Chrétiens d’Irak : “Extinction humaine et civilisationnelle”

Depuis le 10 juin et l’entrée des djihadistes à Mossoul, les chrétiens d’Irak fuient la ville en masse. De 1,2 million en 2004, leur population est comprise entre 300 000 et 400 000 dix ans plus tard. Professeur honoraire de l’université catholique de Lyon et spécialiste des Droits de l’homme, des minorités ethniques, linguistiques et culturelles, des peuples autochtones et des chrétiens d’Orient, Joseph Yacoub nous livre son analyse alarmiste.

Lyon Capitale : La France s’est dite prête à “favoriser l’accueil” des chrétiens d’Irak victimes de “persécutions” de la part des djihadistes de l’État islamique (EI). Est-ce un geste que vous saluez ?

Joseph Yacoub : En agissant ainsi, la France montre à l'évidence sa solidarité et ses liens historiques aux chrétiens d'Irak. C'est assurément positif. Dans le même temps, le problème de la présence des chrétiens en Irak reste toujours en suspens, vu la gravité de la situation, sans précédent dans l'histoire de la chrétienté irakienne.

Donner l’asile aux chrétiens d’Irak, n’est-ce pas aussi, dans une certaine mesure, vider le pays de sa population chrétienne ?
Oui. Il y a ce paradoxe dans l'attitude de la France qui, d'un côté, porte secours à ces chrétiens d'Irak et, de l'autre, participe à dépeupler le pays de cette même population. Cette communauté va de dispersion en dispersion. Certes, ces populations vont s'acculturer à la culture de leur pays d'accueil (États-Unis, Canada, Australie, Europe, Moyen-Orient), mais il y aura également un phénomène de déculturation. Quel sera alors l'avenir de la langue araméenne, celle que parlait Jésus, et transmise de génération en génération depuis deux mille ans ? Il s'agit d'un patrimoine culturel et cultuel universel. C'est dans cette région du monde qu'est né le christianisme, les musulmans ne sont arrivés qu'au Ve siècle. Ce mélange de cultures, de religions et de civilisations a donc toujours existé.

En 2005, vous avez publié un livre intitulé Menaces sur les chrétiens d’Irak. Dix ans après, quel regard portez-vous sur leur situation ?
Mon livre est sorti un mois avant l'intervention américaine en Irak. À l'époque, j'avais mis en garde sur une intervention militaire : le risque de chiitisation du pays serait alors très fort et le danger pour les chrétiens immense. Je ne m'étais malheureusement pas trompé. Dès 2004, les attentats et les attaques contre les églises et le clergé ont commencé, suivies par la guerre civile. Quand on fait le bilan, c'est désastreux. Il y avait alors 1,2 million de chrétiens, soit 6 % de la population. Aujourd'hui, ils ne sont plus qu'entre 300 000 et 400 000. Entre 65 et 75 % de la population chrétienne est partie !

“Les chrétiens vivent là depuis 2 000 ans et il est possible que d’ici peu de temps il n’y en ait plus un seul !”

Existe-t-il un risque de disparition des chrétiens d’Irak ?
Ce n'est pas un risque, c'est LE risque. Ce qui se passe sous nos yeux, c'est l'agonie d'une présence humaine et civilisationnelle très forte. Le risque d'extinction n'a jamais été aussi fort qu'aujourd'hui. Imaginez, les chrétiens vivent là depuis deux mille ans et il est possible que d'ici peu de temps il n'y en ait plus un seul ! Ceux-là mêmes qui ont contribué, depuis que le pays est devenu musulman, au dialogue et à la renaissance arabe irakienne et à sa modernité sont chassés par des ultra-radicaux qui ne veulent pas entendre parler de diversité. Le 17 juillet dernier, ces djihadistes ont marqué les maisons des chrétiens d'un “N” (pour nazaréen, les chrétiens de Nazareth) accompagné de la mention “propriété de l'État islamique”. Cela rappelle de fâcheux souvenirs, aussi bien pour l'Occident que pour l'Orient. On nie leur humanité.

Comment expliquer que cette “extinction humaine et civilisationnelle”, pour reprendre vos termes, se fait dans une indifférence générale ?
Il y a effectivement une extrême timidité dans le discours politiques de la France, et des Occidentaux plus généralement. Cela s'explique par différentes raisons, plus ou moins complexes. Il y a d'abord ce terme de “chrétien” qui dérange un peu dans un pays habitué à raisonner en termes de “citoyenneté” et de “laïcité”. Il y a aussi le fait que cette communauté chrétienne vit un peu en marge sur le plan politique. Pour les Occidentaux, il est donc difficile d'aller plus loin que l'attitude paternaliste et humanitaire.

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