Hôtel de ville de Lyon
Hôtel de ville de Lyon © Romane Thevenot

Habiller ses agents de made in France, le prochain défi de la Ville de Lyon

Malmenée en début d’année après l’achat en urgence de 450 doudounes fabriquées au Bangladesh, la Ville de Lyon cherche désormais à faire évoluer le code des marchés publics. L'objectif, acheter des habits fabriqués en France, mais le chemin est complexe.

Casquettes, costumes, tenues de jardinages… en début d’année les habits portés par les agents de la Ville se sont retrouvés sous le feu des projecteurs et des critiques en ce qui concerne un lot de doudounes. Forcement lorsqu’une collectivité dirigée par un exécutif écologiste équipe ses salariés avec des vêtements fabriqués à plusieurs milliers de kilomètres, comme au Bangladesh, cela fait réagir. Les agents dans un premier temps, mais aussi l’opposition, les Lyonnais et les professionnels du textile installés dans la région. 

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Force est de constater que deux ans après la signature de son Spaser (Schéma de promotion des achats publics socialement et économiquement responsables) la Ville de Lyon rencontre certaines difficultés pour tenir sa ligne de conduite. En cause, selon elle, le code des marchés publics édicté par l’État français et que pointe aujourd’hui du doigt Audrey Henocque, la première adjointe au maire de Lyon en charge des finances publiques. 

Dans un courrier adressé mi-mars au ministre de l’Économie Bruno Le Maire, Grégory Doucet pressait ainsi l’État de "peser de tout son poids pour faire évoluer le cadre européen de la commande publique", afin de privilégier les modes de production textile au sein de l’Union européenne et en France. Dans un entretien accordé à Lyon Capitale, Audrey Henocque confie son souhait de voir apparaître des critères de proximité dans les marchés publics textiles, tout en appelant les fabricants locaux, qu’elle doit rencontrer prochainement, à répondre à ses appels d’offres. 

La mairie de Lyon a semblé très frileuse au moment de la polémique des doudounes, refusant dans un premier temps de s’exprimer. Pourquoi ?

Audrey Hénocque. C’est un sujet qui est très complexe à expliquer, il y a peut-être eu une maladresse de communication de notre part. Nous étions sur un marché datant de 2019 et lorsque la commission d’appel d’offres attribue un marché à un attributaire nous sommes dans l’obligation de commander auprès de lui. Au final, seule la question du prix est ressortie dans la presse, alors que le sujet est beaucoup plus vaste. La gamme de produits nécessaires (les casquettes, les maillots, les vêtements de travail …) est telle que les seuls à répondre à nos marchés publics sont des fournisseurs. 

"Ce serait le minimum de mettre en place une clause d’achat français, mais de ce côté-là on essuie plutôt un refus du gouvernement"

Audrey Hénocque, première adjointe au maire de Lyon

Ensuite, le deuxième problème avant celui des prix, c’est tout simplement le code des marchés publics lui-même. Aujourd’hui, il ne nous permet pas de préciser l’origine des produits et donc nous n’avons pas le droit de dire que l’on veut acheter des produits français, plutôt que des produits venus du reste de l’Europe ou en dehors. 

Audrey Henocque, la première adjointe au maire de Lyon. (Crédit AFP / Olivier Chassignol)

Aujourd’hui, c’est donc une utopie pour une collectivité d’équiper ses agents de vêtement made in France ou made in Europe ? 

C’est extrêmement difficile. Cela peut être le cas pour certains produits, mais pas pour une gamme très étendue. En tout cas en l’état actuel du code des marchés publics, qui est assez contraignant. Mais ce n’est pas impossible. C’est pour cela que l’on a décidé de s’atteler au sujet et que je lance depuis notre commission d’appel d’offres du 21 mars un véritable plan d’action au sein de la Ville, pour améliorer au fur et à mesure des années qui viennent la commande des vêtements de travail et du textile en général. 

Le nouveau marché textile qui vous a été présenté le 21 mars répond donc cette fois à des critères socialement et économiquement responsables ?

J’ai eu une présentation d’un nouveau marché textile en quatre lots. Je me suis rendu compte que le service avait mis en oeuvre des exigences de développement durable et de label très intéressantes. Une grande partie des vêtements sont issus de produits recyclés et peuvent l’être à la fin de leur vie, il y a donc une amélioration. En revanche en me penchant sur leur origine j’ai réalisé que beaucoup venaient encore de l’extérieur de l’Europe, d’Asie, du Maghreb ou encore de Madagascar. C’est quelque chose qui nous pose problème à nous écologistes en raison de la manière et des conditions humaines dans lesquelles sont produits ces vêtements.

Le changement n’est donc pas pour tout de suite…

Il faut savoir que les services avaient commencé à travailler sur ces marchés il y a près d’un an. Je ne peux pas dévoiler les attributaires, mais sur un des lots nous n’avions par exemple qu’une seule offre de fournisseur et quand on en a plusieurs ils sont tous du même type. Aujourd’hui, nous avons des fournisseurs, parfois français, qui se fournissent auprès d’entreprises souvent françaises, mais qui produisent à l’étranger. 

