Traitements et vaccins : les laboratoires de Lyon aux avant-postes

Terre du premier cluster haut-savoyard infectieux de Covid-19, la région Auvergne-Rhône-Alpes a tout de suite réquisitionné les méninges de ses plus brillants cerveaux pour contrer la propagation du Coronavirus. À Lyon, des chercheurs académiques sont mobilisés, en lien direct avec le ministre de la Santé, sur des projets particulièrement ambitieux de recherche de traitements. En parallèle, l’écosystème local, adossé aux industriels de la santé publique, œuvre au développement de tests de dépistage et de vaccins.

Début mars, le coronavirus semble encore loin de l’Hexagone ; qui regarde l’Italie avec condescendance, un peu comme toujours. Dans les laboratoires lyonnais pourtant, les chercheurs font déjà valser leur blouse depuis plusieurs semaines entre les rayonnages de tubes à essai. Aux sièges de bioMérieux et Sanofi mais aussi à l’hôpital de la Croix-Rousse ou au laboratoire de l’Inserm VirPath, le Covid-19 est analysé, disséqué, manipulé pour être compris avant même son arrivée massive sur le territoire national. De quoi prendre quelques longueurs d’avance qui feront, les semaines suivantes, de Lyon la capitale – et pour une fois ce n’est pas chauvin – de la lutte contre le Covid-19. Diagnostic, traitement, vaccination, la recherche lyonnaise intervient sur tous les maillons de la chaîne de santé publique.

Et lutter contre une épidémie implique évidemment de la détecter, même si la France n’a pas opté pour une politique de dépistage massif comme en Allemagne ou en Corée (lire par ailleurs). Dès le mois de janvier donc, la société bioMérieux, implantée à Marcy-l’Étoile, et qui compte parmi les leaders mondiaux du diagnostic in vitro, a logiquement saisi l’opportunité de développer des tests. Comme elle l’avait fait pour Ebola. Mais c’est l’expérience d’une autre épidémie mondiale qui a nourri les chercheurs. “Lors de l’épidémie liée à un autre coronavirus, le MERS-CoV qui a touché le Moyen-Orient en 2012, nous avions développé un test moléculaire destiné à faire face à l’émergence soudaine de cet agent pathogène, nous raconte François Lacoste, directeur exécutif R&D. Cette expérience nous a permis, dans le cadre de l’épidémie actuelle liée à ce nouveau coronavirus, de réagir très rapidement.

La publication de la souche du virus par un laboratoire chinois le 12 janvier, puis son isolement par l’institut Pasteur, le 31 janvier, a permis de lancer les recherches. Le 11 mars, l’entreprise annonce trois tests à venir, dont le premier pour la fin du mois. Un plan présenté par Alexandre Mérieux au président de la République la semaine précédente, lors de sa réunion avec les industriels français de la santé. Le test SARS-COV-2 R-GENE, c’est son nom, est disponible pour les laboratoires privés et hospitaliers. Il fonctionne par prélèvement nasal et fait l’objet d’un marquage CE, certifiant sa conformité avec les exigences du marché européen, en attendant l’autorisation de la FDA américaine. Il offre “un diagnostic fiable du SARS-CoV-2” assure l’entreprise. Développé à Grenoble, il est produit en Ariège, sans aide financière de l’État. Le deuxième test permettra d’avoir un diagnostic plus rapidement, en moins d’une heure, alors que le troisième sera intégré à un système de dépistage plus large de 22 pathologies.

Le virologue Bruno Lina, co-directeur du laboratoire lyonnais VirPath @MaxPPP

L’oreille du ministre

Ce même 11 mars, c’est un autre Lyonnais qui saute dans le train pour Paris, alors que le ministre de la Santé, Olivier Véran, installe le conseil scientifique qui doit l’entourer durant les semaines de crise. De la matière grise comme cellule de crise pour plancher sur les réponses médicales à apporter. Le virologue Bruno Lina, co-directeur du laboratoire lyonnais VirPath, fait partie de cette dizaine d’experts qui chuchotent à l’oreille du ministre et du président. “Le conseil scientifique a vocation à éclairer la décision que doit prendre le politique, mais il ne s’y substitue pas, nous explique le ministère de la Santé. Il formule des recommandations prenant en compte l’ensemble des domaines des chercheurs qui le composent. Ils remontent ce qui se passe quotidiennement dans leur branche.

