Professeur de SVT dans un collège de Lyon
Claire, professeure de SVT dans un collège de la Métropole de Lyon @Antoine Merlet
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Claire*, professeure de SVT : “l’Éducation nationale a été abandonnée”

Prof depuis une quinzaine d’années, une professeure lyonnaise déplore une “politique du chiffre” dans laquelle s’est perdue l’administration et appelle à remettre de “l’humain” car, pour elle, “systématiquement, le grand perdant, c’est l’élève”.

 Claire (prénom d'emprunt) est professeure de SVT (sciences de la vie et de la terre) dans un collège de la métropole de Lyon. Soumise au droit de réserve des agents de la fonction publique, elle parle à visage couvert. Très attachée à sa mission, Claire est particulièrement critique à l’égard de l’Éducation nationale qui “dysfonctionne”. Prof depuis une quinzaine d’années, elle déplore une “politique du chiffre” dans laquelle s’est perdue l’administration et appelle à remettre de “l’humain” car, pour elle, “systématiquement, le grand perdant, c’est l’élève”.

Lyon Capitale : Vous considérez-vous comme une grande gueule ?

Claire : Moi non. Mais les autres oui.

C’est-à-dire ?

Je dis ce que j’ai à dire, et comme je dis les choses à haute voix et de façon un peu directe, les gens doivent penser que je suis grande gueule.

Faut-il, pour être enseignant, être un peu grande gueule ?

Globalement, dans l’Éducation nationale, il ne faut pas faire de vagues, il faut être un bon petit soldat, faire ce qu’on vous dit et se taire. Je suis professeure dans le public depuis dix-sept ans et j’aime cette mission de service public, donc, je tiens ma langue. Mais quand le système dysfonctionne, ce qui est le cas, je le dis.


“On n’est plus dans la formation de citoyens mais de braves petits soldats”


Quand on parle de crise des professeurs, de quoi parle-t-on au juste ?

Le premier point, ce sont les conditions de travail très difficiles, la charge de travail qu’on a et le travail inutile qu’on nous demande. Le second touche au fait qu’on n’est pas entendu, ni par la hiérarchie ni par les parents. Au point que le nombre de démissions n’a jamais été aussi élevé. En 2020-2021, plus de 2 400 enseignants ont quitté volontairement l’Éducation nationale. Cela ne représente peut-être qu’une partie de l’ensemble des enseignants mais, dans le public, on n’avait jamais vu ça. Le métier n’est plus attractif alors qu’il s’agit avant tout d’une vocation qui dépend... de l’attractivité. Le serpent qui se mord la queue.

Claire, professeure de SVT dans un collège de la Métropole de Lyon @Antoine Merlet

À quel travail “inutile” faites-vous référence ?

Par exemple, pour une sortie, on doit faire des tas de dossiers, il y a tout un charabia, un blabla administratif à remplir. Je ne vois pas l’intérêt. Ça pourrait être plus simple. On a l’impression qu’au rectorat, comme au ministère, ils ont des bureaux avec des portes blindées et que personne ne communique avec personne. Et depuis Blanquer [Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale de 2017 à 2022, NdlR], ça s’est accéléré, on a des injonctions permanentes. Un qui dit noir, l’autre qui dit blanc. Du coup, on fait quoi, violet ? Nous, on est systématiquement prévenu après la presse, après tout le monde. On nous prend un peu pour des pigeons quand même ! Certains de mes collègues, je ne suis pas loin de le penser, estiment qu’ils font tout ça pour qu’on ne se révolte pas, parce qu’on est tellement sous l’eau avec leurs conneries, à changer les programmes toutes les cinq minutes ; dernier exemple en date, le ministre a dit qu’il supprimait la technologie en 6e, dont acte, mais les programmes sont sortis à peine deux mois avant la rentrée. En gros, c’est démerdez-vous ! En juin dernier, suite au suicide de Lindsay, une jeune fille de 13 ans scolarisée en 4e, on nous a dit : “On va tous faire une heure sur le harcèlement scolaire”. Mais ça ne marche pas comme ça. Quand on veut faire quelque chose de bien, ça se réfléchit. Du coup, nous, on ne l’a pas fait.

Comment les choses ont-elles évolué de votre point de vue ces vingt dernières années ?

Dans le mauvais sens. L’Éducation nationale a été abandonnée, notamment parce qu’elle coûte cher et qu’il n’y a pas de rentabilité directe. En fait, la rentabilité indirecte est énorme puisqu’on forme des citoyens. On nous reproche beaucoup de ne pas former à un métier, mais nous on forme à une histoire commune.

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