la piscine garibaldi à Lyon
Piscine Garibaldi à Lyon.

Maîtres-nageurs : la Ville de Lyon veut éteindre l’incendie

Un nouveau protocole va être adopté en conseil municipal ce lundi. Il vise à encadrer l’intervention de maîtres-nageurs indépendants dans les piscines de la Ville, quasi impossible dans deux bassins : Garibaldi et Vaise. La faute à des agents municipaux qui ne sont pas prêts à partager le marché des leçons particulières. Karima dénonce le fonctionnement actuel.

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D'un côté, des usagers toujours plus nombreux à vouloir des leçons particulières. De l'autre, des maîtres-nageurs indépendants désireux d'intervenir dans les bassins de la Ville. Et pourtant, offre et demande ne se répondent pas. C'est une professionnelle free lance, Karima, qui a décidé de dénoncer l'empêchement d'exercer dont elle s'estime victime. Elle a saisi la Licra et le Défenseur des droits. La Ville s'échine depuis à éteindre l'incendie : le conseil municipal de lundi va entériner un nouveau protocole remettant à plat le système actuel.

“Ils m’ont traitée comme si je faisais partie d’Al-Qaida”

Le 15 octobre 2011, après près de dix ans d'expérience professionnelle, Karima avait fait une demande pour intervenir dans les piscines de la ville. Elle a reçu une autorisation pour Saint-Exupéry (Lyon 4e) alors qu'elle visait Garibaldi (Lyon 3e). En attendant mieux, elle a donné des conseils à ses neveux, comme simple usagère. Le prélude à de multiples altercations avec les agents municipaux, et une action policière pour la sortir de l'eau. Depuis, elle a reçu les excuses du responsable de la police municipale. Mais elle ne décolère pas, très marquée. "Ils m'ont traitée comme si je faisais partie d'Al-Qaida", dit-elle, entre deux sanglots (lire page 2).

"J'ai arrêté de travailler à cause de cela", témoigne un maître-nageur aujourd'hui à la retraite. Dans les textes, n'importe quel professionnel peut donner des leçons dans un bassin municipal, à condition de remplir un dossier de candidature et de s'acquitter d'une redevance. Cette intervention extérieure sur le domaine public est similaire à celle des forains ou des maraîchers. Dans les faits, c'est beaucoup plus difficile.

Sous la pression de ses agents, la direction des sports louvoie, bloquant les dossiers dans deux établissements quasi inexpugnables : Garibaldi et Vaise. De fait, ce sont uniquement les maîtres-nageurs municipaux qui y donnent des leçons particulières. "Ils préfèrent encore qu'une clientèle soit sans réponse ou sur une liste d'attente, plutôt que de devoir la partager avec des extérieurs", rouspète un professionnel. Et effectivement, à Vaise, on croule sous les demandes de cours particuliers. "Nous en avons plus de 70 actuellement", nous informe-t-on.

“C’est une petite mafia qui règne dans les bassins lyonnais”

"Ce sont deux piscines où il n'est pas possible de mettre les pieds. Si on s'y présente, on se fait tirer à vue", affirme un maître-nageur indépendant qui, lui, donne des cours via une association. Sous leur parapluie, il est possible de s'introduire dans ces établissements nautiques. Mais ce n'est pas facile pour autant : "Ils nous regardent de travers, comme si on leur enlevait le pain de la bouche." L'un d'eux explique qu'un chef de bassin lui avait refusé le prêt de frites pour un cours d'aquagym. Des vexations qui s'aggravent avec le temps : il est désormais question que tout professionnel extérieur qui intervient depuis le bord du bassin porte le maillot de bain, même en plein hiver. "Nous aurons le droit d'avoir froid et pas eux", ironise un free lance. "C'est une petite mafia qui règne dans les bassins lyonnais", accuse un observateur.

“C’est le beurre dans les épinards”

Un professionnel trouve cependant des circonstances atténuantes aux agents municipaux. Il y a une quinzaine d'années, il était possible pour eux de donner des cours particuliers pendant leurs heures de service : sur certaines plages horaires, ils étaient ainsi payés double ! Ce n'est désormais plus admis. "Ces leçons, c'est le beurre dans les épinards", résume un agent. D'après la Fédération des maîtres-nageurs sauveteurs (FMNS), le salaire net au premier échelon est de 1 134 euros. "Si on veut se loger et se nourrir, c'est nécessaire de donner des leçons", souligne Jean-Michel Lapoux, secrétaire général de la FMNS. Un agent municipal nous explique gagner jusqu'à 500 euros par mois durant l'été, grâce à ces heures supplémentaires. Les dix leçons coûtent 140 euros. On comprend que les fonctionnaires s'échinent tant à ne pas partager un gâteau estimé à 286,5 heures par semaine par la ville de Lyon.