Parmi les remontées de terrain, Bruno Lina tient évidemment informé l’exécutif de l’avancée de l’essai clinique qui se prépare sur la colline de la Croix-Rousse. Baptisé Discovery, c’est le plus important d’Europe et le plus ambitieux des 20 projets du consortium Reacting mis en place par l’Inserm. Il est conduit sous la direction du professeur Florence Ader, cheffe adjointe du service des maladies infectieuses et tropicales de la Croix-Rousse. Discovery fait partie des 11 projets à avoir reçu un financement (9 millions d’euros en tout) du ministère de la Santé, le 25 mars, tout comme l’essai de la chercheuse stéphanoise Elisabeth Botelho-Nevers, qui doit permettre de “réduire l’incidence des infections à SARS-CoV-2 chez les soignants exposés”.

Florence Ader

Des premiers résultats début mai

Discovery doit intégrer à terme 800 patients en France et 3 200 sur le continent, qui recevront des traitements expérimentaux de molécules déjà connues et repositionnées (lire par ailleurs). “Cet essai va proposer quatre traitements. Des molécules ou combinaisons de molécules qui ont une activité sur le SARS-CoV-2”, explique Florence Ader. Outre leur efficacité sur le virus, il faudra évaluer la tolérance des patients à leur égard. Les premiers sujets ont été “intégrés” dans l’essai le 22 mars à l’hôpital Bichat, à Paris, et celui de la Croix-Rousse. Cinq autres centres en France participent au test. “Les patients sont inclus sur la base de critères prédéterminés et tout à fait balisés dans le protocole, précise Florence Ader. Il faut avoir des signes respiratoires, notamment ce qu’on appelle une pneumonie, liés à la maladie et/ou avoir besoin d’un support en oxygène. Cela constitue des critères d’hospitalisation et donc un certain niveau de gravité. Ce sont ces malades-là qui ont besoin de traitement.

Quant à la sélection des établissements, elle s’opère en fonction de la cartographie de l’épidémie, mais aussi de la capacité logistique à remonter les données en temps réel. “C’est un essai qui est randomisé, ajoute Florence Ader. Chaque patient va se voir allouer par informatique un bras de traitement [l’essai comporte quatre “bras”, soit quatre groupes, traités chacun avec un des médicaments tests, NdlR]. Le médecin ne choisit absolument pas le bras dans lequel le patient va recevoir le traitement. Ainsi nous pouvons échantillonner l’essai et garder de la pertinence scientifique.” Les premiers résultats sont attendus à six semaines, début mai donc, avec néanmoins une première évaluation clinique au 15e jour.

Quatre médicaments potentiels

À l’origine l’essai comporte quatre “bras”. “Le premier c’est le Remdesivir, un antiviral conçu initialement pour Ebola mais qui a un spectre d’action plus large, explique Bruno Lina, virologue de l’étude. Il est capable d’interagir avec d’autres virus et de bloquer la réplication des coronavirus. On a des données de résultats in vitro qui sont très, très bons. On espère beaucoup de cette molécule.”

Le deuxième bras c’est le Kaletra, un médicament utilisé contre le VIH qui combine les molécules Lopinavir et Ritonavir. Elles agissent ensemble pour bloquer la réplication du virus. Un premier essai a été réalisé en Chine. Le troisième bras utilise cette même combinaison associée à de l’Interféron bêta. “La maladie a deux phases, une virologique au début pour laquelle on pense que les antiviraux peuvent avoir un effet important, et une seconde, plutôt immunopathologique, avec le syndrome inflammatoire qui prend le dessus et peut entraîner des altérations et des dégradations au niveau pulmonaire, décrit Bruno Lina. Nous espérons que l’Interféron bêta pourra interagir de façon à bloquer ce processus inflammatoire.

Le quatrième bras est un bras de contrôle avec traitement classique des symptômes. Mais cet essai est dit adaptatif. Des bras ont vocation à être coupés s’ils ne fonctionnent pas. D’autres pousseront. Ce fut le cas, au bout de quelques jours à peine, avec l’ajout d’un traitement à l’hydroxychloroquine. “C’est un bras qui a été rajouté à la demande à la fois de l’OMS et de l’État français pour qu’on puisse avoir des résultats fiables sur cette molécule et savoir si elle a un intérêt ou pas”, glisse Bruno Lina. Une manière polie de dire que la pression médiatico-politique engendrée par l’essai du professeur Didier Raoult, à Marseille, a porté ses fruits.

La polémique chloroquine

Fin mars, aux premiers jours du confinement, des files de patients se pressent devant l’institut Hospitalo-Universitaire Méditerranée Infection. Le Pr Didier Raoult y propose des dépistages et des traitements à l’hydroxychloroquine. Une initiative hors de tout cadre réglementaire qui fait grincer des dents à Lyon et dans toute la communauté scientifique. Reconnu pour ses découvertes sur le typhus, le chercheur, en conflit avec l’Inserm, devient l’homme providentiel, et la chloroquine le traitement miracle, sur les réseaux sociaux.

