Les cinq énigmes de Tapie

“Nanard” tient sa revanche. Il sera peut-être demain le nouveau maître de Marseille. La presse, la politique, l’OM, sa situation fiscale et financière, les paradis fiscaux, Lyon Capitale décrypte les énigmes de ce retour au premier plan de l’homme d’affaires.

Énigme 1 : Tapie et la presse

Un vent d’apaisement souffle sur le quotidien La Provence depuis la désignation d’Olivier Mazerolle, débauché en avril de BFM TV, avec la triple casquette de directeur général délégué chargé de l’éditorial, directeur de la publication et directeur de la rédaction du quotidien marseillais… Mazerolle a les clefs en main à la grande satisfaction de journalistes inquiets sur leur avenir depuis la reprise du journal en début d’année par Bernard Tapie, désormais associé au groupe Hersant. Laetitia Sarirouglou, qui préside la société des rédacteurs, salue l’“arrivée d’un vrai journaliste”. Sur le papier, pourtant, rien n’a vraiment changé dans le fonctionnement, sinon une certaine prise de distance avec les élus PS qui avaient, disons-le, table ouverte dans les pages du journal. Tapie n’est guère interventionniste, sinon à deux reprises : quand il décrète qu’“il faut faire monter Gaudin à la une” (ce que nous confirme une source interne) et surtout quand il s’implique pour que sa fille Sophie, alors en plein boum dans l’émission de TF1 The Voice, fasse l’événement. Dans les deux cas, la rédaction résiste, se contentant d’un service minimum pour la jeune Sophie, contrairement à Nice-Matin qui en fait des tonnes (rencontre avec les lecteurs, etc.).

“Tout ce qu’il raconte, c’est du flan”

Malgré des effets d’annonce sur de futurs investissements censés faire renaitre La Provence, Tapie n’a rien concrétisé. “Tout ce qu’il raconte, c’est du flan”, témoigne un cadre qui s’inquiète d’une situation financière toujours plus fragile en raison de l’érosion des ventes. En février, Tapie, alors en conflit avec le groupe Hersant, fait monter la pression. Il affirme qu’il a apporté 4,3 millions d’euros pour “payer les salaires de février” de La Provence et de Nice-Matin. Une somme qui aurait, selon des sources concordantes, été empruntée auprès d’une banque monégasque. Cette annonce permet de maintenir une certaine pression sur les salariés, qui comprennent le message : “On est davantage dans des inquiétudes sur la gestion que sur l’indépendance de la rédaction.”

Le seul domaine où Tapie s’est réellement montré intrusif est la gestion commerciale et technique du site Internet.

Énigme 2 : Tapie et la politique

Patrick Mennucci est le seul élu marseillais à s’être dressé contre le retour de Tapie à Marseille. Le député-maire (PS) des 1er et 7e arrondissements, par ailleurs candidat à la primaire socialiste, est à l’origine de la désignation d’une commission d’enquête parlementaire sur les conditions de la reprise de GHM (Groupe Hersant Média), ce qui lui vaut une haine farouche de Bernard Tapie. Depuis, l’élu PS cherche à calmer le jeu : “Je ne considère plus Tapie comme une menace, des sondages récents le créditent autour de 13 %, et en plus il prend des voix à droite.”

Mais que diable est venu faire Tapie à Marseille ? “Du business”, rétorquent en bloc ses proches, qui évoquent un vrai défi autour de cette aventure de presse au dénouement hasardeux. Franz-Olivier Giesbert, qui a depuis des années ses quartiers à Marseille, apporte son éclairage : “Tapie n’est pas venu pour diriger un groupe de presse, mais pour faire de la politique. Il va tenter d’orienter le débat. Tapie veut faire souffler le vent. Il a un projet politique pour la vie de la cité.”

Un ticket avec Muselier ?

Gaudin, Guérini, Caselli (le président PS de la communauté urbaine)… Tapie multiplie donc les contacts. La sénatrice Samia Ghali, égérie des quartiers nord, est reçue quant à elle à Paris. “Nous avons une vision commune de la situation de la ville”, confie-t-elle. Même Michel Pezet, figure tutélaire du PS qui fronçait pourtant le sourcil il y a encore quelques mois, semble serein depuis que Tapie lui a rendu hommage : “Ce n’est pas parce qu’il dit du bien de moi que je vais dire du mal de lui, ironise-t-il. Mais je ne crois pas qu’il va se lancer dans la campagne. Il est venu pour autre chose.”

