons parlé, mais aussi le poids des charges publiques. En France, le taux de prélèvements obligatoires dépasse les 45 %. C’est un bon indicateur de la pression fiscale existante. Après le Danemark, la France est le pays avec les prélèvements obligatoires les plus élevés. Milton Friedman, prix Nobel d’économie, était certes un libéral mais il a énoncé, dans les années 50, un principe selon lequel à 44 %, on était en économie socialiste au sens collectiviste. En France, on dépasse les 45 %. Je vous laisse méditer. Et puis, il y a le poids de la dépense publique dans le PIB qui est aujourd’hui de 58,3 %. L’année dernière, le poids de la dette publique française a dépassé la barre des 3 000 milliards d’euros !

Cette politique de croissance systématique de la dépense publique ne peut-elle, étant donné l’importance de notre endettement public, que s’accompagner de prélèvements obligatoires et donc d’une diminution de la compétitivité internationale ?

Forcément. Dans vos colonnes d’ailleurs, à ce sujet, l’ancien président du FMI, Jacques de Larosière, avait expliqué que la plus grande partie de la dépense publique française servait à payer les fins de mois et non à préparer notre pays pour l’avenir. Le remboursement de la charge de la dette, c’est aujourd’hui le deuxième poste budgétaire après l’Éducation nationale. Chaque fois que le taux d’intérêt augmente, c’est, pour l’État et tous les Français, une charge supplémentaire de plusieurs milliards. Depuis 1975, aucun budget n’a été à l’équilibre. C’est une situation inimaginable pour une entreprise, ou même un ménage, à qui les banquiers auraient depuis longtemps claqué la porte. Il y a donc un vrai travail culturel en France pour alléger ces deux fardeaux que sont les normes et les charges.

Catégoriser les choses, et les gens, en France est un sport national. Par exemple, on dit que la sécurité est de droite – ce qui fait dire au philosophe André Comte-Sponville que cela laisserait entendre que l’insécurité est de gauche. De quel bord est l’économie ?

L’entreprise n’est pas un courant politique. C’est, au final, comme la sécurité, ni de droite ni de gauche. Ce sont des biens communs. Dire que l’économie est de droite est une vision extrêmement restrictive, c’est une vue de l’esprit. Ce n’est pas cohérent, c’est comme si on disait que l’écologie était de gauche. La vision libérale de l’économie est, à mon sens, celle qui permet de conjuguer la liberté d’entreprendre et le respect des droits sociaux comme la sécurité sociale ou la solidarité. L’entreprise est un lieu de lien social, qui crée de la cohésion sociale.

En parlant d’écologie, quelle vision défendez-vous à la CPME ?

En discutant tous les jours avec des chefs d’entreprise, l’avenir de la planète est un enjeu pour tout le monde, je dis bien tout le monde. L’écologie est un problème qui nous concerne tous. Les dirigeants d’entreprise sont conscients de leur responsabilité et de l’impact qu’ils peuvent avoir dans la lutte contre le réchauffement climatique, et ils ont envie d’entraîner leurs équipes. Simplement, je ne pense pas qu’il faille aller à marche forcée. On doit nous proposer des délais raisonnables pour nous mettre à niveau. On ne peut pas changer radicalement les normes en claquant des doigts. C’est impossible et contre-productif pour la rentabilité des entreprises et leur compétitivité. Il ne faudrait pas non plus qu’on mette toute l’économie à plat. Il faut décarboner certes, mais à vitesse raisonnable. Les chefs d’entreprise ont l’impression d’être dans une écologie punitive, avec des contraintes normatives difficilement supportables. Nous prônons une écologie des solutions, de l’action.

La présidente du Centre des jeunes dirigeants d’entreprise parle de “décroissance”. Est-ce la solution ?

Non, je ne le crois pas. Pour trouver des solutions à la nécessaire décarbonation de notre économie, cela doit passer par l’innovation, la recherche et l’investissement qui ne peuvent d’ailleurs être financés que par la croissance. Aller expliquer à une bonne partie du monde qui est en plein développement que la décroissance est utile pour la finitude du monde est lui manquer de respect. Il n’y a que la croissance qui permet de sortir de la pauvreté. Heureusement qu’il y a de l’investissement, de la prise de risque parce que, derrière, il y a de l’innovation qui finance des vaccins et qui sauve ainsi des gens, une agriculture qui permet de nourrir le plus grand nombre, des infrastructures qui permettent de rendre l’eau potable, etc. Au lieu de viser la décroissance, un autre modèle est possible, celui du développement durable qui repose sur trois piliers : l’environnement, la société et l’économie.

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