Crise à Bioforce, l’école de l’humanitaire

L’Institut Bioforce, école des métiers de l’humanitaire, doit faire face aux transformations du monde de l’aide internationale. Pourtant, selon certains membres du conseil d’administration, la présidence et la direction actuelles n’ont pas pris la mesure de l’enjeu. Sur fond de situation financière difficile et d’oppositions entre présidence et direction sur la gouvernance à adopter, une crise a éclaté au sein de l’exécutif de Bioforce. En janvier dernier, elle a abouti à la destitution de l’ancienne présidente, Mireille Guigaz. Mardi 16 juin, le renouvellement d’un tiers du conseil devrait conforter la stratégie du président par intérim, Jérôme Pupat. Sera-t-elle suffisante pour améliorer le dynamisme de l’école et son management ?

L’Institut Bioforce va-t-il connaître un nouveau chapitre dans ce que certains qualifient de crise à la gouvernance de l’association ? L’assemblée générale se réunit ce mardi 16 juin pour renouveler un tiers du conseil d’administration. Parmi les membres qui voient leur place remise en jeu : Mireille Guigaz, ancienne présidente démise de ses fonctions en janvier, favorable d’une réforme profonde de l’école de l’humanitaire. De ce vote pourrait dépendre la pérennité de ce symbole lyonnais. En effet, alors qu’une crise financière et sociale traverse Bioforce, la Fondation Mérieux, partenaire majeure de l’école, porte un regard sceptique sur la situation actuelle.

Réformer Bioforce

L’Institut Bioforce est fondé en 1986 par feu Charles Mérieux, médecin lyonnais, industriel pharmaceutique et instigateur de vastes campagnes sanitaires mondiales. Cette association, aujourd’hui implantée à Vénissieux, est devenue une école des métiers de l’humanitaire à réputation mondiale. Collaborant avec des ONG comme Action contre la Faim, la Croix-Rouge ou Handicap International, elle propose des formations professionnalisantes aussi bien que des parcours post-bac. De par son domaine d’action, la vocation internationale de l’école est très développée. Elle accueille chaque année près de 260 étudiants d’une vingtaine de pays différents.

Or, partout dans le monde, l’humanitaire est en crise. En témoigne la récente crise à la Croix-Rouge, épinglée par l’inspection du travail. Problématiques financières, de gestion des ressources humaines et d’adaptations aux contextes humanitaires d’urgence se posent à toutes les ONG. La petite école de Vénissieux, pourvoyeuse majeure de salariés pour les organisations humanitaires, ne peut pas faire l’impasse sur ces questions. "Certains pays en développement comme la Chine ou l’Inde font de grands progrès en matière d’humanitaire. Le Kenya lance ses propres programmes d’éducation dans le domaine, témoigne un observateur du milieu. Bientôt, ces pays pourront se passer de Bioforce." Au niveau des finances, les comptes sont officiellement positifs. Mais, selon Mireille Guigaz, présidente jusqu’en janvier dernier, "es finances sont très basses. L’Institut a beaucoup de mal à payer son loyer. Je n’ai jamais eu accès aux détails des finances, la direction ne communiquait que les résultats".

En juin 2014, le Conseil d’administration élit Mireille Guigaz à la présidence de l’Institut Bioforce. Le CV de cette figure de l’aide au développement est éloquent. Ambassadrice de la France dans la lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme et auprès d’organisations onusiennes, membre de l’exécutif de fonds d’actions sanitaires, son réseau est international. Rapidement, elle veut s’attaquer à l’état financier de l’école, préconise des réformes en matière de ressources humaines, de management et de transparence de la gouvernance de l’Institut. Elle souhaite aussi nouer de nouveaux partenariats, notamment avec ECHO, l’office d’aide humanitaire de l’Union européenne, deuxième plus grand donateur au monde. Selon la présidente, Bioforce laisse passer de nombreuses opportunités de coopération et les projets les plus complexes à monter sont systématiquement éludés. Mireille Guigaz décide de former un bureau resserré pour "avancer vite". Il est seulement composé d’elle-même, d’un trésorier et d’une secrétaire générale, soit le minimum de ce que veut la loi de 1901 sur les associations. Cette pratique passe mal chez certains membres du CA, notamment parmi d’anciens membres du bureau qui s’estiment mis à l’écart. Un représentant d’une association présente au conseil explique : "On lui a reproché de prendre des décisions sans consulter les membres du CA. Mais cela ne veut pas dire qu’elle ne voulait pas de regard extérieur sur l’institution ou ne souhaitait pas s’entourer pour prendre les décisions."

