Université Lyon 3 IAE Formation étudiants © Tim Douet_0278

Etudiants à Lyon au temps du coronavirus : "ça ne m'étonne pas ces tentatives de suicide"

Les récentes tentatives de suicide de deux étudiants ont jeté une lumière crue sur la santé mentale des étudiants de Lyon et d'ailleurs depuis le confinement. Entre l'angoisse, la charge de travail et leurs inquiétudes concernant l'avenir, ils n'en peuvent plus.

Début décembre, un étudiant s'est donné la mort dans sa résidence universitaire du campus de la Doua, à Villeurbanne. Un mois plus tard, le 8 janvier, un étudiant de l'Université Jean Moulin-Lyon 3 a tenté de mettre fin à ses jours en sautant par la fenêtre (lire ici). Quatre jours plus tard, une de ses camarades de fac a tenté à son tour de se défenestrer depuis sa résidence universitaire du 5e arrondissement de Lyon (lire ici). Depuis le deuxième confinement, les universités essuient une vague de suicides étudiants. Confinés, déconfinés, reconfinés, isolés, angoissés, parfois dépassés par les cours à distance, les étudiants craquent.

Larmes, crises d'angoisse et découragement

"C'est horrible à dire mais ça ne m'étonne pas ces tentatives de suicide. Moi, je fais des crises d'angoisse où je me mets à pleurer donc les gens qui sont un peu plus fragiles que moi, ça peut les inciter à se foutre en l'air." A 20 ans, Rose* est en dernière année de licence communication. Etudiante boursière, elle doit travailler en parallèle de ses études. Comparé à ses camarades qui se plaignent de leur isolement, elle s'estime chanceuse de devoir se rendre au travail : "Au moins, j'ai la chance de pouvoir voir des gens donc moralement je vais mieux que d'autres camarades." En troisième année de langues, Emma aussi connaît bien les crises d'angoisse. "Des fois, je suis devant ma feuille et je me mets à pleurer, raconte-t-elle. J'ai le cerveau embrumé. Parfois, je n'arrive même pas à me lever. A quoi ça sert si c'est pour aller de la chambre au salon et du salon à la chambre ?"

D'après une enquête réalisée cet été par l'observatoire de la vie étudiante, la moitié des étudiants interrogés disent avoir souffert de l'isolement ou de la solitude et 31% affirment avoir présenté des signes de détresse psychologique. En particulier les étudiants étrangers et les femmes. D'après les résultats de l'enquête, les étudiants boursiers sont plus nombreux à s'être sentis "très nerveux", "tristes" et "si découragés que rien ne pourrait [leur] remonter le moral". "Heureusement que je suis en colocation, réagit Emma. Je ne sais pas comment font les étudiants qui sont dans leur trou de 9m² dans les résidences du CROUS."

"Avec le distanciel, le moindre devoir devient une montagne"

Aujourd'hui, Rose* est particulièrement angoissée : c'est jour de partiel et elle estime ne pas être prête du tout. Depuis le passage de l'université en distanciel fin octobre, elle dit avoir "beaucoup beaucoup de difficultés" à suivre ses cours. "L'accompagnement de l'université a été réduit à néant, se désole-t-elle. A la fac, j'étais super investie, mes cours étaient à jour, je faisais des fiches de révisions... Avec le distanciel, l'organisation est très compliquée avec les professeurs. Pour le partiel d'aujourd'hui, j'ai eu les derniers cours il y a trois jours..." Emma aussi a du mal à tenir le cap et ses résultats sont en chute libre. "Je n'arrive jamais à décrocher totalement, il y a toujours des mails à envoyer, on en reçoit à n'importe quelle heure, il faut envoyer des PDF, des documents Word, scanner d'autres trucs, y envoyer sur telle ou telle plateforme... J'ai l'impression d'être en secrétariat", lâche-t-elle avec consternation. Emma est pressée : elle doit aller emprunter une caméra, pour se filmer en train de faire son exposé et ensuite l'envoyer à son professeur via l'espace numérique de la fac. "Cet exposé, ça m'aurait pris cinq minutes de le faire à l'oral, devant ma classe, peste l'étudiante. Avec le distanciel, le moindre devoir devient une montagne."