"Les entreprises locales qui nous ont dit la Ville de Lyon ne nous achète pas nos produits, on peut aussi leur répondre qu’elles ne postulent pas à nos marchés publics"

Audrey Hénocque, première adjointe au maire de Lyon

Sur ce marché, nous aurons donc des produits issus de l’extérieur de l’Europe. Toutefois, nous avons décidé de le limiter à deux ans. Ce qui veut dire que dans six mois on va se remettre au travail pour trouver une offre qui répond à nos critères. Parce que les entreprises locales qui nous ont dit la Ville de Lyon ne nous achète pas nos produits, on peut aussi leur répondre qu’elles ne postulent pas à nos marchés publics. C’est dans ce sens que cela se passe normalement. 

Lire aussi : Doudoune gate Lyon : "Il est de la responsabilité des acheteurs publics de prendre en compte la RSE"

Dans deux ans, l’objectif est donc de travailler avec un fournisseur qui propose des produits 100% français ? 

100% français je pense qu’à court terme cela va être très compliqué parce qu’il y a des produits que l’on ne trouvera peut-être pas en France.

Vous seriez donc prêts à augmenter votre budget afin d’acheter des produits de fabrication française ? 

On le fait déjà, c’est pour cela que j’ai trouvé la polémique des doudounes un peu injuste. C’était fort de café de nous dire que les écologistes ne sont pas écolos, alors que sur le marché de la restauration scolaire on assume d’avoir plus 20% de coût, c’est énorme. Cela nous coûte à peu près 10 millions d’euros par an pour acheter plus local et plus bio et on passera à 12 millions d'ici la fin du mandat.

Le prix ne serait donc qu’"accessoire" et le fond du problème imputable à l’État ? 

Le gouvernement a annoncé vouloir relocaliser la production en France sur des secteurs stratégiques comme l’armement ou la santé, mais nous on demande à ce que cette politique soit aussi appliquée sur des filières indispensables au quotidien des Français. Nous avons absolument besoin que l’État agisse. Car si le textile porté par les agents des collectivités de France vient d’en dehors de l’Europe, c’est parce que toutes les externalités négatives de ces modes de production, qui endommagent la santé humaine et l’environnement, ne sont pas dans le prix. 

"On a des marges de manoeuvre, mais vu le volume, la complexité et l’équilibre budgétaire on ne peut pas avoir 100% de l’achat totalement durable tout de suite"

Audrey Hénocque, première adjointe au maire de Lyon

Il y a donc un travail à faire sur les frais douaniers et le calcul de la taxe carbone sur les produits importés d’Asie ou d’ailleurs. Dans un second temps, l’idéal ce serait vraiment de pouvoir écrire sur un marché public que l’on souhaite des produits qui viennent de France.

Vous avez évoqué le sujet avec le ministre de l’Industrie lors de son passage au salon Global industrie de Lyon. Est-ce qu’il vous est apparu ouvert à la création d’une clause d’achat français ? 

Il était d’accord sur le fait qu’il faudrait relocaliser plus de production en France. Par contre quand j’ai évoqué la possibilité que le code des marchés publics nous permettent de mettre une clause d’achat français, là il m’a semblé très réticent. On est en plein dans la logique de la concurrence libre et non faussée. Le gouvernement est libéral sur le plan économique, donc il ne veut pas dresser des barrières au niveau des importations. Ce serait prendre le risque de voir les autres états de l’OMC [Organisation mondiale du commerce, NdlR] faire de même sur nos exportations. Si le gouvernement était volontariste, il pourrait faire évoluer le code des marchés et nous donner plus de leviers pour un achat plus durable. 

Finalement, tant que l’État ne bougera pas, votre champ d’action restera limité…

On lance justement ce plan d’action pour trouver toutes les solutions nous permettant d’avoir une commande qui corresponde à ce que les fournisseurs et les producteurs français peuvent nous proposer. Par exemple, dans le cahier des charges, on ne peut pas dire que l’on ne veut pas d’un produit qui vient du Pakistan, mais l’on peut écrire que l’on veut des t-shirts faits en coton de chanvre ou en lin. Il n’y en a pas partout, cela restreint donc les possibilités. On utilise un peu le même principe dans l’alimentaire avec les AOP et les AOC. Il faut ruser. 

En tant qu'exécutif écologiste on attend de vous une certaine exemplarité sur ces sujets-là…

On attend de nous que l’on soit exemplaires, mais nous aussi on souhaite être exemplaires. Nous avons conscience, au sein de cette majorité, que les finances publiques peuvent abîmer la planète ou au contraire permettre un développement économique plus sain sur les territoires et respectueux des humains. Alors que dans les anciennes majorités et dans la plupart des collectivités cela est vu comme des sujets d’intendance sans importance. Ce que je peux vous dire aujourd’hui c’est que la commande publique à la Ville de Lyon est déjà bien mieux et beaucoup plus vertueuse qu’il y a quelques années.

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