Les Eglantiers, sur la colline de Fourvière, l’une des neuf « sections » des jardins ouvriers de Lyon

Comment se revendiquer ville écologiste tout en dégradant un écosystème aussi précieux ?

C'est la question que pose l'association du Jardin des Eglantiers au maire de Lyon (EELV) Grégory Doucet.

La fin des haricots des jardins ouvriers ? Les 99 jardiniers de l'association du Jardin des Eglantiers (le long de la rue du Bas-de-Loyasse et de la montée de l’Observance) en ont gros sur la patate. Et sont vent debout contre le maire de Lyon.

"Un projet mené de manière trop verticale sans co-construction"

Les Jardins des Eglantiers

Dans le viseur : le projet de passage d'une "voie verte grillagée" dans les 2,5 hectares de jardins à flanc de coteau au pied du fort de Loyasse.

"La mairie de Lyon, bien qu'écologiste, projette d'importants travaux de terrassement dans ces jardins afin d'y faire passer une voie verte grillagée, ce qui risque de défigurer à jamais ce poumon vert et d'affecter gravement la biodiversité qu'il abrite."

jardins ouvriers de lyon
Les Eglantiers, l'une des "sections lyonnaises des jardins ouvriers de la ville @Antoine Merlet

L'association regrette que le projet soit mené "de manière très verticale, sans démarche de co-construction avec celles et ceux qui font vivre l'âme de ce lieu."

"Ce projet reviendrait à pratiquer une "écologie de bureau", à cent lieues de la réalité du terrain et de l'intérêt du vivant."

Les Jardins des Eglantiers

"Quand la mairie évoque comme modèle à son projet de voie dite "verte" la High Line de New York et la Coulée verte René Dumont à Paris, c'est oublier de dire que ces deux promenades ont été créées sur d'anciennes voies de chemin de fer désaffectées."

L'association des jardins partagés des Eglantiers enfonce le cou : "comment ignorer l'impact introduit par le trafic piétonnier et de trottinettes sur la biodiversité locale et la tranquillité de la faune sauvage qui vit et se reproduit dans cette zone protégée ? Comment imaginer, ne serait-ce qu'un instant, couper sans raison impérieuse des arbres centenaires et raser des futaies alors même que les spécialistes s'alarment de la baisse continue des populations d'oiseaux et du saccage des haies ?"

"Ce projet d'intérêt général a pour ambition la mise en valeur du patrimoine historique des balmes"

La mairie de Lyon

De son côté, la Ville de Lyon justifie que "le projet de sentiers qui seront réalisés dans le secteur des balmes de Fourvière va permettre de découvrir un grand espace naturel préservé au coeur de Lyon", arguant de "l'intérêt général du projet" qui a pour ambition la mise en valeur du patrimoine historique et végétal des balmes.

La mairie de Lyon rétorque à l'association des Jardins des Eglantiers que suite au lancement des études préalables, "l'heure est à la finalisation du marché de maîtrise d'oeuvre". Une participation citoyenne, poursuit la mairie, est prévue prochainement.

Pour valider le tracé autrement dit.

Mémoire patrimoniale de l'histoire sociale de Lyon

Les Eglantiers sont l'une des neuf sections es jardins ouvriers de Lyon qui constituent la mémoire patrimoniale de l’histoire sociale lyonnaise.

Petit retour en arrière. Année 1916. Lyon, comme l’ensemble du pays, vit à l’épreuve de la Grande Guerre. Le 28 novembre, quelques jours avant d’obtenir son premier poste ministériel des Transports, des Travaux publics et du Ravitaillement, et inspiré des travaux de l’abbé Lemire, le maire Édouard Herriot fait voter au conseil municipal la création de l’œuvre des jardins ouvriers municipaux. En fondant cette œuvre, l’assemblée délibérante lyonnaise cherche à peser sur le cours des denrées qui s’est déjà élevé dans une proportion importante. Peu de temps avant, Herriot avait constitué la Commission des denrées dans le but de permettre un meilleur ravitaillement de la population lyonnaise. L’idée de l’œuvre était donc aussi de donner à l’ouvrier le moyen de pourvoir en partie par son travail à l’alimentation de sa famille.

jardins ouviers de Lyon
Aux Églantiers, les femmes représentent près de la moitié des jardiniers. Parmi ceux-ci, 33 d’entre eux sont retraités et 57 sont actifs. Les membres de l’association sont issus de divers origines et milieux sociaux. Ils représentent ainsi une communauté ouverte à la diversité. Ici Isabelle, Mohamed, Pascale et Élisabeth © Antoine Merlet

Cultiver son jardin

Rapidement, un règlement des jardins municipaux lyonnais est approuvé. La Ville met des terrains en location au prix uniforme d’un franc par an. Le règlement stipule que pour être admis comme sociétaires, les demandeurs devront être français, salariés, habiter Lyon depuis plus de cinq ans, payer au maximum 500 francs de loyer pour leur logement et avoir, au moins, soit un enfant mineur soit un ascendant à leur charge. Chaque sociétaire disposera d’au moins 130 mètres carrés, "soit 100 mètres par ménage, plus 30 mètres par enfant mineur" et devra s’engager par écrit à cultiver lui-même son jardin et ne pas vendre les produits récoltés.

