Bertrand Tavernier : " Un film américain à l'ancienne "

Celui de tourner à la sauce américaine. Le réalisateur lyonnais avait déjà laissé entrevoir sa fascination pour la culture ciné américaine : son dernier livre " Amis américains " retraçant plusieurs itinéraires de grands cinéastes hollywoodiens. Dans la Brume Electrique, grâce à une atmosphère moite d'une Louisiane plus vraie que nature, Tavernier nous plonge dans une Amérique décadente, là où les bayous et marécages fréquentent les crimes et l'alcool. Un polar de bonne facture, étouffant et mystique, à découvrir dans les salles le 15 avril prochain. Pour l'occasion, Lyon Capitale a rencontré le réalisateur, pour une immersion verbale 100 % yankee.

Lyon Capitale : Pourquoi avoir adapté un roman phare de Burke ?
Bertrand Tavernier : J'ai hésité entre deux romans de Burke, celui là et Dixie City. En le lisant, je me suis dit " tiens, voilà un auteur que j'ai envie de filmer ", son style est magnifique. Dixie City évoque la recherche d'une épave de sous-marin, cela induisait beaucoup de scènes sous l'eau et d'effets spéciaux plus ou moins maîtrisés. Alors que Dans la brume électrique est un film qui ne nécessitait pas d'effet spécial. C'était un peu le pari que je m'étais fait : un vrai film américain à l'ancienne, en vrai scope, sans étalonnage numérique, selon des méthodes artisanales. Pour ne pas rajouter d'orage, de paysage en effet spécial, comme dans Australia qui sont tous refaits. Pour moi, le recours numérique nous éloigne du plateau et encourage la paresse.

LC : Comment s'est passée la rencontre avec James Lee Burke ?

BT : J'étais très impressionné évidemment mais Burke est un auteur qui tout de suite brise la glace. Il n'arrête pas de rire, il raconte des histoires formidables, son rire est magnifique. On ne peut pas être intimidé avec lui.

LC : Passer à l'heure américaine pour un réalisateur, ça fait quel effet ?

BT : Pour ce film, j'étais obligé de tourner à l'américaine, le livre de Burke fait beaucoup de références à la Louisiane, à des mœurs, des périodes, la guerre de Sécession. A l'époque de Coup de Torchon, je ne me sentais pas assez armé pour tenter le coup aux Etats-Unis mais après Autour de Minuit, j'ai eu plus d'expérience, je connaissais plus de choses et je me suis dit que là je pouvais le faire. Mais ce n'est pas l'amour du cinéma hollywoodien ou la volonté de m'imposer là-bas qui a suscité ce film, mais le choc éprouvé devant les livres de Burke. Mais là-bas, j'ai découvert la discipline, la lourdeur des règles syndicales. Il y a aussi beaucoup d'absurdités, leur méthode de tournage est très particulière. Dès que l'on arrive dans un décor, automatiquement, ils vous disent où est le master shot (ndlr : l'angle global d'une scène), où faire la couverture... Moi, je ne pense pas en ces termes là. Tourner chez eux équivaut à un entraînement. De plus, il faut avoir les moyens pour tourner là-bas, l'inscription à la Director Guild of America coûte 53 000 dollars, ils prennent ensuite 1.5% de notre salaire, plus une somme mensuelle.

LC : Vous êtes-vous inspiré du travail d'adaptation de grandes œuvres littéraire pour ce film ? On peut penser à Ellroy que vous appréciez, adapté récemment par De Palma...
BT : Pas vraiment, je regrette que Brian de Palma ait loupé le Dahlia Noir alors que Curtis Hanson avait réussi LA Confidential. Il l'a loupé par arrogance, il s'est senti supérieur au matériau de base, il a voulu faire le malin, mais on ne fait pas le malin avec Ellroy. Pour James Lee Burke, c'est pareil, il faut le respecter. La première adaptation de Burke, Prisonniers du Ciel, était extrêmement aseptisée, jusque dans les décors de la Nouvelle Orléans déjà vus cinquante fois. Et Alec Baldwin faisait touriste yankee qui passait une semaine de répit en Louisiane, comme le dit Tommy Lee Jones. C'est pourquoi j'ai pris des gens du coin pour mon film, même les musiciens étaient natifs des villes où je tournais, Clifton Chénier ou Nathan et ses Zydeco cha chas.

