Myriam Picot est présidente de la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme) Auvergne-Rhône-Alpes. Dans le contexte de l’importation du conflit israélo-palestinien en France, l’ex-bâtonnière de Lyon et ancienne vice-présidente de la Métropole de Lyon dresse un constat alarmant sur la fragmentation de la société française depuis la prise d’otages du 7 octobre par le Hamas.
Lyon Capitale : Depuis le 7 octobre, on observe une montée significative, +192 %, des actes antisémites en France. Comment votre organisation perçoit-elle cette situation ?
Myriam Picot : Le 7 octobre a été une date marquante, provoquant une véritable déflagration du point de vue de l’antisémitisme. À la Licra, nous constatons les conséquences de cet événement dans nos deux champs d’intervention traditionnels : l’éducation à la citoyenneté et l’accueil des plaignants. Historiquement, la majorité des cas rapportés concernaient le racisme, mais depuis cette date, nous recevons de plus en plus de plaintes liées à des actes ou propos antisémites. Ce basculement témoigne de l’ampleur des tensions importées sur notre sol, et il est essentiel d’y répondre avec fermeté. Il ne s’agit pas seulement de réagir à des actes isolés, mais de traiter les causes profondes, qu’elles soient culturelles, sociales, religieuses ou liées à des discours radicaux.
Concrètement, quels types d’actes antisémites constatez-vous actuellement ?
Il y a les inscriptions et tags haineux que l’on découvre sur des murs ou des devantures, comme ce fut le cas sur un restaurant vandalisé à Villeurbanne à l’automne 2024. Il y a aussi les menaces de mort. Cela se passe jusque dans les écoles où il arrive que des enfants soient harcelés parce que juifs ou supposés juifs. À tel point qu’à la Licra, nous avons dû intégrer la lutte contre le harcèlement scolaire comme problématique nouvelle. Je pense que lorsqu’on commence à s’en prendre aux enfants, c’est que l’on passe un cap inquiétant. Mais il y a aussi un antisémitisme plus insidieux et plus envahissant, qui s’exprime via les réseaux sociaux. Les campagnes de harcèlement en ligne ciblent des personnalités comme des citoyens lambda simplement en raison de leur origine ou de leur soutien à l’État d’Israël. Ces actes, combinés à une atmosphère générale de haine, poussent certains membres de la communauté juive à envisager un départ. De nombreuses familles, sans pour autant être particulièrement religieuses, nous disent qu’elles pensent à faire leur Aliyah, c’est-à-dire à partir vivre en Israël, car elles ne se sentent plus en sécurité en France. Elles doutent de la possibilité qui leur est laissée de vivre librement en France, y compris dans leurs pratiques religieuses, ou dans leurs traditions. C’est un signal extrêmement préoccupant, car cela traduit une perte de confiance dans les valeurs de notre République.
Souscrivez-vous au constat de Jérôme Fourquet, le directeur de l’Ifop, qu’il y a une archipélisation de la société française ?
Oui, et le processus de communautarisation s’accentue davantage s’il n’y a pas un réflexe de solidarité de la part des Français. Quand il y a eu les attentats à Charlie Hebdo et à l’hyper casher, on a vu plus de 4 millions de Français dans la rue les 10 et 11 janvier 2015. Toutes les forces politiques s’y trouvaient, outre de nombreux citoyens s’étant joints spontanément. Ce n’est plus vrai aujourd’hui. Les Français ne sont pas forcément au rendez-vous à l’heure où l’antisémitisme croît. C’est aussi peut-être lié au fait que l’on soit plus éloigné dans le temps du traumatisme de la Deuxième Guerre mondiale. Bien sûr, la Shoah est présente dans les livres d’histoire mais je trouve que le réflexe de solidarité avec les juifs a diminué dans la société civile. Regardez toutes les manifestations qu’a organisées le Crif pour la libération des otages détenus par le Hamas ou pour dénoncer l’antisémitisme, il n’y a pas eu de mouvement populaire d’ampleur.
Pourquoi une telle réserve de la part des Français selon vous ?
L’importation du conflit israélo-palestinien fait des ravages. Depuis le terrain politique, des idées se diffusent dans la société, même chez des non-militants. Ces idées, si on les éclaircit, font porter aux citoyens juifs français une part de responsabilité de la politique israélienne, notamment sur les bombardements massifs à Gaza, provoquant la mort d’importantes populations civiles, y compris des enfants. Il y a un amalgame qui est fait entre les juifs français et la politique de Benyamin Nétanyahou, qui est pourtant contestée par de nombreux juifs en France comme en Israël, où des manifestations se tiennent chaque semaine. J’ai l’impression qu’on leur fait vraiment porter cette responsabilité. On le voit jusque dans les écoles où lorsque nous intervenons et que nous parlons du génocide de la Shoah, des gamins nous disent qu’il y a aussi un génocide palestinien à Gaza. Comme s’il s’agissait de poids équivalents sur la balance de l’histoire.
On entend parfois que la gauche a délaissé la lutte contre l’antisémitisme, laissant les citoyens juifs se sentir isolés. Que pensez-vous de cette perception ?
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