Étudiants à l’École nationale supérieure des beaux-arts de Lyon © Ensba Lyon

Bernhard Rüdiger : "Les écoles d'art sont en danger"

L'artiste et professeur aux Beaux-Arts de Lyon Bernhard Rüdiger a rédigé une tribune, avec d'autres professionnels, pour alerter la ministre de la Culture sur la nécessaire évolution des statuts des enseignants en école supérieure d'art. Car selon lui, au-delà de la question des rémunérations et du nombre d'heures d'enseignement, c'est l'avenir des écoles d'art et de la culture pour tous qui est en danger.

Dans un courrier en forme de tribune, signé par des centaines d'artistes et d'enseignants, vous interpellez Françoise Nyssen, ministre de la Culture, sur le statut des enseignants en écoles d'art. En quoi pose-t-il problème?

Cette question du statut est très ancienne, mais elle est revenue sur la table récemment, à l'occasion de l'évolution du statut des enseignants qui oeuvrent dans les dix écoles nationales, historiquement gérées en direct par le ministère de la Culture [celles de Cergy, Bourges, Nancy, Limoges, etc. - voir la liste ici, NDLR]. Eux ont un statut plus intéressant que ceux qui, comme moi, enseignent dans des écoles territoriales, dont le budget est géré par les collectivités. Par exemple, on leur demande une présence de 14 heures face aux élèves contre 18 heures pour nous... Mais ce n'est qu'un détail d'une réforme plus large qu'il convient de mener pour achever la réforme LMD dans les écoles supérieures d'art.

À droite, Bernhard Rüdiger, aux Beaux-Arts de Lyon © Ensba Lyon

C'est-à-dire ?

Depuis dix ans, les écoles d'art françaises se sont pliées au cadre européen, en faisant évoluer leur diplômes vers des équivalents licences (L) et masters (M). Il nous reste à mettre en place le D, le doctorat, c'est-à-dire un diplôme lié à la recherche. Or notre statut d'enseignant ne nous permet pas, officiellement, de valider des diplômes de recherche. Les écoles d'art ne peuvent donc pas poursuivre la réforme LMD... Dès lors, elles pourraient perdre à terme leur habilitation à délivrer des diplômes. À Lyon par exemple, j'anime une unité de recherche, mais hors du cadre prévu. Cela ne peut pas durer.

Concrètement, que faudrait-il faire ?

Nous demandons un statut d'enseignant-chercheur unique, avec une décharge horaire, qui permette à la fois d'enseigner et de faire de la recherche, et une habilitation à la recherche qui soit attachée à ce statut. Cela aussi pour perpétuer la spécificité française de l'enseignement artistique, qui produit d'excellents résultats : les professeurs sont en grande majorité des professionnels en activité, artistes, designers, théoriciens, ce qui donne sa vitalité à l'enseignement, et offre un premier réseau professionnel aux étudiants.

Mais cette évolution a un coût.

Bien sûr, l'impact serait important sur l'enveloppe de rémunération des enseignants. Mais des solutions existent : l'État pourrait prendre en charge les salaires, ou il pourrait négocier avec les Régions au cas par cas pour trouver un équilibre... Pour l'heure, il y a un blocage au niveau technique, car notre demande vient en écho avec la question, très tendue au gouvernement en ce moment, des territoires et de la fonction publique territoriale. Et surtout, il y a un blocage au niveau politique, car les ministères se renvoient la balle et personne ne prend le risque d'avancer. Il faut que la décision vienne du sommet de l'État et soit mise en oeuvre de manière interministérielle.

Vous dites que les écoles d'art sont en danger. N'est-ce pas exagéré ?

Non, car si les écoles ne sont pas habilitées à délivrer des diplômes LMD, elles ne pourront que fermer. Les collectivités ne les soutiendront plus et laisseront le champ du design aux écoles privées. Fini l'art dans les territoires en difficulté ! À Lyon, la Ville et la Métropole font beaucoup pour la culture, l'urgence est moins criante. Mais dans des villes plus modestes comme Pau ou Valenciennes, les écoles ont beaucoup plus de difficultés. Aujourd'hui, on compte 45 écoles supérieures d'art qui maillent tout le territoire français, et qui accueillent un bon tiers d'étudiants boursiers. Elles portent l'ambition de la ministre et du président de rendre la culture accessible à tous. Et on ne les aide pas ? Elles ont profité de la réforme LMD pour devenir des structures à la pointe de l'innovation, et dont les élèves, s'ils ne deviennent pas tous artistes, bien sûr, trouvent à s'insérer voire à inventer leur métier. Et on ne veut pas les aider à finir cette construction en valorisant la recherche ? C'est incompréhensible.

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