Il n'empêche, sous la pression des professionnels et peut-être des usagers, la Ville va procéder à une réorganisation, mettant tout le monde sur le même pied d'égalité. Le nouveau protocole prévoit une sélection des prestataires extérieurs par la direction des sports, puis l'affectation des candidats retenus à des piscines par tirage au sort. Les coordonnées de ces personnes seront affichées à l'entrée des établissements, à la vue du public. Aucune piscine municipale ne pourra refuser l'intervention de maîtres-nageurs indépendants, dispose le texte.

---> Suite page 2 : l’expérience de Karima

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© Tim Douet

Karima, victime d’une double discrimination ?

Entre crise de larmes et grosse colère, Karima se raconte. Deux années consacrées à son combat qui la mine jour et nuit. Après près de dix ans d'expérience sur la façade atlantique, la Côte d'Azur et même au lac Léman, ce pompier volontaire voulait donner des cours dans les piscines lyonnaises, notamment celle de Garibaldi, où se trouve sa clientèle potentielle. Le prélude à deux ans de candidature, d'altercations et de protestations. "Elle a mis le doigt sur des pratiques ayant cours à la ville, des petits arrangements. Ce sont des gens qui se croient intouchables et qui traitent cette affaire par le plus grand mépris", déplore le porte-parole de la Licra, Patrick Kahn. L'affaire est depuis entre les mains du Défenseur des droits, pour discrimination raciale.

Police à la piscine Garibaldi : la Ville s’excuse

Tout commence en octobre 2011. Répondant à sa demande d'intervention, la Ville lui propose le bassin Saint-Exupéry, qui n'ouvre qu'une heure quarante-cinq les mercredis, jours stratégiques des enfants. Pas vraiment de quoi gagner sa vie. À la fin 2011, elle commence à dispenser des conseils à ses neveux, s'acquittant de son ticket d'entrée comme n'importe quel usager, à Garibaldi. Le 29 novembre, une première altercation se produit avec deux maîtres-nageurs qui ne goûtent guère qu'elle se serve dans le local pédagogique sans rien demander. La séance est écourtée. Le 18 avril, c'est le clash. La maman de l'un des deux enfants est invitée à observer depuis le balcon du public les progrès de son fils. Ensuite, les versions divergent. Pour une employée de la ville, l'agent technique a seulement demandé aux personnes "qui étaient au milieu des cabines de revenir dans la zone autorisée". Karima D. "s'en est alors prise aux maîtres-nageurs", pointant une tentative d'"humiliation devant le public". Une collègue confirme, par écrit.

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De son côté, Karima raconte que le personnel a visé la femme voilée qui accompagnait la maman. Et, alors qu'elle s'en est mêlée, elle se serait entendu dire : "Je ne vais pas me faire emmerder par des sales bougnoules." Le ton agressif est corroboré par une usagère de la piscine : "Ils ont dit à la femme voilée de dégager. Ils étaient très familiers, irrespectueux."

La tension atteint son paroxysme le 2 mai : à la demande de la direction de l'établissement, des policiers municipaux viennent la sortir de l'eau, sans ménagement. Les deux neveux médusés et choqués, laissés seuls dans le bassin. "Une intervention disproportionnée, au vu du nombre d'agents", reconnaît officiellement la Ville. Des excuses ont été présentées à la jeune femme, de la part du directeur de la police municipale et du directeur de cabinet de Jean-Louis Touraine, adjoint à la sécurité. La Ville est gênée aux entournures. "C'est quelqu'un qui pousse les gens à bout. Une fois, elle est restée dans mon bureau jusqu'à 21h30", confie un directeur de service. Une main courante a même été déposée pour "insultes répétées". "Avec elle, tout le monde est raciste, de Gérard Collomb à l'ensemble des agents de la ville", s'agace un responsable du service des sports.

Un maître-nageur nous confirme que l'intéressée a sans doute été aussi victime de discriminations liées à ses origines, comme le pense la Licra : "Ces agents souffrent tellement l'été du rapport de force avec certaines populations qu'ils ne les supportent plus. Ils rejettent tout en masse." Cet homme atteste avoir entendu des propos racistes tenus entre agents, in petto. D'autres maîtres-nageurs, très critiques à l'égard du fonctionnement des piscines, ne croient cependant pas à un racisme généralisé qui sévirait au bord des bassins. "Elle se bat avec ses armes", philosophent-ils.

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