Lyon "reconfiné" : des restrictions encore acceptées par la population ? L'acceptabilité au cœur des débats

La lassitude a gagné une partie des Français. Comment les autorités prennent des décisions fermes pour lutter contre l'épidémie de Covid-19 sans se mettre à dos une partie de la population ? Entretien avec Marie-Claire Villeval, directrice de recherche CNRS au Groupe d'analyse et de théorie économique (GATE) de l'Université de Lyon.

Marie-Claire Villeval est directrice de recherche CNRS au Groupe d'analyse et de théorie économique (GATE) de l'Université de Lyon et présidente élue de l’Economic Science Association. Pour Lyon Capitale, elle revient sur la notion d' "acceptabilité" de la population face aux mesures prises par le gouvernement pour lutter contre l'épidémie de Covid-19. Entretien.

Lyon Capitale : Qu'est-ce que l'acceptabilité sociale ?
Marie-Claire Villeval :
Cette notion recouvre deux dimensions. Tout d’abord, l’acceptabilité sociale est le fait pour une majorité de citoyens d'accepter comme légitimes des contraintes imposées par une autorité supérieure, quand bien même ces contraintes génèrent un coût individuel ou réduisent la liberté individuelle, dès lors qu’elles visent à améliorer le bien commun. Au-delà de la légitimité reconnue de ces mesures, l’autre dimension est la volonté de s’y conformer.

Pour quelles raisons, assez soudainement, la notion est au cœur des préoccupations de l'exécutif ?
Parce que, justement, il y a un en ce moment un décalage visible entre ce qu'on considère comme légitime et ce à quoi on est prêt à se plier. Les sondages récents dans la population montrent que la grande majorité des gens comprennent la légitimité des mesures de confinement imposées par la crise sanitaire, mais, en même temps, la même majorité se déclare prête à ne pas les suivre strictement. Ce décalage n'existait pas il y a un an car tout le monde avait non seulement compris la nécessité de mettre en place des contraintes supplémentaires sur nos libertés mais étaient également prêts à s'y plier à la lettre. Mais avec le temps, il apparaît une usure : on comprend toujours la légitimité de ces mesures, mais on est de moins en moins prêt à coopérer. Aussi, on voit d'autres personnes qui ne les respectent plus et on a l’espérance qu’une couverture vaccinale étendue est proche. D'où la nécessité pour les acteurs publics de travailler sur la réduction de cette dissonance entre le jugement sur la légitimité et ce qui pousse au relâchement dans les pratiques.


"Avec le temps, il apparaît une usure : on comprend toujours la légitimité de ces mesures, mais on est de moins en moins prêt à coopérer"


Le moral des Français fait partie des grandes données qui sont prises en compte pour savoir si leur politique va être jugée acceptable ou pas. Mais comment l’exécutif fait en sorte de prendre en compte cette acceptabilité tout en prenant des décisions fermes ?
 Les acteurs politiques ont un rôle essentiel d’explication des mesures, de conviction. Il ne s'agit pas seulement de concevoir des lois, il faut qu'elles soient acceptées par la population pour être mises en œuvre et respectées. Ce n'est pas uniquement une question de morale, mais c’est une question de perception par les individus de ce qui est un comportement approprié ou pas. La mise en œuvre d’une loi en pratique ne peut dépendre que de la sanction si cette loi n’est pas considérée comme légitime ou pas comprise. Avec tous les risques que cela comporte, en matière de rejet de l’autorité et de menaces d’instabilité sociale et politique. Une loi efficace, c’est une loi qui change les normes sociales, c’est-à-dire les comportements jugés comme acceptables ou inacceptables par la majorité des gens. Si la norme change, le recours à la sanction est moins utile. Mais les normes sont difficiles à changer spontanément et la loi peut être un élément déclenchant fondamental. La tâche d’un gouvernement est à la fois de prendre des mesures fermes, mais aussi de marteler des messages pédagogiques de santé publique et de responsabilité des citoyens pour faire accepter les contraintes et éviter d'avoir un rejet de front de la population.

La rentrée s'effectue masquée à Lyon © Antoine Merlet
© Antoine Merlet

Qu'entendez-vous par "changer les normes du comportement" ?
En fait, une loi est importante pour vous dicter ce que vous devez faire ou ce que vous devez pas faire. Le pouvoir de la loi vient de deux choses. Il vient du pouvoir de sanction en cas de non-respect. Mais ce n'est pas suffisant : multiplier les contrôles de police aurait un effet anxiogène et entraînerait un rejet du pouvoir politique. Il faut donc que les gens intériorisent le changement que la loi veut introduire, sans que cela passe par la peur de l’amende. Cela transite par un autre canal qui est le changement des normes. Ce qu'on appelle les normes, c'est ce que la majorité des gens considèrent comme approprié ou inapproprié de faire ou de ne pas faire. Si on ne respecte pas la norme, c’est le regard de l’autre que l’on craint.


