The Good The Bad & the Queen

God save England : The Good, the Bad & the Queen de retour à Lyon

Douze ans après son dernier passage à Fourvière, et à la suite de son deuxième disque, le supergroupe de Damon Albarn The Good, the Bad & the Queen revient donner des nouvelles de l’Angleterre. Mauvaises, les nouvelles, on s’en doute. De celles qui accouchent de la meilleure musique.

Voilà douze ans que The Good, the Bad & the Queen, l’un des multiples projets parallèles du boulimique Damon Albarn monté en chantilly de supergroupe avec nul autre que le king de l’afrobeat Tony Allen (batterie), l’ex-Clash iconique Paul Simonon (basse) et l’ancien The Verve Simon Tong (guitare), n’avait donné de nouvelles discographiques. À l’époque, le disque livré par les quatre fantastiques du Dr Albarn annonçait un genre d’apocalypse britannique, pressentie dès la pochette, soit un royaume promis à la déliquescence. La prophétie étant réalisée mieux que dans n’importe quelle fantaisie dystopique, il était temps de remettre le couvert musical pour compter les abattis et faire état des abattements.

Chose faite avec Merrie Land. La pochette n’est pas moins inquiétante, tirée du Mannequin du ventriloque, segment du classique film à sketchs horrifique Au cœur de la nuit (1945). On y voit l’acteur Michael Redgrave, ou plutôt le ventriloque qu’il interprète, tenter de bâillonner sa marionnette, dont il pense dans le film qu’elle est non seulement vivante mais qui plus est incontrôlable. Jolie métaphore de cette Angleterre qu’Albarn n’a eu de cesse d’ausculter tout au long de sa carrière et dont le destin semble avoir été pris en main par quelque scénariste retraité et tourné fou de The Twilight Zone (La Quatrième Dimension).

Passé glorieux

C’est sur ces ruines en cours de destruction que le groupe, Albarn en tête, compose un album qui emprunte à l’ensemble du passé glorieux de la pop britannique : des Kinks à XTC, de la musique baroque au ska, des Beatles au dub. Et nous présente le non moins glorieux pays comme une fête foraine agonisante dirigée par des clowns tristes pathétiques et habitée par des pantins désabusés et crédules. Un pays dans lequel Albarn ne semble, évidemment, plus se reconnaître. Ironique quand on sait qu’il y a tout juste vingt-cinq ans c’est une Angleterre pas sans défaut mais néanmoins quasi triomphante que décrivait Parklife, l’album qui fit exploser Blur à la face du monde, l’année même où déferlait la vague brit-pop, sorte de remake de la British Invasion des années 1960.

Entretemps, bien des avanies politiques sont venues se superposer sur les précédentes, surmontées d’une cerise bien trop grosse pour le pudding obtenu : le Brexit, coup de grâce porté à l’édifice fragilisé de la maison England. C’est cette incompréhension qu’Albarn, sans doute le meilleur conteur pop de son pays avec Ray Davies (The Kinks) et Morrissey, met ici en scène au long de morceaux qui sont autant de nouvelles, de chroniques, sur la situation de l’Angleterre ; une sorte de discours chapitré sur l’état de la désunion, premier des maux à l’œuvre, sans doute responsable de tout le reste – en cela Merrie Land est un miroir tendu à tout pays qui se laissera aller à l’écouter.

Titanic

Reste que, on le sait, les périodes de crise aggravée sont souvent un terreau fertile pour la création musicale (et pas que musicale, d’ailleurs), ainsi que le prouve l’émergence depuis quelques années d’une ribambelle de rageux venus repeupler la lande du rock britannique sur les cendres de son système social, tels Idles, Shame, Sleaford Mods et même les Irlandais de Fontaines DC. Et, donc, cet album plus anglais qu’un scone tout en étant farouchement opposé à ce que veut dire “être anglais” aujourd’hui. Car, d’une certaine manière, ce GB&Q reformé fait ici office de pendant à l’orchestre du Titanic : tandis que le vaisseau Britannic semble couler inexorablement vers un avenir au mieux des plus brumeux, au pire funeste et dans tous les cas totalement imprévisible à courte ou moyenne vue, le groupe continue de jouer alors que l’eau entre de toutes parts. Comme un écot versé par l’artiste aux vaines opérations d’écopage. Car c’est peut-être la pop music qui, comme souvent en Angleterre, sauvera, si ce n’est le pays, du moins les meubles.


[Article publié dans Lyon Capitale n° 790 – Juillet-Août 2019]

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