Comptes dans le rouge, seuils d’alerte budgétaire dépassés, l’université Lyon 2 est au bord du gouffre financier et susceptible d’être placée sous tutelle du rectorat. Certains enseignants, responsables administratifs et financiers ne verraient toutefois pas la chose d’un mauvais œil pour “remettre de l’ordre dans la maison”.
“J’ai vu en mon temps cent artisans, cent laboureurs (…) plus heureux que des recteurs de l’université”, disait Montaigne.
Difficile de savoir si l’appréciation s’applique à la rectrice de l’académie de Lyon mais ses services, qui se sont penchés sur la situation financière de l’université Lyon 2 pendant l’été, ont dû s’arracher les cheveux pour lui “permettre un retour à l’équilibre budgétaire”. Car l’établissement Lumière a proprement sombré dans le noir. La plupart des indicateurs financiers (huit sur dix) sont dans le rouge écarlate : le déficit comptable attendu s’élève à 8,4 millions d’euros (quadruplement en un an), la capacité d’autofinancement (qui montre si l’établissement peut financer ses projets et rembourser ses dettes sans aide externe) a plongé, passant de 2,1 millions à -4,7 millions d’euros (150 % de baisse depuis 2017). Mais surtout, deux des trois critères (trésorerie et masse salariale) de soutenabilité budgétaire ont dépassé la cote d’alerte fixée par le ministère de l’Enseignement supérieur, tandis que le troisième (le fonds de roulement) l’a quasiment atteinte.
Et même si le poids des ressources propres a augmenté de 5,1 points entre 2017 et 2022, grimpant de 12,9 % à 18 %, celui de l’ensemble des universités est passé, sur la même période, de 17,6 % à 27,5 % (+ 10,4 points). Lyon 2 se situe donc très en dessous de la moyenne nationale. Et boit le bouillon.
Le nerf (à vif) de la guerre
L’université avait tiré la sonnette d’alarme en décembre dernier, quelques jours avant de faire voter son budget 2025 en conseil d’administration. “Nous sommes dans une situation financière dramatique, actait sa présidente, Isabelle von Bueltzingsloewen, devant la presse. On est en train de prendre le mur.” Avant de toutefois ajouter “(ne pas penser) que les mesures d’économies soient de bonnes solutions”. Deux mois plus tard, après sa réélection à la tête de l’université, cette historienne spécialiste de la santé publique se défendait de tout “mandat d’austérité” pour prodiguer les premiers soins.
Sauf que le rectorat a sévèrement recadré l’université, le budget initial n’étant pas “soutenable” au sens du Code de l’éducation. Dit autrement, une cure d’austérité est inévitable. Lyon 2 a donc été dans l’obligation de présenter un plan de retour à l’équilibre financier. Une première version a été exposée fin avril, visant à ce que les charges de personnel ne dépassent pas le seuil d’alerte ministériel de 85 % des recettes d’ici 2028 (déjà dépassé en 2024, ce taux est de 88 % dans le budget initial 2025). Fin de non-retour. Le rectorat a retoqué Lyon 2, lui demandant de revoir sa copie, avec un plan plus ambitieux. Une deuxième mouture a été transmise au rectorat mi-juillet, prévoyant, ce sont les deux mesures les plus importantes, primo, une économie sur la masse salariale de 3,8 millions d’euros, avec, notamment, la diminution du nombre de postes d’enseignants-chercheurs (cinq) et des personnels non enseignants (dix), deuxio, des recettes supplémentaires, à hauteur de 3,8 millions d’euros, notamment via la formation continue et l’apprentissage. Après “analyse détaillée des mesures proposées, afin d’en apprécier l’impact sur la trajectoire financière de l’établissement pour permettre un retour à l’équilibre budgétaire”, nous précise le rectorat, un avis devrait être rendu courant septembre.

“Rendez-nous l’argent !”
La présidence de Lyon 2 incrimine l’État. “Ce qu’on veut, c’est que l’État nous rende l’argent qu’il nous a ponctionné depuis 2022”, fulmine Isabelle von Bueltzingsloewen. “La situation budgétaire de l’université, explique à Lyon Capitale la direction de la communication, s’est dégradée, entre autres, du fait de la non compensation par l’État de coûts supplémentaires en termes de masse salariale [“GVT”, qui désigne l’augmentation naturelle du coût des salaires à mesure du vieillissement et de la montée en compétences des agents ; augmentation du point d’indice), mais aussi l’inflation non compensée sur les fluides et sur les matériaux de construction pour La Ruche (une “bibliothèque augmentée” sur le campus de Bron, dont le coût initial de 39 millions d’euros a récemment été réévalué à 60,4 millions d’euros, NdlR]. Par ailleurs, la subvention pour charge de service public est structurellement insuffisante.”
“Manque de prévision et mauvaise gestion”
D’autres voix, peu audibles, s’élèvent pourtant. La plupart sous anonymat, par crainte de “la pression latente de la présidence”. “Oui, il y a le Covid, oui il y a eu l’Ukraine, la hausse des coûts de l’énergie… Mais pas que. Loin de là. Avant 2016, Lyon 2 était fortement excédentaire, fruit d’une gestion assez rigoureuse de l’équipe en place. Le changement de gouvernance s’est accompagné d’un changement de stratégie, avec des prélèvements réguliers dans le fonds de roulement – destiné à financer nos besoins de financement à court terme. Il est aujourd’hui quasi épuisé.” Deux cadres administratif et financier reconnaissent même, du bout des lèvres, qu’une tutelle du rectorat permettrait de “remettre de l’ordre dans la maison et dans les comptes”. Seul Fabrice Balanche, professeur de géographie géopolitique, cible, au sein même de l’université, d’un collectif militant étudiant revendiqué “anti-France”, et depuis placé sous protection fonctionnelle, parle à visage découvert. “Le déficit de Lyon 2 est structurel, lié à des choix stratégiques de pilotage de l’université. Cette situation, selon moi, vient d’un manque de prévision et d’une mauvaise gestion. Certes, la dotation de l’État ne suit pas forcément, mais l’équipe dirigeante n’en a pas tenu compte, préférant se dire que l’État ferait une rallonge et comblerait le trou. Quant à l’augmentation de la masse salariale, elle est due à des embauches d’administratifs supplémentaires. Lyon 2 a un peu le syndrome des collectivités locales dans les années 80, en augmentant la taille des services centraux, en créant des directions qui ne sont pas dans leurs fonctions de base, comme, par exemple, la direction internationale surdimensionnée.” Las, un autre enseignant-chercheur, à la tête d’un département de l’université, explique que Lyon 2 a “perdu en compétitivité” et a “une image désastreuse”, notamment causée par les “blocages successifs et médiatisés et ‘l’affaire Balanche’ qui n’a rien arrangé”. “Y compris dans les intentions d’inscription en masters et licences, nous sommes en perte de vitesse.” Pour l’heure, l’urgence est comptable.