Le "putsch du 6 janvier"

Le 6 janvier, le conseil d’administration se réunit en assemblée extraordinaire. L’ordre du jour : la révocation du mandat de la présidente Guigaz. Celle-ci est rentrée le 31 décembre d’un voyage en Inde et vient d’apprendre la tenue de cette AG impromptue. La présidente est démise de ses fonctions et Jérôme Pupat, administrateur depuis 9 ans, est élu président par intérim. Dans un communiqué de presse, Bioforce explique que cette destitution vise à "préserver l’Institut d’une crise grave liée à des dysfonctionnements majeurs et préjudiciables dans la gouvernance de l’association". Si la manœuvre s’est opérée selon les statuts de l’association, certains membres du CA n’hésitent pas à parler de "putsch du 6 janvier". Contacté au sujet de la révocation de Mireille Guigaz, le président actuel, Jérôme Pupat, s’en tient aux commentaires du communiqué, mais précise sa vision du rôle du président dans l’exécutif : "C’est le conseil d’administration qui mène les décisions, moi je suis celui qui applique."

Quoi qu’il en soit, les vraies raisons de la destitution de celle qui siège encore au CA de l’association sont ailleurs. "Il y avait des oppositions entre la présidente et le directeur général de l’Institut, Benoît Silve. Jérôme Pupat, le président actuel, en est bien plus proche", explique l’une de nos sources au conseil. "J’ai trop dit ce que je faisais, analyse Mireille Guigaz. J’ai tout mis sur la table, cela a été une erreur. Ne pas consulter le CA, ne câliner personne, ça aussi ce fut une erreur." La transparence dans les affaires de la direction qu’a recherchée l’ancienne présidente semble avoir été un point particulièrement crispant entre les protagonistes.

Une situation interne qui reste tendue

Quid de la suite ? "Nous poursuivons les réflexions stratégiques parallèlement à la transformation du contexte humanitaire", explique Jérôme Pupat. Dans une lettre adressée aux membres du CA le 9 juin, il écrit : "Dès notre arrivée, nous avons décidé plusieurs chantiers conséquents qui ont permis de confirmer la stabilité de l’Institut : audit financier, audit social, réflexion stratégique et de gouvernance." Le représentant de l’association humanitaire que Lyon Capitale a pu contacter précise : "A son arrivée, le nouveau président a soumis un texte pour "tourner la page et affronter les défis". Plusieurs membres du conseil ont demandé à inclure dans le texte la préconisation d’un regard externe sur la stratégie, pour qu’un consultant réalise un audit de la situation. La résolution a été adoptée." Selon le président par intérim, la réflexion stratégique et la mise en œuvre de mesures sociales sont encore en cours, mais les chantiers que le bureau a lancés depuis janvier devraient bientôt être accomplis. Jérôme Pupat ajoute dans sa lettre que sa mission personnelle prendra fin en même temps que ces travaux et qu’il remettra sa démission le 15 décembre 2015.

Pourtant, les défis sont toujours à surmonter. Les craintes sont fondées quant à savoir si l’Institut va les prendre à bras le corps ou se limiter à des décisions de principe. En témoigne notamment l’inquiétude de la Fondation Mérieux, qui reste un partenaire qu’aucun président de Bioforce ne peut s’aliéner. Sa contribution annuelle à l’Institut s’élève à 150 000 euros. Benoît Miribel, son directeur général, a fait savoir que "la Fondation Mérieux, fondateur et membre de droit de Bioforce, est très attentive à l’évolution de la situation. Alain Mérieux [fils de Charles, ndlr] lui-même y accorde une grande attention en ce moment, compte tenu des enjeux". Autre symbole d’un isolement croissant, le fait que plus aucun représentant de la métropole ne siège en assemblée, quand bien même celle-ci est le bailleur de l’école.

Sur le plan social, la situation reste extrêmement tendue. Le 5 mai, les représentants du personnel adressent à Benoît Silve, le directeur général, une lettre dans laquelle ils pointent le mal-être, le stress et la surcharge de travail des employés de l’Institut, et ce de manière exponentielle. Ils déplorent aussi que "les réponses apportées n’ont semble-t-il pas eu les effets escomptés [bien qu’ils aient] partagé avec [la présidence] leurs interrogations, ces dernières années". La lettre, adressée aussi à la Médecine du travail et au bureau du CA, n’a semble-t-il pas été transmise à l’intégralité des membres du conseil.

Ni la crise institutionnelle ni les problèmes de gouvernance ne sont donc terminés, bien que toutes les parties aient appelé à l’apaisement et que Mireille Guigaz ait fait savoir que l’aventure Bioforce était terminée pour elle.

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