LC : Pour avoir Tommy Lee Jones en héros de son film, il faut se lever tôt, non ?

BT : Pour moi ça a été tout de suite évident : je n'ai pensé qu'à Tommy Lee. J'ai eu très peur de ne pas l'avoir parce que c'est un acteur très convoité, alors j'ai songé un temps, par dépit, à Billy Bob Thornton. Mais vraiment, il n'y avait que Tommy Lee Jones pour ce rôle. Burke s'en fichait mais sa communauté de supporters espérait également voir Tommy Lee dans la peau de Robicheaux. Alors que ses fans ont hué Baldwin pour Prisonniers du Ciel. Tommy Lee est le Robicheaux définitif, sans modestie aucune.

LC : Tommy Lee Jones incarne un lieutenant silencieux mais violent, perché mais lucide. Un portrait brossé loin des stéréotypes de flics...

BT : Oui, Robicheaux est plus proche de Maigret que d'un flic des Experts. C'est un personnage qui m'a attaché immédiatement, le cadre où il vivait, sa relation avec sa femme Bootsie et sa fille Alafair, ses préoccupations, sa foi catholique. Instantanément, je suis tombé en amitié avec Robicheaux. Burke m'a dit que c'était le personnage dont il était le plus fier. Il a raison, c'est l'une des plus belles créations littéraires depuis Philip Marlowe.

LC : Dans le film, il y a cette moiteur caractéristique de la Louisiane qui participe à l'atmosphère fantomatique du film. Le tournage dans la région a-t-il été aussi étouffant ?
BT : C'est Burke qui m'a parlé de New Iberia, personne n'avait tourné là-bas. C'est une région qui aurait pu être inventée dans ses rêves les plus fous par un Karl Marx surréaliste. On tournait dans les bayous, l'odeur des marécages était très prenante. L'endroit était parfait pour créer cette atmosphère noire et décadente.

LC : Vous êtes un réalisateur très connu en France, mais moins de l'autre côté de l'Atlantique. L'équipe avait t-elle vu vos films ?

BT : Mon assistant, Phil, a vu Capitaine Conan et La Vie Et Rien d'Autre, il les a trouvé étonnants. James Lee Burke a, pendant le tournage, revu Autour de Minuit et La Vie Et Rien d'Autre. J'ai vu qu'il avait aussi le dvd d'un Dimanche à la Campagne. Mais on parlait peu de mes films, je n'allais pas le questionner, j'avais tellement d'autres choses à lui demander, depuis l'histoire de l'Ouest à celle de la Louisiane, il m'expliquait la vie des gens de New Iberia. Il m'a permis de m'enfoncer complètement dans ce monde, de le comprendre, ça a été un guide exceptionnel.
LC : Le film sera-t-il une parenthèse américaine ?
BT : Aucun film n'est une parenthèse, c'est un film qui m'a beaucoup apporté, il y a eu un truc fort avec James Lee Burke, les acteurs, Tommy Lee Jones, avec ce sujet, cette culture. Chacun des films que je fais, c'est comme mon premier film : on met tout à plat, on avance sans aucune recette, sans imposer des règles. C'est un film qui certainement me servira si je continue à faire des films.
Dans la brume électrique
De Bertrand Tavernier. Avec Tommy Lee Jones, John Goodman, Peter Sarsgaard, Mary Steenburgen, Justina Machado...
Sortie nationale : le 15 avril 2009.

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