Dentexia
Pascal Steichen, fondateur des centres dentaires low-cost Dentexia @Solé pour Lyon Capitale

Dentexia : "la justice doit reconnaître le statut de victime"

Les milliers de victimes du plus grand scandale dentaire français attendent un procès exemplaire, le premier à concerner la marchandisation de la santé orale.

C'est une affaire qui n'en finit pas. Voilà plus de huit ans qu'a éclaté le scandale Dentexia. C'est l'histoire effroyable de cabinets dentaires "low-cost" Dentexia à Lyon et ailleurs, aujourd'hui attaqués par ses anciens patients. Une "escroquerie en bande organisée" selon une information judiciaire ouverte en 2016, qui consistait à délivrer un soin payé par avance en contractant un emprunt auprès des centres dentaires eux-mêmes. Mais plus encore : afin de rentabiliser un maximum l'opération dentaire, certains soins, comme la pose d'implants, ne respectaient pas les protocoles dentaires habituels. Résultat des patients se sont retrouvés avec des dents mal soignées, et avec parfois une dette à rembourser quand ils avaient emprunté, avec des sommes allant de 5 000€ à 30 000€.

Voilà maintenant huit ans que l'organisation a été liquidée judiciairement et pourtant rien n'a vraiment changé pour les plus de 3 000 victimes qui se battent toujours pour être reconnues.

Pour bien comprendre
Dentexia, c’est une franchise de médecine dentaire low cost lancée en janvier 2012 dans l’agglomération lyonnaise, puis dupliquée un peu partout en France. Sur le papier – la démocratisation des soins dentaires -, l’idée a du mérite. Structurée comme une association à but social, il s’agissait de « favoriser l’accès aux soins dentaires pour tous et notamment aux personnes les plus démunies ». Dans les faits, l’expérience s’est avérée dramatique pour des milliers de patients qui se sont retrouvés, non plus au sein d’un système de soins, mais au cœur d’une bulle spéculative, provoquée par les velléités purement financières des fondateurs.

Lyon Capitale a enquêté dès 2014 sur le système Dentexia, révélant les montages juridique nébuleux, dans lequel s'imbriquaient moult sociétés gigognes qui semblaient consciencieusement siphonner les centres dentaires, poursuit un seul et même objectif : enrichir ses instigateurs. 

Le 3 mai dernier, l'association La Dent bleue, qui se présente comme la seule association française de représentation de la patientèle du dentaire, a été reçue par le bureau du premier vice-président en charge du volet sanitaire de l'instruction.

"Un procès Dentexia se tiendra bien"

"On a été rassuré sur le fait qu'un procès se tiendra bien, explique Abdel Aouacheria, le président de l'association La Dent bleue. C'est évidemment très important puisque pour les victimes, d'une part, il ne pouvait pas en être autrement, et puis aussi pour les victimes de tous les autres centres dentaires associatifs à but non lucratif qui fonctionnaient, ou qui fonctionnent encore, sur le même système que Dentexia. Il est donc tout à fait attendu que ce procès soit exemplaire pour permettre à la fois que justice soit rendue dans l'affaire Dentexia mais aussi de manière à présager ce qui pourrait se passer au niveau de la justice pénale dans les années à venir pour d'autres scandales similaires."

1 581 plaintes ont été déposées au tribunal judiciaire de Paris, avec plus de 500 constitutions de parties civiles, cinquante classeurs sont empilés dans les placards du tribunal sur l'affaire, dont l'instruction a débuté en 2016. Un dossier compliqué pour la justice par son caractère inédit et massif.

Inquiétudes quant à la reconnaissance du statut de victime sanitaire

L'association La Dent bleue s’inquiète à ce titre du manque de moyens de la justice. "C'est extrêmement compliqué de faire face à une telle enquête, la justice est noyée." explique Abdel Aouacheria.

