François Gaillard, ancien directeur général d'Only Lyon Tourisme (2004-2021), est l'invité de 6 minutes chrono / Lyon Capitale.
"Depuis six ans, les relations internationales de Lyon sont au point mort, l’attractivité est en berne." Le constat, au vitriol, est signé François Gaillard. L'homme n'est pas un bleu puisqu'il a incarné le "Monsieur Tourisme" de Lyon entre 2004 et 2021.
"Depuis 2024, on commence à sentir les effets de cette nouvelle stratégie (des Ecologistes , NdlR), beaucoup plus en repli. Qui nous inquiète parce qu’elle peut durablement changer la performance touristique lyonnaise" poursuit celui qui a, en 2021, fait de Lyon, la 2e meilleure destination européenne des World Travel Awards.
"Stratégie (touristique) de repli"
La "nouvelle stratégie" de l'exécutif écologiste ? "Tournée vers les clientèles de proximité, les marchés européens, qui boude l’avion de manière très claire, qui privilégie les modes de transport doux : le bus, le train, le vélo" avec "un impact sur la destination puisqu’on se prive d’une frange importante de clientèle".
Pourtant, en juillet dernier, le président de la Métropole, Bruno Bernard (Les Ecologistes) jouait la force tranquille sur le tourisme, estimant que "le secteur se porte bien, avec 11 % de nuitées supplémentaires depuis 2019, et un taux d'occupation moyen des hôtels de 71 %".
Les chiffres parlent d'eux-même serait-on tenté de dire. Las, le conseiller métropolitain de l'opposition Pierre Chambon, avait alors lancé à l'adresse du président : "vous ne considérez pas le tourisme comme un levier stratégique de notre territoire, mais comme une simple source de recettes", référence à l'augmentation de la taxe de séjour de 10%.
C'est justement avec Pierre Chambon que François Gaillard, tous deux désormais soutiens déclarés de Jean-Michel Aulas à la maire de Lyon, ont étuidé en détail les chiffres. "La lecture de performances touristiques est bien plus complexe qu’une lecture simplifiée du nombre de nuitées" tacle l'ancien directeur général d'Only Lyon Tourisme. "Et quand on lit uniquement les nuitées, on n’analyse pas la santé globale", persévère François Gaillard, citant les hôteliers qui "savent très bien que les nuitées ne veulent pas dire grand-chose."
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RevPAR m'a tué
Ce qui compte, dixit les hôteliers, c'est le REvPAR, considéré comme le roi de tous les indicateurs clés de performance (KPI) de gestion hôtelière. RevPAR, pour "revenu par chambre disponible", est un baromètre qui aide les professionnels à comprendre leurs performances, en combinant à la fois le taux d'occupation et le tarif journalier moyen.
Si l’hôtel est bien rempli mais brade ses chambres, le RevPAR faible, s’il vend cher mais remplit peu, le RevPAR est faible aussi et si l'hôtel remplit bien et vend au bon prix, son RevPAR est élevé. Concrètement, un hôtel peut afficher plus de nuitées et donc plus d’activité… tout en gagnant moins d’argent.
Le RevPAR, lui, mesure combien chaque chambre rapporte réellement, ce qui permet d’évaluer la santé économique de l’établissement ou d’un marché comme Lyon
Or, à Lyon, explique François Gaillard, ce RevPAR, est "globalement en baisse depuis trois ans, et même depuis l’année olympique de 2024". Et d'ajouter : "C’est une contre-performance pour nous puisqu’il est en retrait de 2% sur 2024 et sur les neuf premiers mois 2025, il est en baisse huit mois sur neuf. C'est très inquiétant."
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La retranscription intégrale de l'entretien avec François Gaillard
Bonjour à tous et bienvenue dans ce nouveau rendez-vous de 6 minutes chrono. Nous accueillons aujourd’hui François Gaillard, bonjour. Bonjour Guillaume Lamy, ancien directeur d’Only Lyon Tourisme de 2004 à 2021. Vous avez fait un détour, en Haute-Savoie, à France Montagnes, et là vous revenez un peu sur Lyon. Vous êtes soutien du candidat à la mairie de Lyon Jean-Michel Aulas. En juillet dernier, la Métropole de Lyon présentait les derniers chiffres du tourisme à Lyon, de bons résultats dont elle se félicitait. Pour vous, les chiffres racontent une toute autre histoire. Est-ce que finalement ce que vous dites, c’est que l’exécutif écologiste ne sait pas bien lire les chiffres ?
Oui, c’est-à-dire que la lecture de performances touristiques est bien plus complexe qu’une lecture simplifiée du nombre de nuitées qui, forcément, évolue dans une agglomération comme Lyon d’année en année. Il ne faut pas oublier que le parc hôtelier évolue, lui aussi, en parallèle. Et quand on lit uniquement les nuitées, on n’analyse pas la santé globale. Il faut aussi analyser le taux d’occupation et le prix moyen auquel on vend les chambres. C’est pour ça qu’on analyse ce qu’on appelle le RevPAR.
