Dans les réserves du musée d’art sacré de Fourvière
par Guillaume Lamy
Largement ignorées du public, les réserves du musée religieux de Lyon Fourvière est la partie cachée de l’iceberg, l’envers discret mais essentiel de l’institution, où est réalisée la majeure partie du travail, des études, des recherches et de la conservation des œuvres.
C’est une porte qui ressemble à toutes les autres. Si ce n’est la serrure à code et le blindage. Pour cause : derrière, s’accumulent entre 8 000 et 10 000 objets de culte. Ce qui place le musée de Fourvière parmi les plus importants musées d’art sacré en France.
Tableaux, sculptures en bois, boîtes vitrées, gravures, ex-voto, reliquaires, crucifix, ostensoirs, calices, médailles, papiers précieux – dont trois incunables (les premiers livres imprimés) –, broderies et textiles liturgiques. “Il y a deux types d’objets, détaille Manuelle-Anne Renault-Langlois, responsable du musée. Ceux qui concernent la construction de la basilique, environ la moitié, avec des modèles, des plans, des dessins, etc. Ces archives proviennent de la commission de Fourvière. L’autre moitié des collections du musée est constituée de dons (95 %) et d’acquisitions via l’association des Amis du musée de Fourvière (5 %).”
Tout a commencé en 1937, avec le legs par le chanoine Berjat, vice-recteur de la basilique et grand amateur d’art, de sa collection de statuaire de vierges du XVe siècle. Ainsi naissait l’idée d’un musée. En 1962, le musée marial ouvre dans l’ancienne chapelle des Jésuites. Vingt ans plus tard, les collections s’étant considérablement enrichies (notamment grâce à trois donateurs exceptionnels, Michel Descours, Joseph Limbeck et Jacques Polain), le musée d’art religieux est créé avec l’ajout d’une salle d’orfèvrerie. “La collection se complète au fil des ans en se limitant à trois thématiques, illustre Bernard Berthod, conservateur du musée de Fourvière, la piété mariale, l’orfèvrerie liturgique et la paramentique”, cette dernière regroupant l’ensemble des vêtements, coiffes, tentures et ornements utilisés dans les liturgies chrétiennes.
Chaque année, selon les expositions proposées (trois au total), entre 15 000 et 20 000 visiteurs poussent les portes du musée de Fourvière, un établissement privé géré par la fondation Fourvière (reconnue d’utilité publique), propriétaire du site et, plus globalement, du sanctuaire de Fourvière.
Le vol de la couronne En mai 2017, le musée d’art sacré de Fourvière était cambriolé en plein milieu de la nuit. Le casse durait moins de cinq minutes. Les cambrioleurs faisaient main basse sur la couronne de la Vierge, pièce majeure du Trésor de Fourvière, qui rassemble des pièces d’orfèvrerie des XIXe et XXe siècles. Réalisée en or par l’orfèvre lyonnais Armand-Calliat, pesant plus de quatre kilos, elle était enrichie de 1 791 pierres (plus ou moins) précieuses et perles, données par des familles lyonnaises en signe de dévotion à la Vierge, protectrice de la cité. C’était l’une des très rares fois où elle avait été sortie de son coffre de banque, pour être exposée aux Lyonnais, l’histoire de la ville étant intimement attachée à Marie. Plus que sa valeur sonnante et trébuchante – un peu plus d’un million d’euros –, son importance résidait dans sa valeur sentimentale, inestimable. “On a volé l’âme de Lyon !”, entendait-on au lendemain du cambriolage.
Cinq ans après le vol du joyau, des familles lyonnaises se mobilisaient pour offrir à la Vierge une nouvelle couronne. Réalisée en argent par le célèbre artiste géorgien Goudji, elle est résolument plus sobre et moderne et vient témoigner du lien fort et infaillible qui subsiste encore aujourd’hui entre Marie et les Lyonnais. Le 1er décembre 2022, une cérémonie historique de re-couronnement a été célébrée en la basilique Notre-Dame de Fourvière par monseigneur Celestino Migliore, nonce apostolique en France.
