Devant la cour d'appel de Lyon - © Elie Guckert
Devant la cour d’appel de Lyon – © Elie Guckert

Meurtre de Mohamed Abdelhadi : "Justice, explique nous !"

Des proches et des amis de Mohamed Abdelhadi se sont réunis devant la cour d'appel de Lyon pour demander à la justice de "réparer son erreur". Celle-ci a remis en liberté le meurtrier présumé de Mohamed Abdelhadi en mars dernier.

Malgré la chaleur écrasante de ce vendredi après-midi une trentaine de personnes se sont réunies devant la cour d'appel de Lyon. Toutes réclament réparation pour la remise en liberté du meurtrier présumé de leur proche ou ami, Mohamed Abdelhadi, assassiné en 2001 et dont le corps ne sera retrouvé que 15 ans plus tard.

Devant l'imposante façade du bâtiment de justice, ses sœurs se relaient au mégaphone pour clamer leur révolte et leur incompréhension. Elles dénoncent, dans un mélange de rage et de désespoir, une "aberration judiciaire" et accusent la justice française de "relâcher des monstres". "J'ai la haine", s'exclame l'une d'entre elle qui se demande : "les victimes doivent-elles devenir des criminels pour que la justice soit rendue ? Justice, explique-nous !" Leur cri retentit jusque sur l'autre rive de la Saône. Les imposantes colonnades de la cour d'appel, elles, restent désespérément silencieuses.

"Ce que l'on ressent, c'est de l'incompréhension"

En 2008 la famille de Mohamed avait déposé une plainte au commissariat de Villefranche-sur-Saône, mais le dossier a disparu. Le 30 mars dernier la cours d'appel a décidé que l'audition des policiers - attestant avoir recueilli le témoignage de la famille - ne suffisait pas pour valider la procédure, constatant alors la prescription, 10 ans après les faits, malgré les aveux du meurtrier présumé.

Devant la cour d'appel de Lyon - © Elie Guckert
Devant la cour d'appel de Lyon - © Elie Guckert

Rachida, la sœur aînée, ne s'arrête pas de parler. "Ce que l'on ressent, c'est de l'incompréhension, nous explique-t-elle. Cette décision de justice, pour nous, c'est une souffrance supplémentaire." Elle espère que le pourvoi en cassation formulé par leur avocat, ainsi que par le parquet général, permettra de renverser la tendance. "On veut y croire, enchaîne Chéréazade, la plus jeune des sœurs. Si la cours de cassation ne nous donne pas raison, la France va déshonorer ses valeurs, des valeurs auxquelles on croit encore !"

"Justifier l'injustifiable, je ne sais pas faire"

Malika, elle, distribue des tracts aux gens qui passent par là, interloqués. "Pour votre information", dit-elle à chaque fois. Elle est la sœur de Malik Boutvillain, disparu à Échirolles en 2012. L'enquête est en cours de ré-examination à la lumière de l'affaire Nordhal Lelandais. Une toute autre histoire, certes. Mais Malika, membre de l'ARPD (Assistance et Recherche des Personnes Disparues) est venue en soutien car elle aussi a le sentiment que la justice ne fait pas toujours son travail dans les affaire de disparitions. "Jusqu'à l'arrestation de Nordhal Lelandais, l'enquête n'avançait plus", déplore-t-elle. A la lecture du tract, une passante lève la tête vers elle. "Sérieux ?", s'étonne-t-elle en découvrant l'histoire de Mohamed Abdelhadi avant de reprendre son chemin en lâchant un "bon courage à vous".

"Justifier l'injustifiable, je ne sais pas faire, déplore l'avocat de la famille Abdelhadi, David Metaxas, qui se tient légèrement à l'écart. Les juges doivent prendre la mesure de ce qui arrive ici, dit-il en désignant la façade de la cour d'appel. Quand les gens ne peuvent plus s'y exprimer, ils le font dans la rue. Si on ne rend pas la justice, alors la justice sera rendue en privé", prévient-il. "Comment voulez-vous qu'on se sente en sécurité, nous demande Rachida. On a un désir de vengeance, on ne va pas vous le cacher ! Mais on veut justement que la justice nous délivre de cet esprit vindicatif ! Mais il y a des avocats qui sont des diables, et qui profitent des vices de forme" s'emporte-t-elle.

"C'est comme ça."

"Je comprend le désarroi de la famille c'est compliqué à accepter. Pour autant il y a des règles qui s'appliquent", rétorque Fréderic Doyez, l'avocat du meurtrier présumé, joint par Lyon Capitale. "La cour d'appel a appliqué les procédures, c'est comme ça. La décision n'est pas définitive, laissons faire la cours de cassation." Il tiens à préciser que cette affaire ne doit pas être vue comme le signe d'un dysfonctionnement de la justice, et rappelle que "ce genre de situation ne pourrait plus se reproduire aujourd'hui, puisque la durée de la prescription a été doublée, en partie pour répondre à ce genre de situations."

Et de conclure par une pic à l'avocat de la partie civile : "la famille de la victime n’a qu'à demander à Mr Metaxas quel doit être la position d'un avocat de la défense dans ce genre de situation", le renvoyant à une autre affaire où le meurtrier présumé a récemment été remis en liberté , et dont David Metaxas est l'avocat. Ce dernier estime pourtant de son côté que c'est bel et bien le signe d'une justice "qui prend l'eau. Le barreau lui-même le dénonce. La justice manque de moyens et marche à flux tendu."

Devant la cour d'appel de Lyon - © Elie Guckert
Devant la cour d'appel de Lyon - © Elie Guckert

Autant de considérations sur les règles du droit qui resteront à jamais inaudibles pour la famille de la victime. "Si la cours de cassation ne nous donne pas raison, elle enverra un très mauvais message, estime Rachida. Elle délivrera un permis de tuer. Tout ce qu'on demande à la justice, c'est qu'elle répare son erreur." Malgré les règles et les procédures, la justice lyonnaise est désormais au cœur d'un dialogue de sourds.

 

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