Quand le travail fait souffrir

Pour ceux qui se trouvent sur le carreau comme pour ceux qui restent. Selon des études, une personne sur trois sera concernée dans sa vie par la souffrance mentale. Et le travail porte une lourde responsabilité dans cette évolution. (Article paru dans le numéro d'avril de Lyon Capitale)

"Une boule dans le ventre, je me tourne et me retourne dans le lit. Impossible de dormir. Comment vais-je faire ? Angoisse. J'en parlerais volontiers aux amis, à la famille. Mais je sens bien qu'ils en ont plus qu'assez de mes questionnements. Objectifs, délais, qualité.

Impossible de tout tenir. Et mon chef, que va-t-il penser si je lui rends ce rapport en retard ? Avertissement, mise à pied, licenciement. Ce n'est pas le moment..."

Chacun a déjà vécu cette scène quotidienne de la vie du travail. Quand le stress arrive, sur le coup, vous vous sentez boosté par un shoot d'adrénaline.

Mais si vous ne trouvez pas de solution, vous sombrez dans le mal-être, la souffrance voire la dépression. Auparavant, souffrir c'était l'apanage des ouvriers et des employés.

En 2007, chefs d'entreprises, consultants, politiques, syndicats, salariés, ont pris le problème en pleine figure lorsque les médias s'emparent des cas de suicides de cadres de Renault, IBM et EDF.On prend alors conscience que la souffrance concerne tout le monde. Les débats sont allés bon train sur les causes de souffrance et les solutions à y apporter.

En parallèle, des études ont été lancées pour sonder ce continent inexploré de la souffrance humaine. Les résultats sont tombés. Selon les premières données de l'enquête Samotrace de l'Institut National de Veille Sanitaire (INVS), publiée en décembre 2008, 37% des femmes et 24% des hommes expriment un "mal-être" au travail.

L'enquête pointe les secteurs les plus exposés (la production d'électricité, de gaz et d'eau, l'administration et les activités financières). Les études sociologiques initiées par différents syndicats vont dans le sens des grandes tendances relevées par Samotrace.

Ainsi dans la banque, la première enquête du genre du syndicat SUD de la Caisse d'Epargne montre que 27,5% des employés du groupe ont consommé des antidépresseurs.

Dans ce contexte, les premières mesures ont été prises par certaines grandes entreprises concernées par les suicides de leurs cadres : numéros verts, cellules d'écoute, observatoires. Le monde du travail, comme la société, se psychologise.

Des mesures souvent critiquées par des syndicalistes ou des médecins du travail, qui estiment qu'elles ne s'attaquent pas au vrai problème : l'organisation du travail et ses contraintes, qui ont été profondément transformés depuis les années 80.

S'occuper de l'organisation du travail
Signé par tous les syndicats patronaux et de salariés, l'accord interprofessionnel sur le stress conclu en juillet 2008 change les données du débat. Il reconnaît clairement l'organisation du travail (temps de travail, dépassement d'horaires, degré d'autonomie, moyens mis à disposition...) comme étant un facteur de stress.

Pour l'instant, les seuls effets de cet accord, accompagné d'aucune obligation contraignante pour les employeurs, a été le repositionnement des grands cabinets de consultants parisiens (Stimulus PsyA) sur la question de l'organisation du travail.

La question avance aussi du côté des syndicats de salariés, qui délaissaient ce problème. Jusque dans les années 2000, en effet, personne n'osait aborder ce sujet.

Cette tendance s'inverse, particulièrement à Lyon. En partant des analyses du chercheur de l'université Lyon 1 Philippe Davezies (lire entretien p.28-29), des syndicalistes ont lancé il y a un an une série de formations (Formation et Action Citoyennes) pour que les militants syndicaux soient à même de porter des revendications sur l'organisation du travail et plus seulement sur la négociation salariale ou l'emploi.

La crise passe par là
Cependant, cette tendance vertueuse est fortement contrariée par le contexte économique actuel : accentuation des contraintes économiques, peur des licenciements et finalement plans sociaux.

Comme le note actuellement certains médecins du travail : l'intensification du travail n'a jamais été aussi forte.

Le psychiatre Jean Furtos, spécialiste de la précarité, explique également que la peur de perdre son emploi comme la perte elle-même peut affecter gravement la santé mentale d'un individu : "Le travail permet d'être "assigné" dans sa culture, d'avoir un statut. Si vous perdez votre travail et si vous n'avez pas d'autres possibilités, vous vous sentez "desassigné" tout d'un coup. C'est un peu comme s'il y avait un gouffre qui s'ouvrait et qu'on tombait dans un trou. L'impression que tout s'effondre. Ce sentiment peut vous donner un stress absolu".

Mais la crise pourrait être aussi une formidable occasion de rediscuter sur le plan politique de ces contraintes financières qui pèsent sur les organisations des entreprises, du haut jusqu'au bas de l'échelle.

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