Le 20 mars, il publie avec plusieurs collègues une étude présentée comme encourageante sur l’effet de cette molécule connue et peu chère, principalement produite par Sanofi et utilisée contre le paludisme. L’industriel lyonnais s’est d’ailleurs empressé de faire savoir qu’il pourrait livrer 300 000 doses en stock au gouvernement. De nombreux scientifiques pointent la méthodologie de l’étude, peu robuste avec seuls vingt individus testés dont six sortis avant la fin. “Trois ont été transférés en soins intensifs, un a quitté l’hôpital car il était testé négatif, un a arrêté le traitement à cause de nausées et le dernier est décédé”, comme l’écrivait Olivier Belli, chercheur de l’école polytechnique de Zurich, dans un billet critique sur son blog Mediapart.

Vu l’ampleur de la crise dans laquelle on se trouve les décisions que l’on prend ne se font pas à l’échelle de quelques patients mais de la santé publique nationale, explique-t-il, joint par Lyon Capitale. On doit donc avoir un niveau d’exigence plus élevé que seulement des preuves en demi-teinte.” Les scientifiques ne rejettent pas la chloroquine mais soulignent que rien ne permet alors de garantir son efficacité, et son innocuité. “On a inclus l’hydroxychloroquine dans l’essai Discovery sous la pression politique et médiatique, qui ne repose sur rien, fulmine un chercheur lyonnais. Dire que la chloroquine fonctionne alors qu’on n’a pas de données c’est du délire. Et ça met en difficulté les organisateurs de l’essai clinique parce que les familles exigent que leurs proches soient soignés à la chloroquine.” Politiques et réseaux sociaux se cristallisent, le pays se scinde. “Le médecin peut et doit réfléchir comme un médecin, et non pas comme un méthodologiste”, lâche Didier Raoult dans une tribune du Monde le 25 mars.

Didier Raoult @AFP

Il est regrettable qu’avec cette polémique on soit sorti de l’objectivité, pose Jean-Louis Touraine, député lyonnais et médecin ayant pris part à la recherche contre le sida. Didier Raoult est une sommité internationale. Ce qui compte c’est le fond. Qu’importe si la forme utilisée pour son essai ne colle pas à l’orthodoxie académique, il faut voir s’il y a un bénéfice avec la chloroquine. Il faut analyser les résultats et pour l’instant il n’y en a pas de suffisants.” La molécule pourrait avoir des effets secondaires sur le cœur et les yeux. Didier Raoult balaye : “1 milliard de personnes en ont déjà mangé”, notamment dans la lutte contre le paludisme. “Les autres traitements aussi ont des effets secondaires, note plus posément Jean-Louis Touraine. Ce qu’il faut voir c’est le rapport bénéfice-risque.”

Une étude chinoise parue dans le plus important journal de virologie américain a apporté des données et arguments “intéressants” selon Bruno Lina. Mais une autre enquête de chercheurs de Shanghai disait une semaine plus tôt que la dose standard d’hydroxychloroquine ne montre pas d’effet significatif. Si la personnalité du Pr Raoult a déchaîné les passions, il est donc loin d’être le seul à avoir entrepris des tests. “Cette molécule est ressortie régulièrement, à chaque nouvelle épidémie mais aussi dans d’autres types de pathologies pour lesquelles on n’a pas de solutions thérapeutiques”, remarque Manuel Rosa-Calatrava, co-directeur du laboratoire VirPath. Le gouvernement a d’abord réservé l'hydroxychloroquine aux cas graves avant d'autoriser les médecins à la prescrire. Le docteur Raoult s’en est félicité. Il a annoncé quitter le conseil scientifique. Il n’y était de toute façon pas très assidu. Mais il continue de s’entretenir régulièrement par téléphone avec le ministre. “Il y a parfois besoin de bousculer l’establishment, observe Jean-Louis Touraine, se souvenant des années sida. C’est ce qu’a fait Jacques Leibowitch quand il apporté la trithérapie pour le VIH.” Pour ce qui est de la mesure scientifique de l’efficacité de l’hydroxychloroquine, Discovery fournira des résultats d’ici quelques semaines donc. Le 27 mars, Didier Raoult et ses équipes publiaient, quant à eux, une nouvelle étude sur 80 patients.