Les professeurs ont conscience des difficultés de leurs élèves et mettent tous leurs espoirs dans une réouverture des universités en février. Mais à chaque allocution, le sort des universités est passé sous silence... "Ce n'est pas notre métier, d'être devant un écran, se désole Anne Roger, co-secrétaire générale du syndicat Snesup-Fsu et enseignante à Lyon 1. On ne peut pas aller chercher les étudiants qui ne comprennent pas et ceux qui ne veulent pas répondre. Au bout d'un moment, ils décrochent."

"L'avenir me fait peur"

Elise, en première année de psychologie, n'a pas eu de scolarité normale depuis bientôt un an, comme la plupart des étudiants de première année. Après une année de Terminale à moitié confinée, elle n'a même pas fait un mois de cours sur les bancs de l'université qu'elle étaient à nouveau confinée. "J'appréhende beaucoup le deuxième semestre, confie la jeune femme. Je n'ai jamais rencontré mes profs." Pour éviter de rester seule dans sa chambre universitaire, elle a décide de passer le premier semestre chez ses parents. Elle fera la même chose pour le deuxième semestre si le pays est à nouveau confiné. Emma, elle, envisage de laisser tomber la fac en cas de reconfinement.

"Il va y avoir encore plus de décrochage scolaire et de suicides chez les étudiants si la situation ne s'améliore pas, prédit Anne Roger. Combien de temps ça va durer encore ? On parle de la vie et de l'avenir des étudiants !" Pour elle, cette crise sanitaire aura de graves retentissements sur le devenir de ses étudiants. "S'ils arrivent à décrocher leur diplôme, qu'est-ce qu'ils vont faire ? Ils voient leurs projets professionnels s'écrouler." Rose* par exemple, voulait poursuivre ses études dans l'événementiel mais avec le confinement, elle désespère de trouver une alternance. "A la charge de travail s'ajoute cette angoisse de ne pas savoir ce que je vais bien pouvoir faire, explique-t-elle. L'avenir me fait peur. Je n'ai plus d'études, plus de vie et après on rentre dans une spirale de dévalorisation où on se dit qu'on est qu'une merde qui n'arrive pas à gérer la pression et qu'on ne sera jamais à la hauteur."

Une psychologue pour 30 000 étudiants

Sur le terrain, les associations tirent la sonnette d'alarme depuis plusieurs mois. "La santé mentale des étudiant.e.s est une urgence nationale", titrait l'association étudiante GAELIS dans un communiqué publié suite à la tentative de suicide de l'étudiant de l'Université Lyon 3 dans la nuit de vendredi à samedi. "Aujourd'hui en France, trop peu de considération est accordée et trop peu de moyens sont alloués à la santé mentale des étudiant.e.s, poursuit le communiqué. La crise sanitaire ne fait qu'exacerber des problématiques bien plus profondes, et met en lumière des dysfonctionnements et des manques structurels dans l'enseignement supérieur." Il y a un peu plus d'un an en effet, alors que le coronavirus n'était pas encore au centre des préoccupations, un étudiant aux abois avait déjà tenté de se donner la mort par le feu devant le CROUS de Lyon (lire ici).

Dans la métropole de Lyon, des dispositifs d'écoute psychologique gratuits existent pour les étudiants, par le biais du CROUS, des services universitaires ou d'associations. Le site Lyoncampus les a recensés ici.

Au-delà de ces dispositifs locaux d'urgence, des solutions sont attendues au niveau national. Et elles se font attendre. Début décembre, le gouvernement avait annoncé le déploiement de 80 psychologues dans les universités françaises pour soutenir les étudiants en cette période particulièrement compliquée. Pour le moment, à Lyon, il n'y a toujours qu'une seule psychologue à Lyon 2, une à Lyon 3 et deux à Lyon 1. Soit une psychologue pour environ 30 000 étudiants.

 

 

 

 

 

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