La couronne de la Vierge
La couronne de Goudji
Vierge à l’enfant dans une couronne de fleurs. Il s’agit d’un tableau tissé par l’ancienne maison Lamy & Giraud (aujourd’hui la maison Prelle), d’après le tableau Vierge à l’offrande de Simon Saint-Jean, exposé au musée des Beaux-Arts de Lyon. @Pierre-Antoine Pluquet
Tableau du peintre espagnol Evaristo daté de 1889 représentant une crucifixion. Cette représentation peu commune veut montrer la puissance de l’évocation de la Crucifixion. En effet, il n’est pas nécessaire de la représenter entièrement pour qu’elle soit comprise. On peut également noter la couleur de la carnation : mélange de gris, beige, rose et vert. Ce choix accentue l’idée de corps mort. Avec le cadrage déroutant, Evaristo installe le regardant au pied de la croix. @Pierre-Antoine Pluquet.
Statue à habiller dite “simulacre”. Celui-ci a été réalisé au milieu du XIXe siècle. Un simulacre peut être habillé en Vierge ou en saint selon ses utilisations lors des processions dévotionnelles (fête du 15 août, fête votive, etc.). Il s’agit d’une utilisation typique du sud de la France. @Pierre-Antoine Pluquet
Masque mortuaire de Pauline Jaricot, lyonnaise laïque et missionnaire, béatifiée au printemps 2022. L’histoire des masques mortuaires remonte à l’Antiquité. À cette époque, l’enjeu n’était pas de réaliser une réplique exacte mais plutôt une œuvre personnalisée, qui aiderait le défunt à traverser l’au-delà. À la fin du Moyen Âge, l’Europe est fortement christianisée et traumatisée par les épidémies. Peu à peu, apparaissent les véritables masques mortuaires créés en moulant de la cire ou du plâtre sur le visage. Cette technique, réservée à la noblesse, permettait par la suite aux sculpteurs de réaliser des portraits réalistes exposés lors des funérailles. Pour les familles, faire réaliser un masque mortuaire permet de conserver un souvenir du défunt lors du meilleur moment de sa vie, c’est-à-dire lors de sa rencontre avec Dieu. Avec l’évolution des mentalités, face à la mort et la popularité croissante de la photographie, au XIXe siècle et au début du XXe siècle, la fabrication de masques mortuaires est progressivement tombée en désuétude. @Pierre-Antoine Pluquet .
Des défenses d’éléphants. Il s’agit d’un ex-voto déposé par le Lyonnais A. Louis de Tannyon, parti au Soudan pour être “directeur général des chasses aux éléphants de son Altesse le Prince Malin”. Le séjour sur place débuta si mal que Louis de Tannyon fit le vœu que “s’il rentrait en France, il rapporterait à Notre-Dame de Fourvière les défenses du premier éléphant tué par lui”. Il tint parole et les déposa solennellement le 22 novembre 1862 à la chapelle de Fourvière. Parmi les autres objets insolites, une peau de serpent (XIXe siècle) envoyée depuis la paroisse Notre-Dame de Fourvière au Burkina Faso, créée par un missionnaire lyonnais. Sur place, un boa terrorisait la population. Il fut mis à mort et envoyé auprès de Notre-Dame de Fourvière, les habitants estimant qu’ils l’avaient vaincu grâce à l’intercession de la Vierge. @Pierre-Antoine Pluquet
Boîte vitrée, reproduction de la Santa Bambina de Milan. Don des sœurs de la Charité de Nevers lors du départ du couvent de Montluzin. Il s’agit d’une structure en bois ouvragé. Le panneau arrière en bois est recouvert à l’intérieur d’un tissu bleu ciel avec au milieu une fleur et une inscription “Ave Maria”. Sur la base, un coussin en satin blanc et un oreiller blanc recouvert de dentelles accueillent la statuette de la Santa Bambina. Celle-ci est richement habillée et la tête est couronnée. Elle porte deux rangées de perles sur la poitrine et de petits bijoux sur le corps emmailloté. La Vierge est dans des langes en tissu et dentelles. Le visage est en cire. Cette statue miraculeuse est vénérée chez les sœurs de la Charité de Milan. Les couples qui ont des difficultés pour avoir des enfants viennent la prier et sont souvent exaucés. La dévotion à Maria Bambina, dans la ville de Milan, remonte à 1007 avec la dédicace d’une église au Mystère de la nativité de Marie. @Pierre-Antoine Pluquet