Repositionnement

Détourner un médicament connu de son effet thérapeutique premier, on appelle cela le repositionnement de médicament (lire par ailleurs). C’est la spécialité du laboratoire lyonnais VirPath (Lyon 1/Inserm/CNRS/HCL), qui s’appuie entre autres sur le principe de polypharmacologie. “Il est démontré qu’une molécule, quelle que soit sa formule chimique, a au moins 6 à 13 cibles cellulaires différentes. On essaie donc de caractériser et de détourner les effets secondaires des médicaments afin de les repositionner pour de nouvelles indications thérapeutiques”, nous explique son co-directeur Manuel Rosa-Calatrava. Le laboratoire, qui dépose régulièrement des brevets via une start-up qu’il a créée avec les filiales privées de l’université, mène notamment des études sur la grippe classique. Dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, il fait partie des 20 projets Reacting de l’Inserm. Une dizaine de chercheurs sur les 25 du labo sont mobilisés depuis le mois de janvier. Ils ont un candidat possible pour traiter le Covid-19 et ont soumis une publication en ce sens. Un nouveau bras pourrait donc être intégré à l’essai Discovery. “Toutes les propositions de médicaments repositionnés ou d’antiviraux, nous allons les expérimenter, explique Manuel Rosa-Calatrava. Sur demande de Reacting, on est en train de tester la chloroquine dans nos modèles, le Lopinavir aussi et puis d’autres molécules.” Si les candidats passent les premiers tests, VirPath transmet à Dicovery pour qu’un nouveau bras soit ajouté.

Vaccins

Mais à long terme, l’enjeu est évidemment celui d’un vaccin. Il doit permettre de lutter contre une probable deuxième vague de l’épidémie, déjà crainte dans les pays qui l’ont jugulée, comme la Chine ou la Corée. Avec forcément une concurrence internationale. Donald Trump a d’ailleurs voulu acheter un laboratoire allemand qui travaillait sur le vaccin. Sanofi en teste un, avec des équipes de chercheurs répartis entre les États-Unis et Lyon. La firme espère soumettre un vaccin-candidat à des tests in vitro dans un délai de six mois. Elle travaille en partenariat avec le ministère de la Santé américain et s’appuie sur son vaccin-candidat contre le SRAS. Lequel “a montré qu’il était immunogène et conférait une protection partielle dans le cadre d’études non cliniques menées sur des modèles animaux”, selon Sanofi. Des dizaines de laboratoires se sont lancés dans la course. Au Japon, l’organisation Anges a annoncé fin mars avoir développé un vaccin et lancé des tests animaux. De l’autre côté du Pacifique, à Seattle, un essai clinique est déjà en cours depuis le 16 mars. La société Moderna Therapeutics a été encore plus rapide en développant un vaccin en un temps record sur la base de la souche publiée début janvier par des chercheurs chinois. Un essai financé par le gouvernement américain. Si douze à dix-huit mois seront nécessaires pour le commercialiser, “chaque heure compte”, nous glisse son P.-D.G., Stéphane Bancel, par ailleurs longtemps en poste chez bioMérieux à Lyon.

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Fake news sur l’interdiction de la chloroquine

La chloroquine a déclenché bien des passions dans le courant du mois de mars, et pas seulement divisé la communauté scientifique. L’emballement politico-médiatique nourrissant celui des réseaux, plusieurs fake news sont apparues, comme celle annonçant l’interdiction de la chloroquine par Agnès Buzyn avant son départ du ministère. La nouvelle devient virale, mais elle est fausse. Sur la base du classement de l’hydroxychloroquine sur la “liste II des substances vénéneuses”, par arrêté du 13 janvier, des internautes accusent la ministre d’avoir voulu tuer dans l’œuf un potentiel traitement à l’épidémie de coronavirus en cours. Et de rappeler le conflit entre Didier Raoult et l’Inserm, dirigé de 2014 à 2018 par le mari de l’ex ministre. Mais ce classement ne revient pas à interdire l’hydroxychloroquine, juste un encadrement plus fort. Elle peut toujours être délivrée, mais sur ordonnance. Cette décision ne semble par ailleurs pas du fait seul d’Agnès Buzyn. Elle a été opérée “sur proposition du directeur général de l’ANSM”, comme l’indique le décret du 13 janvier. L’ANSM qui a été saisie le 8 octobre 2019 à ce sujet, comme le mentionne une lettre de l’Anses retrouvée par le site CheckNews de Libération. Lettre qui propose de classer l’hydroxychloroquine sur la liste II des substances vénéneuses au regard de sa proximité avec la chloroquine, déjà sur cette liste depuis 1999. “La chloroquine, substance de la même famille, présente un potentiel génotoxique qui pourrait être similaire pour la substance hydroxychloroquine”, écrit l’agence le 12 novembre. CheckNews précise que la démarche de l’Anses fait suite à une demande de mise à jour de Sanofi, principal producteur de chloroquine, des notices des médicaments à base de chloroquine et hydroxychloroquine, en 2018. Bien loin d’Agnès Buzyn donc, encore plus du Covid-19.

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