Assemblée nationale, juin 2017 © Tim Douet
© Tim Douet

Coronavirus : que pensent les députés du Rhône du projet de loi sanitaire ?

Lundi 26 juillet, l'Assemblée nationale a adopté après quatre jours de débats intenses le projet de loi sanitaire, qui comprend notamment l'extension du pass sanitaire et la vaccination obligatoire. Lyon Capitale a interrogé quatre élus du Rhône pour entendre leurs voix.

Sur les quatorze députés que compte le département, seuls trois étaient présents lundi 26 juillet lors de l'adoption du texte : Blandine Brocard, Thomas Rudigoz et Jean-Luc Fugit. La première s'est abstenu, les deux autres élus ont voté pour. Le texte, dans sa version finale, prévoit l'extension du pass sanitaire à un grand nombre de lieux publics en intérieur et en extérieur, sans jauge, pour les personnes âgées d'au moins douze ans, ainsi que la vaccination obligatoire pour les soignants.


Blandine Brocard, députée apparentée Mouvement Démocrate (MoDem) de la 5e circonscription du Rhône

Employée dans le secteur privé, Blandine Brocard est élue en juin 2017 à l'Assemblée nationale. Elle représente à travers la 5e circonscription les citoyens de Caluire-et-Cuire, Limonest, Neuville-sur-Saône... La députée n'avait pas voté le projet de loi en première lecture, et elle s'est abstenue lundi 26 juillet.

Blandine Brocard @Assemblée nationale

"La mise en place du pass va être compliquée"

L'ancienne adjointe à la mairie de Saint-Germain-au-Mont-d'Or explique qu'elle n'est pas restée jusqu'au bout à la première lecture. Elle déclare avoir préféré se rendre dans sa circonscription pour y rencontrer des commerçants , notamment à Neuville-sur-Saône, et leur demander leur point de vue sur les restrictions prévues par le texte.

"Mon avis résulte de mes rencontres avec les uns et les autres et de mon ressenti général. Les Français dans leur immense globalité ont bien conscience que la situation est très difficile, que les décisions a prendre sont malaisées et qu'il n'y en a pas de bonnes, qu'il faut tout faire pour ne pas aller vers un nouveau confinement. La mise en place du pass va être compliquée. Les restaurateurs que j'ai rencontré se prêteront au jeu, même si beaucoup n'étaient pas au courant et ne savaient pas comment faire pour contrôler."

La députée a quitté le parti En Marche en 2020 après s'être opposée à la Procréation médicalement assistée (PMA) pour les femmes en couple et seules. Elle a rejoint le MoDem en septembre dernier. Sans s'identifier entièrement à la majorité, elle dit s'interroger sur certaines mesures du projet de loi, notamment les vérifications du pass sanitaire en terrasse, et dans les transports de longue distance.

"Pour certaines choses la première lecture ressemblait à une usine à gaz, notamment au sujet des transports: dans les TGV, on contrôle le pass sanitaire, mais pas dans les TER, non ! Pourquoi donc ?  J'entends les interrogations et l'explication d'Olivier Véran, mais la pratique sur le terrain va être amputée. Il faut essayer d'arriver à un point d'équilibre."

Deux principaux points de débat ont divisé l'Assemblée : la possibilité pour les employeurs de congédier leurs salariés dans le cas où ceux-ci ne leur présenteraient pas de pass sanitaire, et l'exigence de montrer celui-ci en se rendant dans un hôpital ou un EHPAD. L'élue se range du côté de la majorité, même si elle souhaite pas se positionner clairement.

La version finale du texte prévoit la suspension du contrat de travail et non le licenciement de l'employé jusqu'à ce qu'il soit apte à présenter un certificat de vaccination ou de test. Dans le cadre d'un contrat à durée déterminée (CDD) toutefois, l'employeur peut décider de mettre fin à celui-ci en amont de la date prévue lors de la signature. Pour les hôpitaux et EHPAD, le pass devra être présenté à l'entrée, sauf urgence.

Lire aussi : Coronavirus à Lyon : que contient le projet de loi sanitaire définitivement adopté ?

"La nécessité du pass dans les hôpitaux et  EHPAD ne prend pas en compte que la vaccination : on peut considérer que demander de faire un test PCR ou antigénique dans un lieu où il faut éviter au maximum les contaminations est une mesure équilibrée. Je n'ai aucune certitude, je ne voulais pas tomber dans le travers "tout pour" ou "tout contre". Cela n'avance à rien pour nos débats"


Nathalie Serre, députée apparentée Les Républicains (LR) de la huitième circonscription du Rhône

Élue depuis juin 2020, Nathalie Serre est également conseillère municipale de L'Arbresle et mère au foyer. Membre de la commission de Défense nationale et forces armées, elle représente les citoyens d'Ecully, Tarare, Amplepuis, L'Arbresle... Elle a participé à l'ensemble des débats en première lecture, du lundi 19 juillet au mercredi 21, mais elle n'était pas présente à l'Assemblée lors de l'adoption du projet de loi, lundi 26 juillet.