Qu’en pense la droite ? Il n’y a guère que Renaud Muselier, l’enfant maudit de l’UMP, ex-héritier de Jean-Claude Gaudin, pour se féliciter ouvertement de ce retour à Marseille. On évoque même un ticket Tapie-Muselier. “M. le maudit” commence à sortir du bois après des mois de retrait et évoque des contacts, notamment avec le socialiste Michel Pezet et l’écologiste Laurence Vichnievski pour créer une sorte de “troisième voie” pour les municipales. Ce n’est pas tout à fait un hasard si Muselier a choisi les colonnes de La Provence pour s’exprimer le week-end dernier sur le sujet. Tapie jouerait-il les faiseurs de roi ? Bruno Gilles, sénateur (UMP) et maire des 4e et 5e arrondissements, livre son analyse : “Tapie ne peut réussir politiquement que dans une situation de chaos à droite et à gauche.” Or, on s’oriente peu à peu – sauf rebondissement – vers un duel “classique” entre Jean-Claude Gaudin et la ministre Marie-Arlette Carlotti, à condition que celle-ci passe l’épreuve des primaires. À moins que Muselier ne sème définitivement le trouble…

Énigme 3 : Tapie et l’OM

En avril, Tapie a une nouvelle fois rencontré Margarita Louis-Dreyfus, qui tient l’OM à bout de bras depuis le décès de son mari, RLD. Malgré toute sa fortune, la deuxième de France, cette redoutable femme d’affaires cherche à se débarrasser d’un héritage encombrant qui rapporte plus de soucis que d’argent. Une information judiciaire est notamment en cours qui tente de faire la lumière sur les soupçons de trafic d’influence du banditisme corso-marseillais autour de transferts de joueurs. En outre, il faut constamment combler les déficits et mettre au pot, ce qui agace profondément la blonde héritière.

Tapie est présent dans le décor. Son fils Stéphane, qui anime un site sportif, attise la guérilla médiatique. Il mène fin 2012 une campagne de dénigrement du président de l’OM, Vincent Labrune, le traitant de “président en carton”. Pendant ce temps-là, Bernard Tapie joue les soigneurs. Il se propose de trouver un nouveau sponsor à l’OM, puis plus récemment un véritable repreneur, avec ses contacts notamment à Abu Dhabi. “Tapie a mis son nez dans l’OM car Margarita veut vendre. C’est elle qui est venue vers lui pour trouver un repreneur. Mais 100 millions d’euros, c’est trop cher. Ils se sont vus il y a un mois”, confie une source proche. Plus récemment, Tapie a conforté son discours pour donner plus de poids à son rôle d’intermédiaire, dans les colonnes de Gens du Sud, le supplément de La Provence : “Il faudra faire en sorte de faire entrer dans le capital du club des investisseurs prêts à mettre de l’argent. Mais ce projet ne peut être qu’un projet économique global.”

Énigme 4 : Tapie et le fisc

Celui qui ne devait être, selon la Cour de cassation, “ni riche ni failli” a bien tiré son épingle du jeu, en empochant les 403 millions d’euros de l’arbitrage dans le contentieux contre le Lyonnais. Certes, la comparution jeudi de Christine Lagarde devant la Cour de justice de la République commence à lui donner des sueurs froides avec en toile de fond un possible recours de Bercy contre cette complaisante décision. Une mise en examen de Christine Lagarde pour “complicité de faux” et “complicité de détournement de fonds publics” est en outre envisagée*.

Tapie demeure de son côté en liquidation personnelle, en attendant que la Cour de cassation statue sur le bien-fondé de certaines créances contestées par le débiteur. La procédure est donc gelée, après que l’intéressé a fourni au liquidateur judiciaire une simple caution bancaire de 15 millions d’euros. Tapie est insolvable en France, puisque l’intégralité de ses biens et de ses avoirs financiers se trouve domiciliée à l’étranger via des sociétés logées dans des paradis fiscaux (voir Énigme 5).

Si Tapie rit, André Guelfi ronge son frein. Bien que titulaire d’un document signé de la main de Tapie où il s’engage à partager la moitié des gains d’Adidas, donc en théorie ceux issus de la convention d’arbitrage, il ne peut poursuivre. Il n’y a rien à saisir en France.

