David Kimelfeld président de la métropole de Lyon © Tim Douet

Lyon – David Kimelfeld : “Il faut un développement plus équilibré"

ENTRETIEN – De retour du ministère de la Transition écologique et solidaire où il a présenté la future zone interdite à certains véhicules polluants, David Kimelfeld a répondu aux questions de Lyon Capitale. Le président de la métropole dévoile ses grandes orientations, plaçant le réchauffement climatique, la qualité de vie et le social au cœur des enjeux. Sa réaction au retour de Gérard Collomb ? “Il n’y a aucune raison qu’on ne travaille pas ensemble.”

 

Lyon Capitale : Que retenez-vous de cette présentation des zones à faibles émissions (ZFE) ?

David Kimelfeld : Pour nous, c’est important. Ça marque une étape avec les autres territoires et le Gouvernement. Il y a plus de symbolique aujourd’hui que de choses concrètes. Sans faire d’autosatisfaction, car on a du retard à rattraper collectivement, Lyon a présenté quelque chose de pratique et pragmatique avec sa zone interdite aux camions et utilitaires légers les plus polluants. Il faut qu’on continue d’avancer et qu’on le fasse savoir, car on ne le fait pas assez. Quand j’ai reçu les représentants de la Marche pour le climat, j’ai vu qu’on devait travailler avec eux, mais aussi expliquer nos actions actuelles et à venir.

Peut-on aller plus loin que cette zone interdite à certains véhicules professionnels ?

Ceux qui étaient persuadés du réchauffement, qui étaient avant-gardistes, n’ont pas changé. L’important, c’est celles et ceux qui étaient comme moi, qui regardaient ça de loin, étaient moins sensibles sur cette question, ont pris conscience qu’il fallait accélérer les actions. Par exemple, sur les prochaines années, il va falloir intensifier le réseau de transport. C’est un point où on n’est pas mal dans la métropole de Lyon, mais on peut quand même aller plus vite, faire plus. Je pense à ces moments où on dit aux communes “mutualisez les équipements”, mais il n’y a pas de réseau de transports en commun pour s’y rendre, voire de pistes cyclables. Les enfants demandent à leurs parents de les amener en voiture parce qu’il n’y a rien d’autre, c’est contreproductif. Intensifier les modes de transport, ça demandera des choix, car on ne financera pas d’autres choses à la place. Par ailleurs, j’ai beaucoup aimé ce qu’a dit le président de la métropole de Strasbourg lors de la présentation des ZFE ; pour lui, on peut aller plus loin, mais il faut faire attention à l’impact social de ces décisions.

Refuser d’interdire les voitures des particuliers les plus polluantes, est-ce une décision électoraliste ou sociale ?

On a choisi de porter nos efforts sur les utilitaires et les camions, car d’après les éléments objectifs en notre possession, si on veut être le plus efficace sur les réductions de gaz polluants, c’est ce qu’il faut viser. Interdire les voitures des particuliers, ce n’est pas un problème électoral, c’est un problème d’impact social. Les gens qui ne prennent pas la vignette Crit’air sont les plus modestes. Il faudra sans doute aller plus loin sur la ZFE, mais il faut qu’on mesure et qu’on minore cet impact. Est-ce que ça passe par des primes à l’achat de nouveaux véhicules ? Quand on parle de mille euros, pour une famille modeste qui n’a pas les moyens d’acheter une voiture neuve, ça ne règle pas le problème. Ça peut se régler autrement, en améliorant les alternatives en fonction des usages. S’il n’y en a pas, c’est difficile, voire impossible, d’abandonner sa voiture. Je pense à une infirmière qui habite en périphérie et qui prend son service à 6 heures du matin à la Croix-Rousse : sans voiture, je vous souhaite beaucoup de courage pour être à l’heure !


“Il faut un développement plus équilibré”


N’y a-t-il pas un revers de l’hyper-attractivité lyonnaise ?