Nathalie Serre @Assemblée nationale

"On nous fait avancer dans l'urgence, sans nous laisser le temps de réfléchir"

Suppléante de Patrice Verchère jusqu'en 2020, l'élue dénonce un travail parlementaire détérioré par la crise sanitaire et ses conséquences. Elle a remplacé le maire de Cours depuis un an, et est donc dès sa prise de fonction confrontée à l'urgence de la pandémie.

"Ce projet de loi est très mal ficelé, très mal concerté, comme tout ce qu'on nous présente depuis le début de cette crise ! Les conditions dans lesquelles nous étudions le texte sont scandaleuses et ne nous permettent pas de travailler normalement". Elle fait référence à la procédure accélérée mise en place pour le vote de ce projet de loi. Il a été adopté en 5 jours seulement, avec une navette parlementaire qui a débuté le 20 juillet.

Sur les 105 membres du groupe Les Républicains du Parlement, 77 étaient absents, comme Nathalie Serre, lors du vote du lundi 26 juillet. Sur les 28 présents, la majorité du groupe d'opposition est allé à l'encontre du projet de loi gouvernemental (17 contre).

"J'ai voté contre le pass vaccinal en première lecture. Je suis contre l'accès différencié pour raisons de santé à des espaces publics ! Je ne pouvais pas non plus entendre un projet de loi qui prévoir de modifier le code du travail alors que la Ministre du travail n'est même présente pour répondre à nos questions ! C'était hallucinant de prévoir un article de licenciement pour des raisons de santé". Le licenciement a été remplacé par une suspension des salariés en CDI dans la version finale. Mais les salariés en CDD pourront voir leur contrat de travail écourté.

Pour les visites en EHPAD, l'extrait exigeant la présentation dudit document est demeuré dans le texte voté dimanche. Nathalie Serre dénonce des mesures inapplicables et trop contraignantes. "La situation dans les EHPAD a été extrêmement mal gérée pendant la première crise. On n'avait évidemment pas de recul, on ne peut donc pas tout mettre sur le dos du gouvernement, mais nos aînés ont été exclus de la société et enfermés.  J'ai voté pour en première lecture, exaspérée de voir que nous n'avions rien fait passer pendant des heures de débat ! On nous fait d'avancer dans l'urgence, sans nous laisser le temps de réfléchir. Je suis assez dubitative de la gestion de la crise. En réalité, on va faire des contre-indications, des exemptions, des cas particuliers... Alors que la loi doit être faite pour une majorité, pas pour une minorité !"


Thomas Rudigoz, député LREM de la 1er circonscription du Rhône

Lyonnais, Thomas Rudigoz est membre de la commission des lois. Élu en juin 2017, il représente une partie les citoyens lyonnais de la 1e circonscription. Il fait partie de la majorité, et au titre de son soutien au projet de loi, a reçu des menaces de mort par mail suite au discours présidentiel du 12 juillet. Il a voté pour l'adoption du texte relatif à la gestion de la crise sanitaire lundi 26 juillet dans l'hémicycle.

Thomas Rudigoz @Assemblée nationale

"C'est la seule façon de lutter efficacement contre le virus

et de ne pas retomber dans des mesures drastiques"

Comme les autres élus En Marche, Thomas Rudigoz assure ses permanences à l'Assemblée nationale. Avec un système de rotation, les députés de la majorité garantissent la présence d'au moins un tiers d'entre eux à chacun des débats. L'ancien maire du 5e arrondissement de Lyon a donc assisté  mardi et mercredi aux délibérations parlementaires, et était présent à Paris pour la deuxième lecture et l'adoption du projet. S'il soutient le gouvernement dans sa gestion de la crise sanitaire, Thomas Rudigoz avait quelques minces réserves.

"Je ne suis pas d'accord avec tout, puisque j'ai fait ou co-signé des amendements: sur le report du délai pour l'obligation chez les mineurs d'avoir un pass sanitaire, sur les centres commerciaux avec des surfaces alimentaires éloignés de tous autres commerces qui n'exigent pas la présentation de celui-ci... J'en ai également présenté un sur la mise en place d'un seuil pour les petits cafés dans des zones isolées, mais il n'a pas été adopté"

Les mineurs âgés d'au moins douze ans ne seront en effet contraints de présenter leur attestation qu'à partir du 30 septembre. La vaccination leur a été ouverte le 15 juin dernier, et il faut au minimum trois semaines entre les deux doses, sans compter la forte demande de prise de rendez-vous. Quant aux centres commerciaux, l'amendement dont parle Thomas Rudigoz a été supprimé par le Sénat en première lecture et modifié : les préfets décideront au cas par cas de l'application du pass sanitaire dans ces centres. Le député appuie toutefois fermement la politique présidentielle, malgré les intimidations reçues le menaçant directement.