"Les victimes ont souffert à la fois dans leur porte-monnaie mais surtout dans leur chair. On les a considérées comme des porte-implants, comme des objets sur lesquels on pouvait travailler au plan médical, en arrachant des dents et en posant des implants et des prothèses contre de l'argent. Évidemment, ça génère des souffrances biopsychosociales, c'est-à-dire physiques, psychologiques et sociales. Ce sont ces souffrances qui, pour l'instant, sont compliquées à appréhender puisqu'il faut passer des expertises, des contre-expertises : c'est extrêmement long, la justice doit diligenter ses expertises médico-judiciaires, les partis peuvent faire appel. Et donc ça rallonge des délais. Et pour 1 581 plaintes, on se rend bien compte que c'est compliqué de pouvoir condenser tout ça. Notre inquiétude et notre attente les plus vives aujourd'hui, c'est que la justice tienne compte, d'abord, de la souffrance physique, psychologique et sociale des victimes par tous les moyens possibles, et que justice soit rendue sur ce plan pour un motif qui nous paraît à la fois évident, mais qu'il convient de rappeler, c'est que pour une victime il n'est possible de sortir de sa condition de victime que si la justice reconnaît ce statut de victime. On a ici une sorte de circularité qui se met en place mais qu'il est nécessaire de rappeler. La justice sert à ça et pas uniquement pour aller regarder et reconnaître l'escroquerie. Il faut reconnaître la souffrance. Et c'est ça qu'attendent les victimes aujourd'hui, c'est ça."

Les articles et enquêtes de Lyon Capitale sur Dentexia
- 11 mai 2012 : Dentexia, le passé trouble du dentiste low cost
- 8 septembre 2014 : Dentexia : l’heure des procès
- 8 septembre 2014 : le résumé Dentexia, les victimes du dentiste low cost
- 30 septembre 2014 : Système Dentexia : ouverture du procès ce mardi
- 1er octobre 2014 : Dentexia/Steichen : le château de cartes s’écroule
- 22 février 2016 : Dentexia : le vrai scandale des “sans-dents”
- 6 mai 2014 : Dentexia : Pascal Steichen nous écrit
- 4 mars 2016 : Dentexia liquidé, 3 000 patients sur le carreau
- 11 avril 2016 : Dentexia : les difficultés des procédures face à des victimes au bout du rouleau
- 9 mai 2016 : Dentexia : les pouvoirs publics âprement pointés du doigt
- 17 mai 2016 : Dentexia : les victimes maintiennent la pression
- 24 novembre 2016 : Procédure d’indemnisation ouverte pour les victimes de Dentexia
- 21 septembre 2018 : Le fondateur des centres dentaires Dentexia mis en examen et écroué


La retranscription intégrale de l'entretien avec Abdel Aouacheria

Bonjour à tous et bienvenue dans ce nouveau rendez-vous de 6 minutes chrono. Nous accueillons aujourd'hui Abdel Aouacheria, chercheur et président de l'association La Dent Bleue. Bonjour.

Bonjour merci pour l'invitation.

L'affaire Dentexia est le plus grand scandale dentaire de France. Lyon Capitale le dossier depuis 2014. Une instruction judiciaire est en cours depuis 2016. Dentexia c'est le nom des centres dentaires low cost qui promettaient des soins dentaires à prix très bas. Sauf que, dans les faits, des milliers de patients ont été les victimes de ces centres qui finalement sont plus des centres pour je reprends l'expression "pompes à fric" que des soins dentaires. La Dent Bleue, seule association française de représentation de la patientèle du dentaire, a rencontré le 3 mai dernier le premier vice-président du tribunal judiciaire de Paris pour faire un point sur cette affaire. Première question est-ce qu'un procès va bien avoir lieu sur l'affaire Dentexia ?

La réponse, a priori, est oui. On a été rassuré sur le fait qu'un procès se tienne bien par rapport à l'affaire Dentexia. C'est évidemment très important puisque pour les victimes, d'une part, il ne pouvait pas en être autrement, et puis aussi pour les victimes de tous les autres centres dentaires associatifs à but non lucratif qui fonctionnaient ou qui fonctionnent encore sur le même système que Dentexia. Donc il est tout à fait attendu que ce procès soit exemplaire pour permettre à la fois que justice soit rendue dans l'affaire Dentexia mais aussi de manière à présager ce qui pourrait se passer au niveau de la justice pénale dans les années à venir pour d'autres scandales similaires.

1 581 plaignants ont été recensés. Il y a 50 tomes sur le bureau des juges. C'est quand même une affaire tentaculaire. Alors il y a quand même deux volets dans ce dossier. Il y a effectivement un volet judiciaire et un volet médical avec près de 1 600 plaignants, dont certains se sont retrouvés sans dents depuis des années. Alors sur le volet judiciaire sur quelles qualifications les Dentexia la direction les employés pourraient être poursuivis ?