Le sulfureux Guelfi

Ce n’est pas la première fois que le nom de celui que l’on surnomme “Dédé la sardine” apparaît dans les affaires Tapie. Condamné dans l’affaire Elf, le sulfureux homme d’affaires âgé aujourd’hui de 93 ans aurait servi de relais financier à Bernard Tapie alors qu’il se trouvait en liquidation. La DNEF (Direction nationale des enquêtes fiscales) s’est ainsi intéressée à l’achat en 1999 d’une propriété à Combs-la-Ville par la société anglaise Themepark Properties. Le moulin du Breuil, c’est son nom, est mis à la disposition de Tapie via une société (Demain L’Événement) qui encaisse les revenus des différentes activités de celui-ci (théâtre, cinéma…). Tapie est, selon les limiers du fisc, le conseil à l’époque de trois sociétés de droit anglais, dont Themepark : “La société Rathbone Trust Company Limited détient également la société Superior Ventures Limited, ancien employeur de M. Bernard Tapie. Selon les recherches effectuées par la cellule Fraude fiscale internationale de la DNEF, l’un des dirigeants de la société Superior Ventures Limited est effectivement André Guelfi”, note le rapport, que nous avons pu consulter.

Guelfi et Tapie se sont connus en prison. Ils auraient échafaudé de subtils montages qui rendaient à l’époque le failli Tapie totalement insolvable sur le territoire français. Une situation insupportable pour le fisc, qui a par ailleurs notifié la somme astronomique de 243 millions de francs (45 715 552 euros) de redressements fiscaux pour l’ensemble des sociétés de Bernard Tapie sur les années 1989-1993. “À la suite des vérifications de comptabilités effectuées au sein du groupe Bernard Tapie, des redressements ont été notifiés à M. et Mme Tapie au titre des années 1989, 1990 et 1991 à hauteur de 67 766 975 francs. À la suite de la vérification de comptabilité des sociétés financières et immobilières Bernard Tapie SNC, SA Alain Colas Tahiti, BT Finance venant aux droits et obligations de l’EURL Bernard Tapie Services et la SNC Bernard Tapie Gestion, des redressements ont été notifiés aux époux Tapie au titre de 1991 à hauteur de 52 924 407 francs en base et au titre des années 1992 et 1993 à hauteur de 122 341 007 francs.”

Le rapport de la DNEF réclame alors d’“effectuer l’examen de la situation fiscale de personnelle de M. et Mme Bernard Tapie dont la situation fiscale présente des anomalies de façon récurrente. M. Tapie tente de loger ses revenus d’animateur de radio et de télévision, de rappeur [référence à son disque avec Doc Gyneco, NdlR], d’acteur de théâtre et de cinéma au sein de sociétés-écrans. Ce contrôle permettrait d’évaluer les avantages en nature obtenus par Bernard Tapie de la part de l’Olympique de Marseille”. Le fisc fait ici référence au bref retour en 2001 de Bernard Tapie au sein de l’Olympique de Marseille, sous l’ère Dreyfus. Sont notamment visées par ses demandes de vérification la SARL Demain L’Événement et la SARL Hersen Production, qui a produit la pièce Vol au-dessus d’un nid de coucous.

Le fisc marseillais aussi sur l’affaire

D’après nos sources, les recommandations de la DNEF n’auraient pourtant guère été suivies d’effet… Quant au reste, loin d’avoir remboursé les 45 millions dus au fisc, Tapie obtient en 2009 auprès du tribunal de commerce de Paris la forclusion de certaines créances du Trésor, pour un montant de 15 millions d’euros, comme l’a révélé le site Mediapart. Ce dernier s’étonne que l’État n’ait pas choisi, comme c’est habituel, de faire appel de cette décision, laissant définitivement filer le pactole. Bernard Tapie aurait bénéficié d’un traitement fiscal de faveur auquel Claude Guéant ne serait pas étranger. Cette implication présumée de l’ancien ministre de l’Intérieur en mai 2009 est à l’origine de la perquisition récemment opérée à son domicile parisien.

Le fisc marseillais, tancé par Bercy, cherche par ailleurs à récupérer une créance de 2,3 millions d’euros due depuis 1995 par l’OM version Tapie.