Lire aussi : Lyon : "c'est des vraies balles que vous allez vous prendre", le député LREM du Rhône, Thomas Rudigoz, menacé de mort

Il reprend le discours du gouvernement sur la nécessité de la vaccination à l'échelle nationale, afin de combattre la propagation de l'épidémie. "L'important est qu'on puisse mettre en place ce pass et favoriser une progression très rapide de la vaccination. C'est la seule façon de lutter efficacement contre le virus et de ne pas retomber dans d'autres mesures drastiques, comme c'est déjà le cas dans certaines zones.  Je n'ai pas "d'état d'âme" à ce sujet, je pense qu'il faut le faire pour ne pas risquer la reprise de l'épidémie. Nos concitoyens ne nous le pardonneraient pas."


Hubert Julien-Laferrière, député Génération écologie de la 2e circonscription du Rhône

Membre de la commission des Affaires étrangères, Hubert Julien-Laferrière est élu depuis juin 2017. Professeur de sciences économiques et sociales, il est le porte-voix au titre de la 2e circonscription du Rhône d'une partie des citoyens lyonnais. Il s'est abstenu en première lecture, et était absent dans la nuit de dimanche à lundi lors du scrutin définitif.

Hubert Julien-Laferrière @Assemblée nationale

"Le Parlement n'est actuellement qu'une chambre d'enregistrement"

Ancien maire du 9e arrondissement de Lyon, le député a d'abord été au Parti socialiste, avant de rejoindre LREM en 2017, et de quitter la majorité présidentielle pour le Groupe écologie démocratie solidarité comme seize autres soutiens d'Emmanuel Macron. Le parti politique disparait en 2020 car ses membres sont trop peu nombreux, et Hubert Julien-Laferrière intègre début 2021 Génération écologie. Membre de l'opposition, Hubert Julien-Laferrière a voté contre l'article 1er du projet de loi et s'est abstenu en première lecture mercredi 21 juillet après avoir assisté à l'ensemble des débats parlementaires depuis mardi 20 juillet.

"Il y a une situation de quatrième vague qui arrive et il faut faire preuve de responsabilité. Quand on s'oppose à un texte, il faut être capable de proposer une autre solution qui évite le confinement ou la saturation des hôpitaux". 

Le député critique certains points du texte de loi, en soulignant l'atteinte aux libertés, nécessaire en partie selon lui, mais pas affirmée pleinement par le gouvernement. Il pointait lui aussi du doigt l'extrait concernant le licenciement des salariés pour motif sanitaire, largement controversé au sein du Parlement puis supprimé par le Sénat et la Commission mixte paritaire.

"Il y a des points qui me paraissent de bon sens, comme la vaccination des soignants, mais d'autres sont disproportionnés: le licenciement abusif en cas d'incapacité à présenter son pass sanitaire, la peine de prison allant jusqu'à 5 ans pour présentation frauduleuse du pass... C'est équivalent à ce que l'on prend quand on commet des vols avec violence ! On ne peut pas abdiquer indéfiniment nos libertés".

La condamnation énoncée par le projet de loi du gouvernement en cas d'utilisation frauduleuse du pass sanitaire a été modifiée, comme celle sur le licenciement. Elle allait jusqu'à 5 ans de prison et 75 000 € d'amende dans le projet de loi initial. Dans le texte adopté dimanche 25 juillet, un premier délit est passible de 135€ d'amende, et en cas de récidive à 3 reprises en 30 jours, et jusqu'à 6 mois d'emprisonnement.

"Je suis vacciné et j'encourage à la vaccination, pas à croire des théories farfelues, mais il doit exister une liberté de penser en France. Même si trouver un équilibre entre sécurité et liberté est compliqué, le gouvernement doit le faire. On est parvenus à un petit compromis sur le pass, avec exception pour aller voir des personnes très malades ou mourantes. On sait que les hôpitaux sont de vrais clusters, mais le pass ne doit pas s'appliquer pour les gens qui vont voir leurs proches en situation de détresse !"

Hubert Julien-Laferrière dénonce également la politique de vaccination du gouvernement, qui pointe du doigt selon lui des boucs-émissaires, ceux qui ne désirent pas se faire vacciner. Le député revient sur la promesse de campagne du Président de la République en 2017, "réconcilier les Français", qu'il juge non tenue. Soutenant la candidate à la primaire écologiste Delphine Batho, l'ancien vice-président de la métropole s'oppose aux idées de son précédent parti, et évoque une gestion de la crise aux relents d'un régime presque présidentialiste.

"Je pense qu'il y a un vrai sujet démocratique en France, lié aux institutions de la Ve République et à la façon dont on les interprète. On a atteint un paroxysme dans les relations entre l'exécutif et le législatif. Le Parlement n'est qu'une chambre d'enregistrement actuellement ! On nous demande en un jour ou deux d'entériner la décision d'Emmanuel Macron. Ça ne se passe pas comme ça dans les autres démocraties parlementaires."

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