Une centaine de crucifix datant du XVIe siècle jusqu’au XXe siècle sont conservés dans les réserves. @Pierre-Antoine Pluquet
Ce calendrier-reliquaire du XIXe siècle comprend les 365 jours de l’année, les reliques étant identifiées par de petites étiquettes en papier disposées en épis. Il est couronné d’une relique de la vraie Croix. Technique et matériaux : bois, verre, papier doré, carton, tissu, velours, broderie, fils, paillettes, cire et métal argenté. @Pierre-Antoine Pluquet
Un thabor, c’est-à-dire une estrade servant à surélever et valoriser un ostensoir. En bronze doré, il mesure 155 centimètres de haut sur 79 centimètres de côté. Il provient de la chapelle des sœurs hospitalières des Hospices civils de Lyon à l’Hôtel-Dieu. @Pierre-Antoine Pluquet
Dans la “salle des papiers”, sont notamment conservés trois incunables datant de la fin du XVe siècle ou encore un livre d’heures datant de la fin du XIVe siècle. @Pierre-Antoine Pluquet
Cette chasuble de mère Raphaël de Jésus, représentant une crucifixion, a été créée à l’occasion du cinquantenaire de l’élection comme prieure de mère Raphaël de Jésus. Par son iconographie, elle rappelle la fondation de trois carmels de la région à Oullins, Saint-Chamond et Roanne. Le décor peint est figuré dans un cadre architecturé de style néogothique en broderie d’or. @Pierre-Antoine Pluquet
Sandales liturgiques datant de l’année 1938. Il s’agit de souliers en cuir recouverts de soie et d’une pointure 45. Ils ont été portés par le cardinal Gerlier, archevêque de Lyon (1937-1965). Lorsqu’un évêque célébrait solennellement, il revêtait des vêtements liturgiques de la couleur indiquée par le missel, ainsi que des sandales, des bas et des gants du même coloris. @Pierre-Antoine Pluquet
Vierge à l’Enfant en plomb, peinte au XVIIe siècle. Histoire de cette statue. Lettre de sœur Marie-Antoinette du Carmel de Fourvière adressée au chanoine Berjat le 26 mai 1975 : “Père, en creusant dans notre jardin, la pelle mécanique a retiré cette statuette de plomb de la Vierge très mutilée et dont le pied a été écrasé par la mâchoire de l’engin. Pensez-vous que ce qu’il en reste puisse présenter un intérêt quelconque ? Peut-elle être datée approximativement ? La polychromie a bien résisté au long séjour sous terre. Je regrette de n’avoir pas assisté à l’exhumation peut-être aurais-je pu récupérer le restant du socle ? L’absence des deux têtes est probablement le motif pour lequel la statue a été enterrée. Mais il en est de tout aussi mutilées dans votre magnifique petit musée marial. Aussi, ai-je tout de suite pensé à vous consulter à son sujet : le plomb n’est pas un matériau courant et les longs cheveux sans voile peuvent donner une indication ? “Virgo Mater” Veuillez excuser cette démarche, Père, mais vous savez que j’aime aussi les vieilles choses bien que ne m’y connaissant pas beaucoup et nous serons heureuses d’avoir votre avis.” Éléments de réponse du chanoine Berjat pour sa lettre aux carmélites de Fourvière : “Chevelure très longue = seul signe indiscutable d’une assez haute époque plutôt que début 19e. Hypothèse = statue en alliage à base de plomb (composition ?). 17e siècle. Volontairement mutilée à la Révolution = arrachement des 2 têtes avec des tenailles sans-doute. Conservée par piété et sentiment jusqu’à l’établissement du Carmel à Fourvière en 1853. A ce moment sans-doute, on s’en défait respectueusement en l’enterrant – et très profond.”