Gainsbourg (Vie Héroïque) : biopic iconique

Pour son premier film, l’auteur de BD Joann Sfar (Le Chat du Rabbin…) s’attaque au biopic du monstre de la chanson française. Et réussit son coup en explorant, à travers les mythologies de Gainsbourg, la psyché d’un petit garçon juif qui se trouvait trop laid. Un conte pop pour héros populaire.

Vie héroïque, érotique, onirique, pour son Gainsbourg, Sfar la joue iconique. Il précise même : le film est un « conte ». En bon dessinateur, Sfar y compose et décompose la vie de Gainsbourg sous forme de tableaux moins soucieux de strict réalisme que de surréalisme. L’Homme à tête de chou, grand nez, grandes oreilles, y est souvent suivi, ou précédé, comme son ombre par sa « Gueule », double en forme de marionnette géante qui tire les ficelles, Jimminy Cricket übergainsbourgien guidant la conscience de l’artiste. Un artifice qui n’est pas pour rien dans l’étrangeté et la puissance métaphorique du film. Celle d’une vie rêvée autant que vécue à travers les yeux du jeune Lucien Ginsburg, enfant juif dans la France Occupée, qui pour se rassurer, porte l’étoile jaune comme une étoile de shérif. Ou s’invente cette figure de la « Gueule », préfigurant Gainsbarre, comme réponse à la figure caricaturale du juif que stigmatise la propagande antisémite.

Cultivant l’art du contre-pied comme pas de deux, son refuge est le fantasme, l’imaginaire : aspirant peintre, il finira chanteur. Pas gâté par la nature, il sera un homme à femmes. Timide, il sera provocateur. Rejeté en tant que juif, il sera adulé. Fils d’immigré, il relookera la Marseillaise, et l’identité nationale, avec une bande de Jamaïcains. Serge adulte, c’est en quelque sorte, la revanche, un peu simpliste mais tant fantasmée, du jeune Lucien qui rêve de coucher avec ses modèles et d’être regardé davantage qu’écouté.

Personnage de BD

Mais Lucien c’est aussi Joann (Sfar) qui projette à travers l’enfant Gainsbourg son propre regard émerveillé, d’enfant mais aussi de dessinateur (les dessins de Lucien/Serge vus à l’écran sont ceux de Sfar, qui fusionne ainsi avec son sujet). De fait le réalisateur/fan, soucieux de symbolisme, n’évite pas, de temps à autres, quelques lourdeurs coutumières du genre biopic (notamment quand il aborde les épisodes largement connus de la vie de Gainsbourg). Mais ce Gainsbourg héroïque, personnage de BD, qui traverse le film comme on flotte, doit beaucoup, c’est évident, à son interprète, le comédien de théâtre Eric Elmosnino.

La ressemblance est saisissante mais, au-delà, Emosnino investit littéralement Gainsbourg, devient sa chose autant qu’il fait sienne la personnalité hors-norme du chanteur. Installant le mimétisme dans un jeu subtil auquel on est peu habitué en matière de biopic. De ce point de vue, les acteurs sont quasiment tous impeccables (Casta en Bardot, Lucy Gordon en Birkin), à l’exception peut-être d’Anna Mouglalis plus Belphegor que Juliette Greco. Autre point fort, la manière dont Sfar excelle à investir et instrumentaliser le principal, soit l’œuvre musicale de Gainsbourg pour en faire, bien au-delà d’une simple illustration sonore, un véritable processus narratif, un tas de petits cailloux essaimés. C’est sans doute pourquoi Sfar a fait le choix du conte, de la vie héroïque, plutôt que la traditionnelle biographie filmée un peu académique. Parce que l’histoire d’une vie y apparaît dans son écume, ces souvenirs un peu flous qui partent en fumée de cigarette ou en notes de musique. Mais qui sont un ancrage rêvé à la réalité biographique.

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