La plaine du bouchage inondée le 14 décembre pour préserver Lyon de la crue du Rhône. (Crédit mairie du Bouchage)

Inondée pour préserver Lyon, la plaine du Bouchage veut faire reconnaître son "sacrifice"

Chaque fois que le Rhône déborde à Lyon, en amont les habitants de la plaine du Bouchage se "sacrifient" pour éviter aux Lyonnais de finir les pieds dans l’eau. Aujourd’hui, des élus locaux demandent une solidarité financière à la Métropole de Lyon, ou tout au moins une reconnaissance sociale.

Près d’une semaine après l’inondation volontaire de la plaine du Bouchage, en Isère, pour préserver Lyon de la montée des eaux du Rhône en crue, les habitants des communes du Bouchage, de Brangues, des Avenières-Veyrins-Thuellin et Groslée-Saint-Benoit voient enfin les eaux du fleuve quitter leur territoire. Une fois encore, les habitants de plaine du Bouchage se sont "sacrifiés" pour éviter aux Lyonnais de finir les pieds mouillés, quitte à se retrouver eux-mêmes isolés par l’eau ou face à des routes inondées. 

Rhône crue
Les quais du Rhône inondés le 12 décembre avant l'inondation volontaire de la plaine du Bouchage. (Photo HJ)

Le "risque inondation" érigé en "culture"

Au Bouchage, où 98% de la commune se trouve en zone inondable, "on a cette culture du risque d’inondation, on est prêt, on sait gérer les crues", assure la maire Annie Pourtier. Et pour cause, depuis un décret signé par Napoléon III, la plaine iséroise sert de vase d’expansion au Rhône pour éviter une nouvelle inondation meurtrière comme celle connue par Lyon en 1856. Avant celle de la semaine passée, la dernière inondation volontaire de la plaine remontait à 2021, mais sur place les élus et les habitants ont surtout en tête la crue de 1990 qui avait nécessité de nombreuses évacuations. 

"Cette destinée, nous l’acceptons parce que nous n’en avons pas le choix, mais elle doit faire l’objet d’une réciprocité amont/aval"

Annie Pourtier, maire du Bouchage

Après cette nouvelle crue, le sentiment "d’exaspération" semble désormais "partagé par l’ensemble des habitants", qui s’estiment "livrés à eux même", à en croire Annie Pourtier. "On connaît notre sort, mais supporter le poids de ce caractère inondable ce n’est pas simple, ni pour la collectivité, ni ses habitants", nous confiait l’élu avant que la décrue ne soit amorcée. Si à chaque fois une forme de solidarité se met en place entre les habitants, après les crues on constate les dégâts, qui pèsent sur les finances de la collectivité. "À chaque fois que l’on a des inondations, ça détériore notre réseau routier, on doit beaucoup investir sur l’entretien de nos faussés, les rivières doivent être en parfait état", explique l’élue iséroise avec un certain fatalisme.

La création d'une solidarité financière au point mort

"Cette destinée, nous l’acceptons parce que nous n’en avons pas le choix, mais elle doit faire l’objet d’une réciprocité amont/aval", plaide aujourd’hui Annie Pourtier. Autrement dit, l’élue souhaite que la Métropole de Lyon apporte une solidarité financière aux collectivités de la plaine du Bouchage impactée par les crues pour en préserver Lyon. Celle-ci pourrait venir s’ajouter aux aides perçues par les communes au titre du fonds Barnier, auquel l’État apporte une contribution financière dédiée à l’investissement dans les moyens de protection contre les inondations.

Lire aussi : Métropole de Lyon : une rencontre pour mieux comprendre les risques d’inondations du Rhône

L’hiver dernier la vice-présidente de la collectivité lyonnaise, Anne Grosperrin (EELV), s'est rendue sur place pour prendre la mesure de la situation, visiter les installations et rencontrer les élus, renouant le dialogue avec le territoire. "L’objectif était de partager l’intérêt commun sur la question de la protection contre les inondations", précise-t-on du côté de la Métropole de Lyon. Un an plus tard, amère, Annie Pourtier lâche "la réunion de l’année dernière n’a abouti sur rien. Je n’ai pas de nouvelles ne serait-ce que sur un début de dialogue avec Lyon". Ce à quoi, du côté du Grand Lyon on rétorque que cette "première étape était une condition pour construire une relation, politique et technique, de solidarité amont-aval".