Gérard Collomb a beaucoup œuvré sur l’attractivité et effectivement on a accueilli beaucoup de nouveaux habitants, de nouvelles entreprises. Tout ça est très bien et personne ne dira que c’est négatif, mais il faut reconnaître qu’on est arrivé à une accélération de cette attractivité, et il y a un petit décrochage entre cette dernière et certains services qui vont avec, tout ne va pas au même rythme. Il faut être vigilant. Je ne dis pas qu’il ne faut pas plus d’entreprises, mais je pense qu’il faut un développement plus équilibré et qu’on fasse porter un nombre d’efforts, notamment sur les équipements publics, les transports, le développement durable pour qu’on aille plus vite et plus loin.

Lyon pourrait-elle devenir paradoxalement inattractive ?

On doit faire attention que l’écart ne se creuse pas avec, d’un côté, une attractivité très forte, et de l’autre un certain nombre de difficultés qui apparaissent. C’est comme ne pas réagir assez vite face au réchauffement climatique. La contrainte va arriver très vite, car aujourd’hui on a des entreprises qui nous demandent notre trajectoire en matière de qualité de l’air ou quels sont nos projets en matière de transports en commun. Elles veulent attirer des gens qui leur demandent ça, qui viennent avec de jeunes enfants, qui ne veulent plus se servir de leur voiture. Il y a un changement générationnel et pour faire de l’attractivité il faut répondre à ces questions-là désormais.

Des gens s’installent à Meyzieu ou Décines, or les temps de transport s’allongent à cause d’une saturation des secteurs…

Il ne faut pas perdre le bénéfice qui était : “Chez nous, vous avez tous les avantages de Paris sans les inconvénients…” L’un de ces inconvénients, c’est le temps de transport, par exemple, ou le coût du logement en centre-ville. On n’est pas encore au niveau de Paris, mais il faudrait être vigilant. Je lisais récemment que dans le centre de la capitale on ferme des écoles. Les couples avec enfants partent dans la première, voire la deuxième, couronne car ils n’ont plus les moyens de se loger. Il faut qu’on fasse attention à ça, on commence à connaître ce phénomène. Il faut qu’on mette en place des dispositifs pour éviter cette situation, sinon on va rencontrer ce que connaît Paris, y compris des entreprises qui nous diront : on ne veut plus rester dans la métropole de Lyon, car ce n’est plus vivable.

Comment vivre à Lyon avec le réchauffement climatique ?

Il y a une véritable urgence, la situation est dangereuse. On peut faire quelque chose, ça demandera des sacrifices, des investissements par endroits au détriment d’autres. À la rentrée, quand on a fait des visites d’établissements scolaires, j’ai constaté qu’on avait laissé un peu de côté la question des îlots de chaleur. J’ai vu une école à la lisière de Villeurbanne et Vaulx avec une immense cour, très sympa, mais les arbres étaient repoussés en périphérie. Dans dix ou quinze ans, à partir des vacances de Pâques, il fera peut-être la température du mois d’août, donc il faudra penser à ça. On souriait il y a cinq ans quand, dans les concertations, on nous demandait plus d’arbres, d’avoir des canopées. On n’a plus à sourire quand on voit l’accélération du réchauffement. Il faut imaginer les espaces publics autrement, penser à la présence de l’eau en ville, c’est quelque chose qui va devenir crucial, pas parce qu’on va manquer d’eau – pour l’instant – mais parce que c’est important face au réchauffement. Il faut se mettre au travail et les choses avancent bien car ce n’est plus un sujet d’un seul groupe politique. Je pense, notamment, aux Verts. Ils ont souvent été en avance sur ces questions, on les regardait en souriant, mais ils avaient raison avant les autres.

L’écologie plaisir est-elle morte ?

Ça ne peut pas être une écologie purement plaisir, comme ça ne peut pas être une écologie punitive : il faut trouver le juste milieu entre les deux. C’est ce que je disais sur la zone à faibles émissions qui concernerait les véhicules individuels et qui poserait des problèmes sociaux. Entre les deux, on peut trouver un juste milieu. Le développement du vélo en cœur de ville donne une alternative qui n’existait pas il y a trois ans en arrière. Quand vous limitez la place des véhicules en ville, il faut des alternatives à la hauteur.

L’inaction écologique pourrait-elle faire perdre une élection ?

