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Enquête sur les princes de la République

Connu pour des investigations parfois polémiques, Yvan Stefanovitch s’intéresse aux privilèges des élus locaux cumulards que l'on trouve à droite et à gauche. Il épingle les parlementaires-maires, ces grands chefs locaux tout puissants qui bénéficient de plein d'avantages. Dans sa charge, il cite les barons du PS, qui "n’ont aucun intérêt à aider leur parti à gagner l’élection présidentielle".

Lyon Capitale : Votre livre parle finalement des “cumulards”. En quoi forment-ils une “Caste des 500”?

Yvan Stefanovitch : Parce que ce sont des élus qui, de manière tout à fait légale, ont beaucoup plus d’avantages que les autres et qui ne sont pratiquement pas contrôlés. La “Caste”, ce sont les parlementaires qui sont aussi des maires de communes de plus de 3500 habitants, taille à partir de laquelle ils peuvent avoir quelques privilèges. Vous le verrez dans le livre, certains ont une deuxième voiture de fonction avec chauffeur qui les attend toute l’année à la montagne, en Corse, à la mer… Les dépenses des maires sont mises dans les “frais généraux”, ce n’est pas nominatif, donc c’est souvent invisible. Gérard Collomb pourrait avoir cinq voitures, vous ne le saurez pas.

Et ce sont des élus qui tiennent tout. Collomb, Frêche (Montpellier), Estrosi (Nice), Guerini (Marseille) Ils cumulent tout. Localement, ils sont les chefs, les parrains, qui adoubent les personnes, choisissent les candidats aux différentes élections. Tout passe par eux ! Avec le mode de scrutin, les maires des grandes villes font ce qu’ils veulent. Et ils n’ont aucune opposition. Le Grand Lyon est un bon exemple : il y a des vice-présidents Modem et UMP. Embrassons-nous Folleville ! La seule opposition qui peut rester, c’est la presse. Ou ce qu’il en reste.

Votre ouvrage traite finalement du pouvoir des élus locaux. Ils sont généralement appréciés de leurs concitoyens, pour leur sens des réalités, leur proximité… On pourrait se réjouir de leur prise de pouvoir, non ?

On a le record mondial du cumul des mandats. 85 % des députés ! La plupart des concitoyens trouvent ça très bien d’avoir des élus à mi-temps. Pour Collomb, ce n’est pas le cas : il ne va pratiquement jamais au Sénat et se consacre entièrement à Lyon. Ce sont aussi des élus qui bossent énormément et sont passionnés par ce qu’ils font. Mais c’est la mort des partis !

Au PS, ils sont incontournables. Le premier secrétaire du PS ne peut pas être élu sans Collomb, Guérini, Frêche, Percheron… Alors que ce qui les intéresse, c’est de garder le pouvoir dans leur région. Ils n’ont aucun intérêt à aider leur parti à gagner l’élection présidentielle. Quel intérêt ont-ils à être ministre, ou à pousser un de leur camarade de l’être ? Aucun. Ils préfèrent être rois dans leurs régions, que seconds à Paris. Et Collomb n’a plus besoin du PS. Il pourrait être élu sous n’importe quelle étiquette, ou même sous son seul nom. Et au niveau de sa politique, je ne vois pas la différence avec un élu UMP.

“Les 500 membres de la Caste monopolisent pouvoir, argent et privilèges” dites-vous. Les élus sont-ils trop payés ?

Non, je ne pense pas. Là où le bât blesse, ce sont les avantages à côté. Un parlementaire est plafonné à 9730 euros bruts. Il a en plus une enveloppe de 9000 euros pour payer ses collaborateurs, qui peuvent être leurs épouses, enfants, maîtresses… Leurs frais de transports, logement, téléphone sont pris en charge. Mais surtout, ils ont encore une indemnité de représentation de 6000 euros, théoriquement pour les autres frais. Le parlementaire qui ne cumule pas, en a besoin. Mais pas celui qui est aussi maire d’une commune : ses notes de restaurant, de secrétariat, sa voiture de fonction, ses déplacements, ses hôtels… Tout est pris en charge par la ville.

Donc les 6 000 euros, comme en France il n’a pas besoin de justifier ses dépenses, il se les garde. C’est de l’argent de poche, non fiscalisé ! Ce qui fait qu’en tout il gagne 15 000 euros bruts et 21 000 euros pour les ministres. Mais en France, contrairement au scandale en Angleterre, ça ne choque pas. C’est notre côté monarchiste. Le français moyen trouve ça très bien que ses élus aient des privilèges. François Fillon qui prend un Falcon tous les week-ends pour rentrer chez lui dans la Sarthe, alors qu’il y a un TGV direct qui met 1 h 15, c’est normal ! Contrairement à Angela Merkel, vous ne le verrez jamais pousser son caddie dans un supermarché, lui.

“Les privilèges de la Caste, l’argent facile et l’opulence, sont les attributs d’un pouvoir d’essence monarchique” dites-vous encore. Vous assumez être un journaliste “polémiste” ?

Pas du tout. Dès que l’on parle du train de vie des élus, on est accusé de faire de l’antiparlementarisme, du poujadisme et de travailler pour Le Pen. Mais je ne fais qu’expliquer un système de cumul généralisé, qui me semble mauvais.

L’exception, c’est Jean-Louis Borloo. Il perd de l’argent en faisant de la politique, parce qu’il est avocat et riche. Les élus comparent leurs revenus aux patrons du CAC 40 : ils travaillent plus et gagnent moins. Mais en principe, quand vous embrassez la carrière politique, ce n’est pas pour vous enrichir. Michel Barnier va gagner 23 000 euros par mois comme commissaire européen, plus ses 9 000 euros de retraite. Nos deux anciens Président de la République gagnent plus de 30 000 euros… Quand on compare à l’étranger, c’est inouï.

Retrouver le sujet "Les scandales du cumul des mandats", dans Lyon Capitale n°688, actuellement en vente chez votre marchand de journaux.

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