Alors, il y a onze qualifications je ne vais pas toutes les nommer. Mais on retrouve du côté judiciaire financier l'escroquerie en bande organisée, du blanchiment, de la tromperie sur prestations. Et du côté sanitaire comme vous l'avez indiqué on retrouve l'exercice illégal de la profession de dentiste, des violences volontaires et involontaires. Donc on retrouve tout le panel de ce qu'on trouve dans d'autres scandales. Donc à la fois commerciaux et puis sanitaires. Comme on a pu le rencontrer avec le procès des dentistes Guedj père et fils et du "boucher de Nevers". Donc on retrouve ces deux versants. Et c'est ce qui fait comme vous l'avez indiqué que le procès Dentexia est éminemment singulier puisqu'il est tentaculaire il est multifacette. Il est compliqué pour la justice et ça on l'entend bien par son caractère inédit et massif. Parce que le chiffre que vous avez prononcé est tout à fait juste : il y a 1 581 plaintes déposées au tribunal judiciaire de Paris avec plus de 500 constitutions de parties civiles. Ce qui fait que l'affaire Dentexia est le plus gros scandale sanitaire dans le secteur dentaire à ce jour.

De cette rencontre au tribunal judiciaire de Paris j'imagine qu'il y a eu des points qui vous ont, l'association de la Dent Bleues, rassurés quant à la suite des événements. En revanche est-ce que vous avez des inquiétudes ou des attentes particulières et notamment sur ce volet médical qui peut être un peu complexe ?

Alors oui on a à la fois des inquiétudes et des attentes. Du côté des inquiétudes c'est qu'on a compris, on l'avait un petit peu présagé, mais on l'a compris que la justice étai noyée sous la somme en fait, vous avez nommé ce volume de 50 tomes qui correspondent aux archives et aux documents liés à l'affaire, et c'est vrai que pour la justice française, qui manque cruellement de moyens, c'est extrêmement compliqué de faire face à une telle enquête. Donc on a entendu ça et ça nous a vivement inquiétés. Ça c'est la première inquiétude. Il y a une deuxième inquiétude aussi, c'est que le parti pris de la justice c'est de se dire puisque c'est très compliqué d'aller affronter et d'aller mener l'enquête sur tous les fronts, on va choisir en fait un axe. Et l'axe le plus simple, le plus linéaire, c'est de se dire qu'on va investiguer du côté des malversations financières ,que vous-même à Lyon Capitale vous avez bien décrite en 2014 en fait. Donc reprendre encore une fois ce volet-là, avec la nébuleuse de sociétés commerciales qui gravitait autour de Dentexia, essayer de comprendre qui sont les protagonistes qui ont versé dans ces malversations pour essayer de les incrimine,r les mettre en examen et les punir. Mais évidemment, ce n'est pas suffisant pour les victimes puisque les victimes ont souffert à la fois dans leur porte-monnaie mais surtout dans leur chair. On les a considéré comme des porte-implants, on les a considérées comme des objets finalement sur lesquels on pouvait travailler au plan médical en arrachant des dents et en posant des implants et des prothèses contre de l'argent. Évidemment, ça génère des souffrances bio-psychosociales c'est-à-dire physiques, psychologiques et sociales, pour l'entourage au sens large personnel professionnel. Et ce sont ce type de souffrances qui pour l'instant sont compliquées à appréhender puisqu'il faut passer des expertises, des contre-expertises : c'est extrêmement long, la justice doit diligenter ses expertises médico-judiciaires, les partis peuvent faire appel. Et donc ça rallonge des délais. Et pour 1 581 plaintes on se rend bien compte que c'est compliqué de pouvoir condenser tout ça. Donc notre inquiétude et notre attente les plus vives aujourd'hui, c'est que la justice tienne compte d'abord de la souffrance physique, psychologique et sociale des victimes par tous les moyens possibles, et que justice soit rendue sur ce plan pour un motif qui nous paraît à la fois évident, mais qu'il convient de rappeler, c'est que pour une victime il n'est possible de sortir de sa condition de victime que si la justice reconnaît ce statut de victime. On a ici une sorte de circularité qui se met en place mais qu'il est nécessaire de rappeler. La justice sert à ça et pas uniquement pour aller regarder et reconnaître l'escroquerie. Il faut reconnaître la souffrance. Et c'est ça qu'attendent les victimes aujourd'hui. C'est ça.

Et qu'effectivement pour conclure c'est que les ex-patients de Dantexia puissent s'éprouver juridiquement comme victimes. Abdel Aoucheria. Le 6 minutes chrono touche à sa fin je sais qu'il y a beaucoup de choses à dire en tout cas si vous voulez beaucoup plus d'informations ça sera effectivement dans lioncapital.fr dans l'article en amont de cette vidéo merci Abdel Laoucheria en tout cas d'être venu sur le plateau.

Merci à vous pour votre travail.

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