Haïti, à corps et à l’écrit

THÉÂTRE - Une femme possédée comme image de l’île caraïbe au destin brisé. C’est ce que projette Thérèse en mille morceaux, un spectacle humble tiré du roman de Lyonel Trouillot, grand écrivain rescapé du tremblement de terre, joué du 9 au 13 mars au théâtre des Célestins.

Cet article n’aurait pas été le même il y a quelques semaines. Difficile aujourd’hui de voir, et donc de parler de Thérèse en mille morceaux, roman de l’une des grandes voix haïtiennes, Lyonel Trouillot, adapté pour le théâtre par Pascale Henry, sans penser au séisme qui a détruit Port-au-Prince et d’autres villes de l’île le 12 janvier. Pourquoi, finalement ? Parce que le spectacle malgré lui tord le cou à cette image trop fréquemment et facilement employée pour tracer le destin chaotique d’Haïti : la “malédiction”. Thérèse en mille morceaux lui en substitue une autre, plus complexe, plus fragile, la (dé)possession. Incarnée dans une femme, un corps et un esprit, longtemps innervée et dirigée par les obsessions des autres. Au début des années 60 dans la ville du Cap, Thérèse Décatrel est tout, sauf elle-même. Une fille de grands propriétaires terriens, dont la mère aimée et haïe ne cesse de la retenir, de l’enfermer hors du brouhaha de la rue, préservant coûte que coûte sa chasteté sociale.

La soeur d’Elise, l’ancienne complice désormais dédiée à l’héritage familial. L’épouse de Jean, fonctionnaire municipal dévoré d’ambition sinon d’affection. Et une enfant. Cette enfant oubliée, qui surgit un beau jour et sonne l’heure désordonnée de l’insurrection à l’intérieur même de Thérèse. On la prendra pour folle. Elle résiste, tempère les ardeurs de son double en écrivant sans relâche son journal “pour savoir de combien de Thérèse [elle a] été le pantin”. De cette femme écartelée mais enfin consciente, on sait dès le début qu’elle va se libérer, quitter Le Cap “pour ne plus jamais y revenir”. Tout ce qui compte ici, c’est le chemin, la route cabossée qu’elle prend pour y parvenir. La pièce n’est alors que déplacement. La mise en scène de Pascale Henry règle, pesamment au début, la bascule entre ceux qui veulent enfermer Thérèse et ceux qui s’échinent à l’extraire, en l’habitant à son insu.

S’affrontent une pression physique et concrète - le ballet de la mère annihilant toute tentative d’échappée de Thérèse, le décor tout de suite refermé quand il veut s’ouvrir - et les échappées inconscientes par les songes, les êtres qui viennent visiter Thérèse. Et par la langue surtout. La pièce n’échappe pas aux écueils de l’adaptation littéraire. Les dialogues, leur spontanéité, butent sur le romanesque. Mais le feu qui couve s’embrase bien avec l’écrit surgissant sur scène, dans les soubresauts de Thérèse sur son lit. Dans le rôle, Marie-Sonha Condé trouve là le faisceau pour entonner un chant qui remonte de loin. Le chant de “la révolte tue”, “qui ne sait pas son nom”comme l’écrit Lyonel Trouillot. Cette pièce au décor symbole le rappelle à point nommé, à Haïti plus que nulle part ailleurs, toutes et tous les Thérèse vivent et se sauvent par la langue et sa musique, les poèmes et les livres.

Thérèse en mille morceaux,
du 9 au 13 mars au théâtre des Célestins,
4, rue Charles Dullin, Lyon 2e. 04 72 77 40 00.

www.celestins-lyon.org

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