© Muriel Chaulet

Tiago Guedes, nouveau directeur de la Maison de la danse : “Lyon, une fabrique de la danse du futur”

Tiago Guedes, nouveau directeur de la Biennale et de la Maison de la danse de Lyon, livre quelques axes de son projet ON(L)Y Danse – un futur partagé pour la danse à Lyon qui fait la part belle au développement de la culture chorégraphique à Lyon et à l’international.

Danseur et chorégraphe entre 2001 et 2013, le Portugais Tiago Guedes (44 ans) a été directeur artistique du Teatro Municipal do Porto (2014-2022), directeur du Département des arts de la scène de la ville de Porto (2019-2022) et a créé, en 2016, le festival DDD (Dias da Dança). Approuvé à l’unanimité par le jury, son projet propose de donner aux trois entités – Maison, Biennale et Ateliers de la danse – une identité unique, porté par l’envie de développer une culture chorégraphique auprès de différents publics en créant des projets audacieux aussi bien localement qu’à l’international. Placer les artistes au cœur du projet est un axe fort, comme celui d’intégrer la jeunesse dans le choix de sa programmation. La structuration d’un pôle de production accompagnant les artistes, qui n’en ont pas les moyens, dans leur développement et leur diffusion en est un autre qui révèle une attention à leurs conditions de création, avec un réel désir de nous faire découvrir de nouvelles formes chorégraphiques. Entretien.


Lyon Capitale : Vous prenez la direction de la Maison de la danse avec les mêmes contraintes qu’avait Dominique Hervieu, celles d’une structure en grande partie en autofinancement dont la salle ne peut accueillir de spectacles ayant des jauges plus petites sans prendre de risques financiers. Comment voyez-vous sa programmation en attendant que les Ateliers de la danse ouvrent, en octobre 2025 ?

Tiago Guedes : La programmation de la Maison de la danse ne se fera pas dans la révolution mais avec des changements qui, petit à petit, iront jusqu’à l’ouverture des Ateliers. Je précise que mon projet est global, il ne sépare pas la Maison de la danse de la Biennale ni des Ateliers, il est construit sur plusieurs niveaux d’échelles et est également fondé sur cette idée d’aller au-delà des murs de la Maison.

Tout ce que nous allons mettre en place dès maintenant sera une préfiguration pour l’ouverture des Ateliers et la Biennale 2025. Elle reste la maison de toutes les danses, du monde entier, avec de grandes compagnies que le public connaît et aime, la Biennale demeurant un moyen de présenter des compagnies moins connues que l’on veut défendre.

Le festival Sens Dessus Dessous, qui se déroulait en mars durant dix jours, n’existera plus, les spectacles qui y étaient programmés le seront durant toute la saison, notamment dans le cadre de collaborations que je souhaite développer avec d’autres structures comme l’Opéra, Les Subs, le théâtre de la Croix-Rousse, le TNP… Ainsi, ces compagnies émergentes intégreront peu à peu la programmation au global et ce dès la saison 2023-2024 qui sera la mienne puisque celle qui vient est encore celle de Dominique Hervieu.


"Mon souhait est d’avoir des artistes au cœur du projet avant même qu’il y ait des bâtiments."


Et vous créez un nouveau temps fort : le 8e Festival !

Oui, ce sera un temps fort à l’échelle du 8e arrondissement, en préfiguration toujours des Ateliers car d’ici trois ans, il y aura, entre autres, un grand studio de création avec 400 places où l’on pourra présenter d’autres projets.

On va investir de nombreux lieux, la MJC, le théâtre du 8e, les écoles, les lycées, les Ehpad… avec des contraintes techniques moins lourdes et aussi des projets participatifs. Ce sera un événement au croisement des disciplines où le corps, et non pas la danse, est au centre des propositions. Les artistes seront locaux, nationaux et internationaux et ce sera probablement en mai.

Dans votre projet, vous évoquez la structuration d’un pôle de production commun aux trois entités, il n’existait pas déjà ?

Il existe le Pôle européen de production qui permet des coproductions dans le cadre de la Biennale et de la Maison de la danse afin que les artistes créent leur spectacle. Je souhaite aller plus loin avec un pôle qui défend certains artistes, les aide à structurer leur compagnie, leur manière de travailler, à trouver des moyens financiers et aussi, pourquoi pas, à la diffusion. En les accompagnant ainsi pendant deux ou trois ans, on va au-delà de la coproduction, d’autant qu’ils pourront aussi être basés aux Ateliers.


"Une carte blanche pour découvrir l’univers d’un artiste"


La présence d’artistes associés sera très forte, comment se fera cette collaboration ?

Mon souhait est d’avoir des artistes au cœur du projet avant même qu’il y ait des bâtiments. Parmi les plus grands, il y aura Lia Rodrigues, Jan Martens, François Chaignaud, Phia Ménard.

Dans le cadre d’un projet que je nomme “Cosmologie”, on verra par exemple un grand spectacle de Lia Rodrigues lors de la Biennale 2023 et à partir de là, elle viendra chaque saison avec un répertoire que l’on n’a pas vu à Lyon mais aussi des artistes qu’elle défend. Ce sera une carte blanche pour découvrir l’univers d’un artiste.