"C’est délicat de demander à la Métropole lyonnaise de manière aussi facile de participer financièrement à l’entretien des pompes d’ouvrages du syndicat"

Sylvain Granger, maire de Brangues et président du Syndicat de Défense Contre les Eaux du Haut Rhône (SYDCEHR)

À quelques kilomètres du Bouchage, Sylvain Granger, le maire de la commune de Brangues, où sont ouvertes les vannes qui inondent la plaine, est plus nuancé lorsqu’il s’agit d’évoquer la solidarité amont/aval. "Honnêtement je ne suis pas sur cette ligne-là", confie celui qui est aussi président du Syndicat de Défense Contre les Eaux du Haut Rhône (SYDCEHR) et vice-président en charge des cycles de l’eau aux Balcons du Dauphiné et qui ne cache pas vouloir "préserver l’amorce de dialogue qui s’est installé avec la métropole lyonnaise".

Au Bouchage, la crue de 1990 et encore dans de nombreuses têtes alors que près de 400 fermes avaient dû être évacuées. (Photo d'archives - mairie du Bouchage)

"C’est délicat de demander à la Métropole lyonnaise de manière aussi facile de participer financièrement à l’entretien des pompes d’ouvrages du syndicat, qui coûtent effectivement très chères. Lyon n’est pas responsable de la construction du barrage de Saul-Brenat [qui a relevé artificiellement le niveau du Rhône en 1985, NDLR]", se justifie l’édile, qui reconnaît toutefois que la contrainte liée aux inondations est moins lourde pour sa commune qui se trouve un peu plus à l’abri sur un promontoire. D'autant que, comme le rappelle l'élu, l'inondation de la plaine du Bouchage ne sert pas que Lyon. "Les lois napoléoniennes qui ont sanctuarisé nos territoires comme zones d’expansion du Rhône nous contraignent dans le développement de nos communes, mais quand on soulage le Rhône, avec toutes les conséquences néfastes que cela a pour les habitants, on sauve aussi d’autres secteurs et d’autres maisons de notre territoire", fait valoir Sylvain Granger. 

Capter l'attractivité de la Métropole

Avant de penser à demander une compensation financière à la Métropole de Lyon, pour lui le partenariat est d’abord à renforcer avec la CNR qui gère l’exploitation des barrages sur le Rhône. Des travaux auraient ainsi déjà été amorcés pour revoir les consignes d’exploitation du Rhône, à la lumière de son évolution et du changement climatique. L’enjeu serait notamment d’apprendre à mieux gérer des épisodes de pluies "plus concentrés", prédits par les climatologues pour le secteur et qui ont trouvé une illustration ces dernières semaines dans la plaine du bouchage avec deux cures successives.

"Notre communauté de communes à envie de travailler avec Lyon, [...] mais il faut quand même que le Grand Lyon reconnaisse notre rôle"

Sylvain Granger, maire de Brangues et président du Syndicat de Défense Contre les Eaux du Haut Rhône (SYDCEHR)

Vis-à-vis de la Métropole de Lyon, Sylvain Granger espère en revanche obtenir "une reconnaissance sociale". "On se sacrifie pour les autres, donc on a besoin d’être reconnu pour ça", confie le maire de la petite commune située au bord du Rhône. En tant que vice-président de la communauté commune, il estime qu’aujourd’hui les territoires de la plaine iséroise ont même une carte à jouer en profitant du dialogue amorcé il y a un an avec la Métropole de Lyon, pour aborder des sujets liés au transport, au tourisme et au développement économique. De quoi enclencher un écoulement inverse à celui de l'eau du Rhône, en faisant ruisseler l’attractivité de l’agglomération lyonnaise jusqu’à eux.

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