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Les arrière-cuisines du guide Michelin

La bible des guides culinaires serait-elle en train d’opérer un virage à 180 degrés, entre impératifs économiques, marketing mondial pneumatique et mue modernisatrice, façon coolitude ? Bibendum 2.0 ou le passage de l’ancien au nouveau testament gastronomique.

Lorsque la nouvelle est tombée, le 16 janvier à l’heure du dîner, l’électrochoc fut tel qu’on a bien failli s’étrangler. En moins de temps qu’il ne faut pour faire bouillir une marmite, Lyon avait activé le dispositif Orsec sur les réseaux sociaux. Twitter s’enflammait, comme on flambe une crêpe Suzette au Grand Marnier. Le guide Michelin venait de retirer une étoile à Paul Bocuse. La bible retoquait le pape. Le primat des gueules redevenait simple mortel, passant de trois à deux étoiles. In memoriam. Le conclave du “Rouge”, réunion ultrasecrète des inspecteurs Bibendum, en avait décidé ainsi. “Ce n’est pas l’aura médiatique d’un chef, quel qu’il soit, qui définit les classements du guide Michelin”, justifiait la direction du guide, que le journaliste Jean-Claude Ribaut (ex-monsieur gastronomie du Monde, aujourd’hui indépendant) qualifia de “juge de paix de la gastronomie française”. Non habemus papam. Urbi et orbi. Une polémique s’amorce aussitôt. Particulièrement à Lyon, où Bocuse est un emblème au même titre que la tour Eiffel à Paris. La capitale des gueules a la gueule de bois. Les critiques pleuvent sous le ciel tristement étoilé de Collonges. Comment a-t-on osé détrôner celui qui était encensé par le Michelin dans son édition 2019 comme le “trait d’union entre le grand classicisme et la gastronomie moderne” ? Mieux, comme un “épicurien bigger than life”. De mémoire de Bibendum, jamais on n’avait entendu parler aussi cool cours de l’île Seguin, au siège de Boulogne-Billancourt.

Dépoussiérer l’image d’un guide vieillissant

Il faut dire que le nouveau directeur du guide, Gwendal Poullennec, est un quadra bien né et bien dans ses pompes. Lycée Hoche, Essec, un passage chez Ernst & Young puis direction Michelin où il déploie les éditions internationales du guide (Tokyo, Hong Kong, Kyoto et Osaka), avant d’être propulsé directeur du développement digital du guide, de grimper secrétaire général et de finalement succéder, en septembre 2018, au Franco-Américain Michael Ellis. Sa feuille de route : dépoussiérer l’image d’un guide vieillissant pour accrocher les jeunes qui boudent le Michelin, vestige d’une époque révolue. Il faut dire qu’il y a quelques années Jean-Dominique Senard, le grand patron du groupe Michelin, la manufacture de pneus, avait sifflé la fin de la récréation. Selon Livres Hebdo/GFK, les ventes du guide ont dégringolé de 70 % entre 2007 (114 900 exemplaires) et 2019 (43 238). Le guide gastronomique, qui fait partie d’un pôle édition plus vaste (Michelin Travel Partner), n’a affiché un (petit) résultat positif qu’en 2017, après des années de vaches (très) maigres. En cause, la folie culinaire qui s’est emparée de la planète, dont les foodistas (néologisme construit sur le mot fashionista désignant les plus fanatiques des foodies, cette nouvelle race de gastronomes accro – et à crocs – à tout ce qui touche au monde de la cuisine) sont les stigmates. “Nous avons fait de la cuisine une pop celebrity”, écrit Chris Cechin, ex-producteur de Munchies, une série diffusée sur la chaîne de télé Vice. On assiste à une peopolisation des cuisiniers. Les chefs sont devenus des rock-stars. C’est la “bouffe” Instagram. Et puis il y a la concurrence d’autres supports, comme le mastodonte 50 Best que les mass media (CNN ou Le Monde) ont carrément qualifié d’Oscars de la gastronomie. Pour les influenceurs, inévitablement très jeunes, aux milliers de followers, le jugement et la critique gastronomiques passent aujourd’hui par des sites comme La Fourchette ou TripAdvisor.

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