Si ceux-là n’ont pas besoin de nous pour se structurer, d’autres artistes associés démarrent : le Portugais Marco da Silva Ferreira que l’on va découvrir en octobre avec les danseurs sud-africains de Via Katlehong, Nach qui est déjà associée, Dorothée Munyaneza, une chorégraphe française/rwandaise qui mêle magnifiquement musique, danse et théâtre, Vincent Dupont que j’inviterai à imaginer des projets pour Numeridanse et le Collectif ÈS, trois jeunes Lyonnais qui mélangent les cultures populaires. Ils développeront notamment un projet artistique du suivi du chantier des Ateliers avec les usagers du quartier mais aussi les ouvriers.

© Oliveira/Global Imagens

Vous intégrez des jeunes dans la conception de vos projets, pourquoi ?

D’une part pour faire évoluer le public parce qu’il vieillit. D’autre part car les jeunes sont très sollicités par les réseaux sociaux, les films, et ne choisissent pas forcément de venir aux spectacles. Ce sont de futurs adultes et on veut être à leur écoute. Nous allons créer un comité artistique dès octobre 2023 avec un projet qui s’appelle “À Toi” où dix jeunes entre 16 et 17 ans nous accompagneront pendant deux saisons de plusieurs manières comme dans les pratiques amateurs ou la découverte avec nos équipes du fonctionnement d’un théâtre.

Durant tout ce temps, on les écoutera sur des questions qui les intéressent : sexuelles, sociales, environnementales, puis notre équipe de programmation ira à la recherche de spectacles autour de ces thématiques, ainsi ils choisiront trois spectacles pour la Biennale 2025 dont ils seront les ambassadeurs, c’est l’émancipation par le choix. Il y a cette idée que cela se termine quand ils deviennent de jeunes adultes et le groupe changera tous les deux ans.


“On verra par exemple comment travaille un artiste en Amazonie ou un aborigène en Australie”


Vous voulez que la Biennale de la danse soit un forum d’observation sur l’état du monde, elle ne l’était pas jusqu’à présent ?

Si, mais je rajoute des couches. Avec la formation notamment, profiter de la présence de grands artistes pour que les danseurs de Lyon et d’ailleurs partagent leurs pratiques dans des workshops avec par exemple Maguy Marin ou Lia Rodrigues, qui ensuite iront voir leurs spectacles.

Une autre couche avec le déploiement de la danse pour l’espace public dans le projet “Vu” ! Puis il y a la couche de réflexion avec le forum pour aller au-delà de la temporalité de la Biennale qui dure trois semaines : qu’est-ce qui peut exister entre deux Biennales ? Quel pourra être son rôle ? Moi, je veux qu’elle soit un moyen de penser le monde à partir de notre corps…

Vous allez développer des cycles d’observation et d’accompagnement à la création chorégraphique dans d’autres pays entre chaque Biennale…

Oui, à partir de 2023, des cycles de deux ans au cours desquels j’invite cinq programmateurs de cinq pays différents – on démarre avec le Brésil, le Mozambique, Taïwan, les USA et l’Australie – qui proposent chacun un artiste de leur pays. Des attachés culturels se joignent à eux avec également des partenaires, comme par exemple le théâtre de Rio. Nous développerons tous ensemble des projets avec ces artistes qui ont d’autres pratiques de la danse que les nôtres. Ils se dérouleront in situ devant les publics locaux. On découvrira tout cela pendant les trois jours du forum au travers de spectacles, films, workshops, conférences…

On verra par exemple comment travaille un artiste en Amazonie ou un aborigène en Australie, quelle est la création hors des grands centres européens. Ainsi, la Biennale continue d’exister dans cinq endroits du monde entre chaque édition. On va aider au développement de la danse au sein d’autres pays et cela m’intéresse notamment parce que ça va nous inspirer, nous sortir d’un état d’esprit où l’on voyage pour choisir des spectacles dans le seul but de monter une programmation.


"À Lyon, on a un patrimoine énorme avec la danse des années 80"


De quoi avez-vous envie finalement pour la danse à Lyon ?

J’ai envie de souligner l’importance de la danse à Lyon, qu’elle soit un prescripteur pour le futur, on a un patrimoine énorme avec la danse des années 80, maintenant il faut assumer Lyon comme une fabrique de la danse du futur, que tout le monde sache que c’est ici que la danse se fait.

Même si Chaillot et d’autres théâtres en programment, c’est exceptionnel ce qui se passe ici, dans cette capitale pour la danse, c’est une chance pour tous et c’est très excitant. En plus, il y a beaucoup de collaborations possibles avec les autres théâtres, avec des gens qui ont dans leur ADN le travail en partenariat et ça c’est génial car ce n’est pas souvent le cas. C’est important car il y a des projets que peut-être aucun de nous ne pourrait entreprendre tout seul. Je sens ici une grande volonté de représenter une actualité, en partage et en coréalisation…


 

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