En 1918, on compte 240 sociétaires, qui nourrissent grosso modo 600 personnes. Trois ans plus tard, les jardiniers sont quasiment sept fois plus nombreux pour atteindre le chiffre de 3 615 en 1945, nourrissant, si on prend les valeurs proches de trois enfants par femme en moyenne cette année, plus de 14 000 personnes.

Cabaret et idées révolutionnaires

Si l’objectif premier de ces jardins ouvriers est de cultiver des légumes nécessaires à la consommation du foyer et de profiter des bienfaits du grand air (lutte contre la tuberculose dans les milieux populaires), le but est aussi d’éloigner les hommes des cabarets, où ils dépensaient l’argent du ménage et s’encroûtaient d’alcoolisme, tout en étant plus influençables aux idées politiques révolutionnaires.
"Les initiateurs des jardins ouvriers se proposent de relever progressivement la famille ouvrière en lui donnant des jardins auprès des villes surpeuplées, de lui rendre ainsi plus favorables les conditions de la vie morale et matérielle, de donner une base plus stable au foyer familial de l’ouvrier, de lutter contre l’alcoolisme, car l’ouvrier ne va pas au cabaret que parce qu’il est chassé de chez lui par l’exiguïté de son logement, et contre les idées révolutionnaires, en développant l’initiative et l’amour de l’épargne", peut-on lire dans le Manuel pratique d’économie sociale paru en 1904.

Dans L’Assistance par le travail et les jardins ouvriers en France, paru deux ans plus tard, on peut lire que "l’hygiène morale y gagne tout autant que l’hygiène physique". Son auteur prend l’exemple de madame Chandieu qui, au Congrès international des jardins ouvriers, expliquait que "le plus grand profit de notre jardin, ce n’est pas les légumes que nous n’avons pas dû acheter, ce sont les petits verres que mon mari n’a pas bus". L’historienne Béatrice Cabedoce confirme : "Lieu idéal et naturel de l’ordre social, le petit coin de terre doit permettre, outre les avantages en nature qu’il procure, de moraliser, socialiser la famille, mais surtout contribuer à son épanouissement." Ce que disait ni plus ni moins Édouard Herriot en parlant de l’œuvre "essentiellement moralisatrice" des jardins ouvriers municipaux lyonnais.

jardins ouvriers Lyon
Les Églantiers accueillent régulièrement du public à l’occasion de journées portes ouvertes. En 2022, elles avaient pour thème “Les jardins face au réchauffement climatique”
@Antoine Merlet

Mémoire patrimoniale de l’histoire sociale lyonnaise

À Lyon, plusieurs "sections" de jardins ouvriers sont créées dès 1918 grâce à Philomène Magnin, première élue municipale féminine de Lyon, qui fut baptisée "protectrice" des jardins ouvriers. Le retour des combattants, en 1919, donne un essor considérable aux jardins ouvriers, dont le nombre était très insuffisant. On trouve alors du foncier disponible au pied des forts de Lyon, déclassés à l’époque, entourant la ceinture lyonnaise. C’est donc le long de la rue du Bas-de-Loyasse (et de la montée de l’Observance) que voient le jour les jardins des Églantiers (le nom résulte de la présence de nombreux rosiers sauvages), avec une vue imprenable sur Gorge-de-Loup et les monts du Lyonnais.

Les 2,5 hectares à flanc de coteau au pied du fort (un patrimoine à l’abandon et en état de délabrement, faute d’une affectation et donc d’une réhabilitation par la Ville de Lyon) rassemblent aujourd’hui 91 familles de jardiniers. Si le rôle alimentaire des jardins ouvriers est aujourd’hui devenu secondaire (bien que certains, dont la “sainte trinité” des Églantiers, soient autonomes en légumes), ceux-ci s’étant ouverts à de nouvelles catégories socioprofessionnelles, il n’en reste pas moins que les sociétaires (cotisation de 70 euros par an) ont toujours l’obligation de créer un potager et d’avoir une production.
Volonté de renouer avec la nature, de cultiver ses légumes, les demandes pour avoir une parcelle sont nombreuses. Aux Églantiers, la liste d’attente est d’une vingtaine de personnes, avec un turn-over de six jardiniers en moyenne chaque année.
Ces jardins sont la mémoire patrimoniale de l’histoire sociale lyonnaise.

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