Le RevPAR, qui est un peu l’indicateur roi. Le RevPAR, c’est quoi finalement ?
C’est le taux d’occupation mis en perspective avec le prix moyen, qui permet de savoir si l’on vend bien l’hôtel ou pas, et donc d’estimer les évolutions de performance.
Et qu’est-ce que vous dites sur ce RevPAR ? Il y a une contre-performance ?
Nous disons que, globalement, il est en baisse depuis trois ans, et même depuis l’année olympique de 2024. C’est une contre-performance pour nous puisqu’il est en retrait de 2 % sur 2024, ce qui est très inquiétant et ce qui nous a incités à regarder comment cela se comportait sur les neuf premiers mois de 2025. Et sur ces neuf premiers mois, il est en baisse huit mois sur neuf.
Donc c’est contraire à ce que dit la Métropole finalement ?
La Métropole dit qu’il est en progression, mais au mois de janvier. Et on sait très bien qu’au mois de janvier il y a un Sirha, donc mesurer l’évolution par rapport au mois de janvier l’an dernier, c’est évidemment de l’enfumage.
Ce qui veut dire que quand on fait une analyse plus approfondie, finalement la réalité économique est beaucoup moins favorable que ce qui est officiellement présenté ?
Oui. Ce que nous voulons dire, c’est que nous sommes face à une crise du tourisme qui est structurelle et non conjoncturelle, comme on voudrait nous le faire croire. C’est le fruit de six ans de mandat et de stratégies radicalement différentes de la précédente. Depuis six ans, les relations internationales de Lyon sont au point mort, l’attractivité est en berne. Et si nous avons pu, pendant les deux ou trois premières années du mandat, surfer sur la dynamique précédente - la dynamique Only Lyon, très forte notamment au niveau de la promotion internationale - aujourd’hui, depuis 2024, on commence à sentir les effets de cette nouvelle stratégie, beaucoup plus en repli, qui nous inquiète parce qu’elle peut durablement changer la performance touristique lyonnaise.
Vous avez été à la tête d’Only Lyon Tourisme pendant 17 ans. Si on résume la stratégie que vous aviez mise en place et celle mise en place avec l’exécutif écologiste, ça pourrait être quoi en quelques mots ?
Nous avions une stratégie très tournée vers le grand international, tous marchés confondus : marchés matures, longs courriers, marchés émergents, sans tourner le dos à aucun mode de transport — ni l’avion, ni le véhicule individuel. En face, aujourd’hui, on a une stratégie beaucoup plus en repli, tournée vers les clientèles de proximité, les marchés européens, qui boude l’avion de manière très claire, qui privilégie les modes de transport doux : le bus, le train, le vélo. Cela a un impact sur la destination puisqu’on se prive d’une frange importante de clientèle, et à moyen et long terme cela peut être très dommageable.
Est-ce que finalement, comme vous le dites un peu, il y a un décrochage ? Certaines personnes pouvaient en avoir le sentiment. Ce que vous dites, c’est qu’il y a carrément un décrochage de Lyon par rapport à d’autres métropoles européennes ?
Oui. On le voit notamment dans la manière dont Lyon a tiré son épingle du jeu sur les Jeux olympiques : globalement, toutes les destinations urbaines françaises ont réussi à faire une performance historique, sauf Lyon. Et sur la période 2023-2025, toutes les grandes villes - sauf certaines villes écologistes, dont Bordeaux - réussissent à faire progresser leur RevPAR, parfois très fortement : Nice à +21 %, mais aussi Paris, Strasbourg, Lille. Lyon, elle, est en retrait par rapport à 2023 de 5 % de RevPAR, ce qui est énorme, et Bordeaux de 6 ou 7 %.
Comment analysez-vous le contraste entre les chiffres officiels et votre analyse ? Y a-t-il un agenda électoral, ou est-ce simplement que les chiffres sont difficiles à lire ?
Alors, ce n’est pas difficile à lire, il faut juste se donner le temps de le faire, et tous les professionnels l’ont fait. Simplement, évidemment, on ne leur donne pas forcément la parole. Ils sont très inquiets. Ensuite, la volonté, c’est de ne pas inquiéter : ne pas inquiéter le grand public, ne pas trop inquiéter les professionnels, en expliquant que la stratégie menée n’a pas d’impact sur la destination. Les hôteliers, eux, savent très bien que les nuitées ne veulent pas dire grand-chose. Les autres, eux, sont perplexes, parce que le retrait n’est pas que sur la performance hôtelière : il est aussi sur le nombre de visiteurs dans nos musées, en retrait depuis le début de l’année - huit mois sur neuf - de 12 %. Le retrait est aussi visible sur les demandes dans les bureaux d’accueil de l’Office de tourisme, en baisse de presque 18 % depuis le début de l’année. Ce sont donc de nombreux indicateurs qui sont en retrait, et cela, on évite un peu de nous le dire.
