Faut-il avoir peur des écrans ?

Quelques chiffres donnent la mesure du phénomène : 45 % des enfants de 6 à 11 ans consacrent plus de la moitié de leur temps de loisirs aux écrans : télévision, Internet, jeux vidéo, etc. Nos enfants passent 1200 heures par an devant leurs écrans contre 900 heures à l’école (1) et encore moins à discuter avec leurs parents. Ainsi, comme le souligne T. Berry Brazelton (pédiatre américain) dans son livre Points Forts (2) : “Les enfants apprennent plus sur le monde et sur certaines valeurs à partir de leur expérience télévisuelle que par leur famille ou leur entourage”.

Selon une enquête Ipsos effectuée en 2005, parmi les 6-8 ans, un enfant sur quatre a la télé dans sa chambre ! Vers 13-14 ans, un enfant sur deux possède sa console de jeux, son lecteur de CD, et un sur quatre a déjà son propre ordinateur.

Près de 70 % des parents laissent leurs enfants de 8-12 ans surfer seuls sur Internet (enquête CIEM, juillet 2007). Pas étonnant que la plupart des jeunes pensent que leurs parents ne s’intéressent pas à leurs activités sur le Net… Sans compter que chaque utilisation de l’ordinateur (navigation web, messagerie instantanée, forum…) peut présenter des risques. Un enfant sur trois est volontairement ou involontairement confronté à des contenus choquants (IFOP, mars 2005).

Ces chiffres pourraient alerter les parents. Pour l’heure, ceux-ci continuent à se suréquiper : 60 % des foyers français disposent d’au moins six écrans. Les parents se sentent d’autant plus inquiets qu’ils sont parfois “dépassés” par cet univers virtuel.

Les bienfaits des écrans bien “gérés”…

Ce serait pourtant une erreur que de rejeter en bloc les écrans du XXIème siècle. Réelle source de distraction, ils constituent aussi de véritables outils d’information voire d’éducation, soutient Philippe Mérieu, professeur à l’université Lumière (Lyon II) et directeur de la chaîne éducative Cap Canal : “L’écran est une fantastique fenêtre sur le monde, pour peu qu’il soit utilisé avec un esprit critique”, explique l’auteur de nombreux ouvrages sur la pédagogie. Les écrans au service des apprentissages ? Pourquoi pas, si l’on sait prendre du recul face aux images.

On peut aussi arrêter de penser que l’informatique engendre une fracture des générations. Pourquoi les jeunes ne se rapprocheraient-ils pas de leurs parents et grands-parents en les initiant à leur monde virtuel ? C’est ce que suggère Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste, sur son blog (3) : “Acceptez que la socialisation familiale emprunte parfois le chemin inverse de celui qu’elle suivait traditionnellement. Vos enfants sont aujourd’hui des experts dont vous ne devez pas sous-estimer les compétences. (…)Plus vos enfants auront pris le goût précocement à vous communiquer ce qu’ils découvrent, plus ils le feront longtemps et votre relation à eux en sera enrichie”.

Trop d’écrans, n’importe comment... ce qui est à craindre

Ces précisions faites, il ne faut pas nier les risques. De l’avis général, les enfants seuls face aux écrans, sans possibilité de partager leurs impressions avec un adulte, ont tendance à se réfugier davantage dans leur monde virtuel. Ils font souvent le triste constat que leurs parents ne s’intéressent pas à leurs activités, voire y sont totalement hermétiques. “Beaucoup d’enfants qui s’engagent dans les jeux vidéo ont en effet l’impression qu’il s’agit d’une activité incompréhensible aux adultes et dont il vaut mieux ne pas essayer de leur parler”, déplore Serge Tisseron (3).

Et, lorsqu’un enfant est trop “branché” à sa machine, il n’est pas rare que la concentration scolaire, les échanges familiaux et les relations sociales se détériorent. “Les enfants spectateurs doivent aussi être des acteurs. Ils ont besoin de se défouler au jardin, de jouer avec les autres, de faire du vélo, de lire, d’écouter de la musique, et de prendre, tout simplement, le temps de rêvasser. Ce sont les conditions indispensables pour que (les écrans) n’envahissent pas complètement leur imaginaire et ne les cantonnent pas à vivre par procuration”, prévient le psychologue Harry Ifergan, dans son livre Mais qu’est ce qu’il a dans la tête (4).

Attention aussi à ce qui défile sur nos écrans. De la violence télévisuelle (à 14 ans, un enfant qui regarde la télé aura assisté à 18000 meurtres…) aux risques de pornographie et pédopornographie sur Internet, les dangers sont réels et nombreux. “D’autant plus que nos enfants ne distinguent plus vraiment le virtuel du réel : pour eux, ce que montre la télévision est “vrai”. Les choses sont ainsi puisqu’ils les voient.”, constate Philippe Mérieu dans Une autre télévision est possible (5). C’est aussi valable pour les ordinateurs, et notamment pour certains jeux vidéos.

  1. Lettre du ministère de l’éducation nationale. Août 2008
  2. éditions Le livre de Poche.
  3. Serge Tisseron, Blog sur Squiggle. Be. Il est aussi l’auteur de nombreux ouvrages dont Enfants sous influence, Les écrans rendent-ils les jeunes violents ? (Armand Colin, 2000) ; Manuel à l’usage des parents dont les enfants regardent trop la télévision (Bayard Culture, 2004) ; Qui a peur des jeux vidéos ? (Albin Michel, 2008).
  4. éditions J’ai Lu.
  5. éditions de La chronique sociale.
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