La centrale du Bugey. DR

Entretien "Avec le nucléaire nous prendrions la voie de l’impasse" Partie 2

Le 14 juin, le Parlement européen a subi des oppositions à l’ajout du nucléaire et du gaz à la taxonomie verte. Entretien en deux temps sur le nucléaire : deuxième partie : Michèle Rivasi député européenne EELV. 

Le 14 juin, la commission de l’environnement, ENVI et la commission des affaires économiques, ECON se sont opposées par un vote à l’entrée du nucléaire et du gaz dans la taxonomie verte de l’Union Européenne. La taxonomie européenne a été lancé en 2018 pour orienter les investissements dans le sens de la lutte contre le changement climatique. Elle classifie les activités économique durable et ou de transition.

Michèle Rivasi
© European Union 2018 - Source : EP

Lyon étant une région particulièrement concernée par les questions nucléaires, les équipes de Lyon Capitale ont décidé de mener un double entretien pour montrer deux avis opposés. En première partie Thierry Caillon, responsable communication de la Société française d'énergie nucléaire (Sfen) et en seconde partie Michèle Rivasi, député européenne de Europe Ecologie les Verts (EELV).

Lyon Capitale : Comment expliquer qu’alors que le nucléaire ne produit pas de CO2 il soit exclu des énergies de « transition » ?

Michèle Rivasi : Plusieurs critères rentrent en compte dans la taxonomie. Pour le critère sur le climat, le nucléaire correspond car il ne produit pas de CO2. Cependant, il y d’autres critères. Le critère sur l’économique circulaire n’est pas validé par le nucléaire car nous ne pouvons pas recycler ses déchets. Ensuite, sur la pollution de l’eau, le nucléaire ne remplit pas les critères car quand nous extrayons l’uranium il y a une forte pollution. Avec le réchauffement climatique, et les températures des fleuves qui augmentent, nous voyons que certaines centrales comme au Blayais récemment sont obligées de baisser la cadence. Également, si le débit diminue, les rejets détruisent la biodiversité.

La centrale nucléaire du Bugey dans l’Ain, près de Lyon. ©FCaterini-3

Le nucléaire ne peut pas entrer dans ces énergies vertes parce qu’il n’obéit pas aux nombres de critères. C’est très scientifique la taxonomie, elle a été inaugurée par des scientifiques. Soit vous y rentrez, soit vous n’y rentrez pas. Le nucléaire comme le gaz ne rentrent pas. Le gaz c’est au niveau du climat qu’il ne rentre pas, car il est émetteur de CO2. Il n’y a pas de problème d’économie circulaire et de pollution des eaux avec le gaz.

Lorsque l’on voit notamment l’action des écologistes finlandais qui ont fait en quelque sorte leur mea culpa sur le nucléaire, que répondez vous aux personnes qui diront que le nucléaire est le choix du pragmatisme ?

Les verts finlandais sont les seuls à accepter le nucléaire, ils sont assez marginalisés vis-à-vis du parti vert européen. Pourquoi ils font ça ? Peut-être parce qu’ils avaient une trop forte dépendance du gaz russe et qu’ils se retrouvent coincés.


Il faut raisonner de façon objective, et non pas de façon subjective et nationale


Les questions en lien avec la taxonomie ne sont pas idéologiques. Il y a eu une plateforme qui regroupe des scientifiques du monde entier à la demande de la commission européenne. Lorsqu’ils sont venus à la commission ENVI, ils ont expliqué qu’e nous ne pouvions pas faire entrer le gaz et le nucléaire dans la taxonomie.  C’est comme le GIEC, il faut raisonner de façon objective, et non pas de façon subjective et nationale. Je pense que les Finlandais sont sur une stratégie très nationale.

A propos du rapport du GIEC, il était indiqué qu’il faudrait favoriser les solutions bas carbones sans discrimination technologique basée sur des raisons idéologiques. Comment pouvez vous répondre aux personnes qui disent que refuser le nucléaire était un choix idéologique ?

Le GIEC a fait des scénarios pour faire en sorte qu’on ne dépasse pas les 1,5 ou les 2 degré. Dans certains scénarios nous retrouvons du nucléaire, mais jamais à 100%. Il y a également des scénarios sans nucléaire, comme le scénario RTE. L’ADEME* propose également des scénario sans nucléaire.

*Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie

Il y a différents choix possibles, mais maintenant il trop tard pour le nucléaire. Un réacteur met globalement 15 ans à être construit, notamment si nous voulons construire 15 EPR comme le souhaite Emmanuel Macron. Avec ce délai, nous dépassons l’année 2030 et aucun objectif de 2030 ne pourra être atteint avec le nucléaire.


C’est l’énergie qui coute le plus cher


Il y a également le point de vue financier. C’est l’énergie qui coute le plus cher, avec les questions de gestions ces centrales, de corrosion, de maintenance ou de gestions des déchets. Aucun pays n’est arrivé à enfouir les déchets à grande profondeur. Ni la Suède, ni les Etats Unis avec le WIPP n’ont réussis.

Je ne parle d’idéologie. Il est compliqué de développer une énergie dont on ne sait pas quoi faire des déchets. Cela va à l’encontre de l’économie circulaire. Cela va également à l’encontre de l’adaptation au changement climatique dans le sens où il pénalise le nucléaire. Avec les fortes canicules, les terres des réacteurs doivent être refroidies et ils sont donc dépendants de l’eau.

Vous dites également qu’intégrer le nucléaire à la taxonomie va nuire à l’indépendance de l’Union Européenne. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

Sur les combustibles nous dépendant grossièrement de 20% de Rosatom*. Il y a également une dépendance pour l’installation des centrales puisqu’en Europe 18 centrales nucléaires sont faites par Rosatom notamment en Hongrie et en Slovaquie. Nous sommes également dépendant vis-à-vis de l’enrichissement de l’uranium. La France n’enrichit pas son uranium appauvrie sur son propre territoire et préfère le faire en Russie car on contaminerait toute la chaine à le faire en France.

*Agence fédérale de l'énergie atomique Russe

Lorsque nous avons demandé des sanctions contre la Russie, nous avons également demandé des sanctions sur le nucléaire. Si le nucléaire avait fait partie de la taxonomie, nous aurions financé la guerre de Poutine. Rosatom a d’ailleurs été créé par Poutine. Pour le cas de l’origine de l’uranium, nous n’avons pas d’indépendance non plus. Une part importante vient du Niger mais il vient surtout du Kazakhstan. Or, je dirais que ce pays est très dépendant lui-même de la Russie.

Pour bien comprendre, le vote du parlement Européen n’est pas encore définitif, quelles sont les prochaines étapes à venir ?

Le vote était à la commission ENVI et à la commission ECON, il a été fait sur un acte délégué. Il y a 6 mois je n’aurais pas dit qu’on allait gagner ce vote. La guerre en Ukraine a changé la vision des députés qui se sont vus très dépendant de la Russie pour le gaz et le nucléaire. Ils se sont dis que ce n’était pas possible d’être aussi dépendant outre le fait que scientifiquement ça ne tenait pas la route.

Michèle Rivasi
© European Union 2018 - Source : EP

Il n’y a pas d’énergies idéales, il y a toujours des avantages et des inconvénients. Le tout est de trouver des énergies qui pénalisent le moins le climat et l’environnement. Le nucléaire ne peut pas être une énergie référente parce qu’il y a des pays comme les pays africains où nous n’auront pas la garantie de la sureté. Je connais beaucoup ce qu’il s’est passé à Fukushima et à Tchernobyl. L'énergie nucléaire demande une structure technologique et scientifique de contrôle qui n’existe que dans très peu de pays. Nous ne pouvons généraliser le nucléaire partout, ou alors nous acceptons qu’il y ait des accidents régulièrement.

Optimiste pour le vote de juillet ?

J’espère. La victoire dans la commission ECON qui est moins progressiste que la commission ENVI est une source d’espoir. J’espère que nous gagnerons en juillet parce que sinon nous prendrions la voie de l’impasse, nous aurions une accumulation des déchets radioactifs, une augmentation des risques d’accidents et c’est infernal. Ce n’est pas l’énergie de l’avenir. Certains députés parlent des SMR, les petits réacteurs. Or, nous n’en n’avons pas et les études montrent qu’on aurait plus de déchets avec ces réacteurs et que l’énergie serait encore plus chère.


Le plus important reste la sobriété énergétique.


Le plus important reste la sobriété énergétique. Il faut d’abord diminuer sa consommation énergétique et après avoir des énergies qui correspondent à la demande. Il ne faut pas non plus penser qu’on remplacera le nucléaire par les énergies renouvelable, il faut réduire notre consommation de facteur 2.

 

Voir aussi : Sécheresse : en raison du faible débit du Rhône, une centrale nucléaire de la région fonctionne au ralenti

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