"Il faut que les gens intériorisent le changement que la loi veut introduire, sans que cela passe par la peur de l’amende"


Pourquoi alors est-ce que cela a bien fonctionné lors du premier confinement ?
Parce que des règles de confinement strictes ont été introduites par le gouvernement et votées par le Parlement dans un contexte d’urgence totalement inédit et que ces règles ont été immédiatement suivies par un changement de la norme.  Tout le monde a immédiatement considéré que pour la majorité des gens ce serait inacceptable de recevoir des amis et faire la fête chez soi. Si les gens n'ont pas fait la fête chez eux avec leurs copains pendant des mois l'année dernière, ce n'est ni à cause de la peur d’une amende, ni tellement à cause du risque sanitaire pour soi, mais surtout parce que les gens considéraient que ce serait jugé comme inapproprié par la majorité des gens. La norme n’est certainement plus aussi claire aujourd’hui : après un an de restrictions, il n’est pas certain que recevoir plus de quatre amis chez soi est encore considéré comme inapproprié.

Quels sont les ingrédients pour qu'une politique fonctionne ?
Il faut qu'il y ait cet accompagnement du changement de la perception collective de ce qu'on peut ou de ce qu'on ne peut pas faire face à une pandémie, en expliquant en permanence la responsabilité individuelle de chacun dans le traitement d’un problème collectif. Il faut aussi mettre en évidence en permanence les efforts demandés à chacun mais aussi les aides colossales apportées à ceux qui sont directement affectés par la crise sanitaire. La solidarité doit jouer dans les deux sens. On a besoin de pédagogie de la part des hommes politiques car la population est confrontée à une leçon magistrale d’économie publique.


"Les leaders politiques, économiques, culturels, ont une responsabilité dans l’évolution des normes parce qu’ils sont très exposés médiatiquement et ils montrent donc l’exemple."


En défilant récemment lors d'une manifestation de plusieurs milliers de personnes maire de Lyon n'a pas donné l'exemple...
En effet, les leaders politiques, économiques, culturels, ont une responsabilité dans l’évolution des normes parce qu’ils sont très exposés médiatiquement et ils montrent donc l’exemple. Leur rôle peut être facilitateur ou entravant. Pensons d’un côté à l'exemple de R.Trump ou de J.Bolsonaro qui, au début de la pandémie, se moquaient ouvertement du port du masque, avec les résultats que l’on sait. A l'opposé, la Première ministre de Nouvelle-Zélande demandait aux citoyens de faire eux-mêmes respecter les mesures barrières en n’hésitant pas à faire des remontrances dès qu’ils voyaient quelqu'un qui ne respectait pas les gestes barrières. Cela illustre bien le rôle possible d’un leader dans l’établissement d’une nouvelle norme dans la population pour le bien commun.

N'est-ce pas la nature du pouvoir qui change, vers plus de démocratie participative ?
Il y a un mouvement vers davantage de démocratie participative pour au moins trois raisons. D’une part, cela favorise l’acceptabilité des politiques publiques, c’est-à-dire à la fois leur légitimité et leur respect. D’autre part, cela pousse à davantage de réflexion personnelle et de responsabilité individuelle à un moment où les citoyens se désintéressent de plus en plus de la vie politique. Enfin, cela permet de faire remonter vers le politique de l’information sur les préférences et les attentes des citoyens, ce qui doit permettre de mieux y répondre à travers les politiques publiques.


"La démocratie participative ne peut pas se substituer à la prise de décision par des dirigeants et représentants élus démocratiquement et à la responsabilité qui est attachée à leur mandat."


Mais il ne faut pas être démagogique. D’une part, la démocratie participative ne peut pas se substituer à la prise de décision par des dirigeants et représentants élus démocratiquement et à la responsabilité qui est attachée à leur mandat. D’autre part, sur un grand nombre de sujets, la majorité n’a pas nécessairement davantage raison que les experts. Même si les experts ne sont pas unanimes, même s’ils s’opposent. Le désaccord scientifique est normal : la science progresse comme cela. Lors de la crise financière de 2008, on a massivement rejeté les économistes parce qu’ils n’étaient pas d’accord entre eux. Aujourd'hui, face à la pandémie, on a la même réaction vis-à-vis des médecins qui connaissaient aussi des désaccords. Il est trop facile de penser, quand on voit deux experts qui ne sont pas d’accord entre eux, que demander leur avis à la majorité des gens aurait plus de pertinence. Ce n'est pas vrai. La démocratie participative ne remplace pas l’expertise. Si les deux coexistent, c’est évidemment encore mieux.

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