Les choses sont en train de se renverser. Celles et ceux – dont, encore une fois, je pouvais faire partie il y a cinq ans – tétanisés à l’idée de prendre des mesures vont devoir agir, sinon les gens vont nous en vouloir. Il faut faire attention à cette mobilisation citoyenne et spontanée, car, si on ne fait rien, les gens peuvent nous reprocher la situation, nous demander : pourquoi n’avoir rien fait ? Je le vois à l’échelle d’un arrondissement quand on pense à l’aménagement d’un espace public. On nous demande de la végétalisation, d’enlever parfois des places de parking. On n’est pas loin de se faire assassiner si on fait le contraire.

Pourrait-on voir arriver à la tête de la métropole ou de la mairie un candidat qui ne s’intéresse pas à la question du climat ou de la qualité de l’air ?

Il n’y a pas de raison qu’on rate les choses, surtout que les citoyens se mobilisent. Je ne vois pas comment aujourd’hui ça pourrait passer. Quelqu’un qui serait en retrait sur ces questions apparaîtrait comme rétrograde. Dimanche, j’ai croisé Philippe Cochet à Convergence vélo. Certains s’en sont amusé, ont parlé d’opportunité. J’ai répondu que c’était bien qu’il se saisisse aussi de cette question. Je suis transparent : il y a cinq ans, j’étais moins sensible aux vélos, puis j’en ai pris un, je me suis rendu compte que c’était possible de l’utiliser dans Lyon pour mes trajets, comme de prendre les transports en commun. Convaincre les convaincus ça ne fait pas changer les choses.

Le trafic vélo est en plein boom à Lyon, comment allez-vous l’accompagner ?

Ça me réjouit, même si ça m’agace parfois de me retrouver dans des embouteillages de vélos rue de la Part-Dieu (rire). Plus sérieusement, la pratique progresse, mais ça pose d’autres questions. Celle de la qualité des aménagements, sans doute qu’il faudra aller plus loin. Il y a des lieux pas suffisamment aménagés, même si on a beaucoup fait. Se pose aussi la question des services autour, comme le stationnement sécurisé des vélos. Il y a aussi un travail d’éducation et de cohabitation à faire entre les modes de transport. Les cyclistes ont parfois l’impression d’être seuls sur la route, or faire du vélo à la campagne ce n’est pas la même chose qu’en ville. Les associations se mobilisent sur ces questions, comme La Ville à Vélo ou Pignon sur Rue. On va apprendre à cohabiter tous ensemble, vélos, voitures, piétons et nouveaux modes comme les trottinettes.

L’Anneau des sciences, vous y croyez encore ?

Je pense que l’Anneau des sciences est quelque chose d’utile, non pas en se projetant avec un périphérique comme aujourd’hui avec des véhicules, mais il est nécessaire pour mettre dessus des transports en commun, du covoiturage, des modes doux. Sur la durée, on aura encore besoin de voitures qui l’utiliseront, même si l’usage va se transformer. Pour revenir sur le covoiturage, il faut une prime incitative, et ça peut être le gain de temps. Quatre personnes dans la même voiture bloquée dans la circulation sur une voie classique ne vont pas voir l’intérêt de covoiturer. Ce qu’ils veulent, c’est gagner du temps, donc avoir des voies dédiées.

Comprenez-vous les angoisses autour du déclassement de l’A6/A7 ?

Beaucoup de gens ont peur. D’abord, il faut qu’on communique sur ce qu’on va faire, on va bien expliquer ce qui va se passer. Comme c’est nouveau et inédit, les gens ont du mal à se projeter. Ce n’est pas la totalité du trafic qui va disparaître, c’est la moitié, même si ça reste beaucoup. Il faut montrer qu’il y aura un vrai avantage à utiliser les lignes de transport en commun. À part certains, qui le font par geste citoyen, je ne connais personne qui laisse sa voiture si le trajet en transport en commun est bien plus long. Au-delà de faire un acte positif pour la planète, il faut surtout que l’acte soit positif dans son quotidien. Pour laisser sa voiture et prendre les transports en commun, il faut qu’a minima le trajet soit de la même durée.

Pourquoi avoir choisi de vous placer sur la question du climat et du social ?

