Dog Pound : comme des chiens enragés

Pour son premier film américain, Kim Chapiron (Sheitan) filme, dans l'esprit du cinéma indépendant US, le quotidien ultra-violent d'une prison pour délinquants juvéniles. Un chef d'oeuvre de mise en scène, quasi-documentaire, d'une intensité incroyable mais qui montre plus qu'il ne dit.

Ils sont trois, Angel, Davis et Butch qui écoutent les consignes dans le bureau des admissions. C'est en quelque sorte le jour de la rentrée pour ces purs produits de l'Amérique moyenne dans ce qu'elle a de plus désolant. A ce détail près que dans ce bureau, ils sont nus comme des vers face à deux matons. Car on n'est pas au lycée mais au pénitencier pour mineurs d'Enola Vale, Montana, et le bizutage va être sévère. Dog Pound est une transposition américaine de Scum, un film anglais d'Alan Clarke sur le même sujet. C'est d'ailleurs ce même Clarke qui avait inspiré à Gus Van Sant son Elephant. D'où une ambiance proche des films de Van Sant (et aussi un peu d'un autre Clark, Larry cette fois) entre esthétisme et vérité documentaire, sublimation d'ados paumés et pépite de violence. Et quand il s'agit de violence prête à vous exploser à la figure, il y a Butch (Adam Butcher, yeux déments, bouche tordue de haine, acteur fascinant) par vraiment le mauvais bougre du moment qu'on ne le provoque pas. Le problème, justement, c'est qu'on n'arrête pas de le provoquer et que Butch, grenade dégoupillée sur pattes, ça le rend incontrôlable. Or la vie à Enola Vale n'est qu'une succession d'embrouilles où les plus généreux en la matière sont les kapos locaux, ces détenus responsabilisés car prétendument modèles qui ne font en réalité que persécuter leurs camarades, tel Banks, mi- grizzly, mi-graine de psychopathe.

Kourtrajmé

Dog Pound en anglais signifie fourrière ou chenil. Enola Vale n'est pas autre chose : c'est là qu'on abandonne ces jeunes dont l'institution (la justice, les parents) ne sait plus quoi faire et qu'il faut bien mettre quelque part. Comme dans un chenil, il y règne une ambiance très primaire, entre gamineries et ultra-violence. Ici on mord ou on est mordu à tous les coups. Au départ, nos trois héros font profil bas. Résultat : brimades, tabassages et mitard. Mais quand ils se rebiffent (et de quelle manière), le tarif est le même. C'est le propre de cet enfer, quoi qu'on fasse on ne sort pas de sa spirale (ou alors les pieds devants), il n'y a rien à sauver, ni pour les bons, ni pour les méchants, détenus ou matons. Chapiron, transfuge frenchy du collectif Kourtrajmé (d'où est issu également Romain Gavras, réalisateur de fameux clips controversés pour Justice notamment) filme tout cela au plus près de ses personnages, avec un sens aigu de la mise en scène et de la tension renforcé par une poignée d'acteurs amateurs mais délinquants professionnels (ce qui fait que le tournage ne fut paraît-il pas très différent du film). Mais c'est à peu près tout – du désespoir, une sorte de néant existentiel, d'àquoibonisme exacerbé – ce que l'on peut tirer du film. Comme certains de ses confrères français, le réalisateur semble fasciné par la violence et la pulsion scopique qu'elle génère, mais il en reste à peu près là, n'en fait pas grand-chose, en tout cas pas autre chose qu'un bel et intense objet cinématographique, très calibré Sundance (du nom de la Mecque du ciné indépendant américain) mais un peu vain. Comme ses personnages, prisonniers de leur condition et de leurs pulsions, Chapiron semble un peu prisonnier de son film (son plan de fin, d'une ironie terrible, agit d'ailleurs comme un aveu). Beau film, donc, mais dont on ne sait trop quoi faire, sinon le prendre en pleine poire comme la tasse en métal que Butch écrase dans la tronche de Banks jusqu'à plus soif.

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