Contribuable indélicat, si l’on en croit la DNEF, Tapie n’est guère plus généreux envers l’Urssaf, qui lui réclame toujours une créance de 3 828 371,07 euros au titre de la procédure de redressement judiciaire de l’OM et d’une caution personnelle aujourd’hui contestée par l’ancien président du club. “Il apparaît aujourd’hui que cette créance n’a jamais été déclarée à titre définitif au passif de l’OM, de sorte qu’aujourd’hui elle apparaît éteinte”, argue son avocat, Me Vincent Pinatel, qui soulève la prescription. Mais Tapie est un veinard et, après avoir joué un beau pied de nez au fisc, il pourrait bien gagner une nouvelle fois face à l’Urssaf. L’homme sait manifestement s’entourer des meilleurs conseils. Et, semble-t-il, des meilleurs appuis.

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* Mme Lagarde a finalement été placée sous le statut de “témoin assisté” à l'issue de cette audition. (MàJ 29/05/13)

Énigme 5 : Tapie et les paradis fiscaux

Si Tapie a perdu quelques plumes dans les opérations de liquidation de ses dettes, les experts estiment à plus de 300 millions d’euros les sommes placées à l’étranger, dans une nébuleuse qui part de Bruxelles pour mener à Londres et au Luxembourg sans oublier un compte à la Société Générale de Monaco. Le magot est aujourd’hui bien investi et surtout bien à l’abri. Ainsi le groupe GBT, désormais domicilié en Belgique, a-t-il fait l’acquisition via des entités exotiques d’un superbe yacht, le Reborn, pour 40 millions d’euros et plus récemment d’une villa à Saint-Tropez pour 47 millions via une société luxembourgeoise South Real Estate Investment. La société est créée le 12 septembre 2011, avec un capital de 31 000 euros. Particularité commune à toutes les structures luxembourgeoises, le nom de l’ayant-droit économique n’apparaît pas.

Une histoire suisse

Mais il est un pays dont on parle peu, la Suisse, où Tapie s’est initié aux paradis fiscaux dans les années 1980-1990. Deux établissements bancaires apparus dans ses affaires ont ainsi soulevé des interrogations de la presse locale : la Finterbank et la BGC (Banque Générale du Commerce). Dans une enquête fort documentée publiée en juillet 1994 le magazine L’Hebdo s’intéresse de très près à la Finterbank, une banque qui est notamment intervenue dans des opérations autour de transferts de joueurs de l’OM qui vont très vite se trouver au cœur d’investigations judiciaires en France. La Finterbank apparaît également dans l’affaire Terraillon, une entreprise de pesage reprise par l’homme d’affaires à la même époque. Nos confrères évoquent ainsi un rapport des Renseignements généraux français, daté du 10 mars 1992, estimant que l’établissement bancaire “fait partie d’un réseau de blanchiment d’argent ou du moins qu’elle recycle des capitaux préalablement blanchis”.

Quant à la BGC, ce n’est guère plus reluisant. Un autre rapport des RG, daté du 28 octobre 1992, soupçonne la banque de “couvrir des transferts de capitaux douteux, d’origine essentiellement italienne, qui seraient réinvestis en France dans des affaires immobilières”. Sept donateurs de la campagne de Tapie aux législatives de 1993 à Gardanne auraient tiré des chèques sur cet établissement sulfureux… Les journalistes suisses s’intéressent également aux personnalités présentes à son mariage, en mai 1987, sur le yacht Le Phocéa baignant au large de Corfou. Six hommes d’affaires suisses ou résidents suisses étaient au nombre des invités. L’un d’eux est plus particulièrement remarqué : Sylvain Ferdman a travaillé comme conseiller financier dans les années 1960 à la Bank of Word Commerce de Nassau, accusée de blanchir l’argent de la Cosa Nostra américaine via le célèbre Meyer Lanksy, lieutenant emblématique de Lucky Luciano. Il semble que Bernard Tapie n’ait pas eu à l’époque de très bonnes fréquentations.

Plus largement, le procureur de Genève Bernard Bertossa, que nous avions interrogé dans les années 1990, aura ce très helvète commentaire : “On peut se demander pourquoi quelqu’un qui était censé avoir une activité industrielle importante comme Bernard Tapie a eu recours aux services d’établissements de cette gamme.”

Bernard Tapie demeure en tout cas très attaché à la Suisse, où il se rend régulièrement. C’est ainsi à Genève qu’il a eu de fréquentes rencontres avec Philippe Hersant, résident suisse, pour mettre sur pied le plan de reprise de GHM.

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