Je pense que ça ne s’oppose pas à la notion d’attractivité. Je continue de penser que le développement et la croissance sont nécessaires dans cette métropole, qu’il faut continuer d’accompagner les entreprises, mais aussi veiller à ce que celles qui sont là restent. L’attractivité, c’est sur la durée, pas qu’on sorte les trompettes pour dire qu’on a attiré telle entreprise. Sur les questions du développement durable, il faut qu’on soit le plus rigoureux possible, pour que les gens aient envie de rester et pas qu’ils aient le sentiment comme dans certaines métropoles de se dire “on est venu là et ce n’est pas terrible”. Ce n’est donc pas incompatible avec une politique très forte en matière de transition écologique et de sociale. Même les grands patrons ont compris que nous devions avoir une métropole inclusive, c’est-à-dire qui est attentive aux plus fragiles, sinon on aura une métropole qui va perdre en attractivité. Je trouve que ce sont des sujets qu’on doit mener de front.


“Nos visions [avec Collomb] sont parfaitement complémentaires et compatibles, avec des sensibilités différentes”


Ce sont des sujets que vous avez déjà abordés avec Gérard Collomb ?

Il vient juste de revenir, mais on aura l’occasion de le faire. Je le dis de manière claire et transparente à l’extérieur, mais à lui aussi : on a des sensibilités différentes, on n’a pas d’opposition, et c’est ce qui fait, à mon avis, la richesse de nos débats. C’est ce qui fera aussi la richesse d’un programme ou de grandes orientations. La métropole a aussi changé, elle a pris beaucoup de compétences, comme le social ou la santé, et ça c’est quelque chose qui n’existait pas en 2014. On a tout ça en main, on sera face à de grandes responsabilités, il faudra qu’on s’exprime là-dessus. On a vraiment les leviers. Je n’oppose pas nos visions, elles sont parfaitement complémentaires et compatibles, avec des sensibilités différentes, car on n’a pas la même histoire.

Vous partiriez donc sur une même liste en 2020 ?

Au moment où je vous parle, il n’y a aucune raison qu’on ne travaille pas ensemble, à moins qu’on acte un désaccord profond sur un sujet, mais on est très loin de tout ça. D’abord, je n’ai pas gagné une élection contre Gérard Collomb, j’ai pris sa succession, je déroule un mandat qui était le nôtre. On a des perspectives, avec des situations qui évoluent, comme l’urgence climatique qui était moins prégnante en 2014. On a de nouvelles compétences, comme le social, il faut les prendre en compte. Je ne vois pas pourquoi on serait dans un désaccord profond là-dessus, mais c’est une discussion qu’on doit avoir, pas seulement avec Gérard Collomb, avec l’ensemble. Je reste persuadé que nos prochaines politiques publiques se feront dans la concertation et la co-construction avec les habitants. On a une tradition assez forte sur la métropole sur ce sujet. Sur le climat, il faut co-construire, pareil sur les politiques publiques. Je suis de nature optimiste, mais je pense qu’on peut travailler ensemble, ce qu’on a toujours fait, et travailler avec d’autres de manière plus large.

Quelles seront les grandes questions en 2020 ?

Encore une fois, je ne dis pas qu’on doit faire une pause de l’attractivité, mais il faut qu’on soit attentif à comment on gère notre croissance et notre développement pour rester attractif. Les questions sociales, on ne les avait pas, et maintenant les citoyens nous interpellent dessus. Lorsque je fais des réunions publiques, les gens me parlent de mobilité, d’environnement, de qualité de l’air, d’une ville plus nature, d’éducation et de sécurité. Ce sont les thèmes qui reviennent et c’est ceux sur lesquels on devra travailler, sans dégrader l’économie et l’emploi, c’est assez nouveau. Aujourd’hui, vous avez une nouvelle génération qui arrive à Lyon ; quand vous leur parlez du travail fait depuis 2001, c’est de l’acquis pour eux, ils ont besoin de nouvelles perspectives. Il va falloir des choix, car il y a des contraintes budgétaires. Ce qu’on fera de manière plus intense sur le social ou le développement durable, ce sont des choses qu’on ne pourra pas faire ailleurs. Ça fait partie des échanges qu’on doit avoir de manière plus collective. C’est intéressant, je suis pressé de discuter de tout ça. Il faudra affirmer des choses et nos adversaires devront eux aussi se positionner. C’est ce qui fera tout l’intérêt des projets qu’on pourra développer.

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