OM : l’empreinte insaisissable du milieu

L’assassinat début septembre du fils du directeur sportif de l’OM réveille de vieux démons autour du club marseillais. Une instruction est en cours autour de transferts susceptibles d’avoir donné lieu au versement de rétrocommissions à des membres du grand banditisme.

Dix-sept balles. Les tueurs qui n’ont laissé aucune chance le 5 septembre dernier à Adrien Anigo ont signé ce jour-là un nouvel épisode de la sanglante guerre des gangs qui secoue le milieu marseillais, tout du moins ce qu’il en reste. Mais, en éliminant le fils de l’emblématique directeur sportif de l’OM, José Anigo, les assassins ont indirectement réveillé de lourdes interrogations autour du club marseillais.

Certes l’assassinat n’a a priori rien à voir avec les activités du club – le “contrat” contre Adrien Anigo serait lié à ses activités au sein du gang dit des Bijoutiers –, mais l’empreinte historique du milieu sur les activités de l’OM et particulièrement les transferts se retrouve en quelque sorte placée sous révélateur. En ordonnant une perquisition dans les locaux de l’OM le 17 janvier dernier, les juges d’instruction de la Jirs (juridiction interrégionale spécialisée) de Marseille Christophe Perruaux et Thierry Azéma n’ont pas tapé au hasard. Ils ont saisi tous les documents concernant les transferts de joueurs des trois dernières années et se sont plus particulièrement intéressés à celui, en août 2010, d’André-Pierre Gignac. Le buteur venu de Toulouse apparaît en effet à la marge d’un dossier d’extorsion de fonds concernant plusieurs établissements de nuit aixois rackettés par le clan corse Federici. L’un des collecteurs de fonds, Christophe d’Amico, est un intermédiaire non officiel dans l’entourage du joueur évoluant alors à Pau.

Nous sommes en 2007. D’Amico est en relation à l’époque avec Jean-Christophe Cano, l’ancien directeur sportif de l’OM. L’ordonnance de renvoi du dossier Federici, qui doit être prochainement jugé, suggère ces relations particulières entre football et banditisme : “Il [Christophe d’Amico] avait été convoqué par un individu, “petit Jeannot”, disant agir pour le compte de Jean-Luc Barresi, agent de joueurs, qui lui conseillait avec insistance de cesser de travailler avec Jean-Christophe Cano (…) et de faire désormais affaire avec Jean-Luc Barresi.”

“Protection” insulaire

Barresi est un nom qui fait trembler sur la Canebière. Celui d’une célèbre fratrie de trois membres. Le chef de clan, Bernard, est impliqué, entre autres, dans une affaire de corruption et de fraude aux marchés publics. Elle a provoqué la mise en examen du président (PS) du conseil général, Jean-Noël Guérini, et de son frère Alexandre, présenté comme un proche de “BB”. Il y a également Franck, qui fut condamné par le passé pour braquages. Quant à Jean-Luc, agent de joueurs, il s’est retrouvé impliqué dans une affaire de racket portuaire, en toile de fond de la disparition en 2002 du patron du port autonome, Edmond Goubert. Jean-Luc Barresi a été condamné à un an de prison ferme pour ce dossier, mort-né en raison du décès d’un cancer du principal accusateur, un certain Ernest Vittiglio, par ailleurs patron d’une société de sécurité sur le port de Marseille. Mais c’est bien dans le monde du foot que l’aîné des Barresi s’est fait un nom, et une respectabilité dans le milieu des agents. Il a pris en main les destinées de bons joueurs, tels Maicon, Jérôme Leroy ou Samir Nasri.

Mais l’enquête parallèle sur le clan Federici instille une sorte de suspicion sur les méthodes de cet agent, jugé aujourd’hui bien trop encombrant par les dirigeants de l’OM. Barresi, qui s’est dit le 14 septembre dernier (dans les colonnes de L’Équipe Magazine) victime d’une “cabale”, aurait en tout cas échoué dans sa tentative de prise en main en 2007 des intérêts d’André-Pierre Gignac. C’est Christophe d’Amico qui l’affirme. Aidé d’un représentant du clan Federici, il aurait fait passer un “message” à l’intention de Petit Jeannot, message destiné à Jean-Luc Barresi. En échange de cette protection insulaire, d’Amico se serait engagé à verser des rétrocommissions au clan corse à l’occasion des transferts successifs de Gignac. En réalité, les Bergers de Venzolasca, comme on les surnomme, n’auraient guère prospéré dans le milieu du foot.

Des transferts transparents, selon l’OM

Barresi était-il réellement hors jeu trois ans plus tard, au moment du transfert de Gignac de Toulouse à Marseille ? C’est ce que tente de déterminer l’enquête en cours. Si son nom n’apparaît pas dans la transaction, il est en revanche officiellement en lice à cette même période dans le transfert du buteur Mamadou Niang de l’OM vers le club turc de Fenerbahçe. Le départ de Niang est à l’origine de l’arrivée de Gignac. “Barresi est un agent sérieux et efficace”, plaide un membre du conseil de surveillance de l’OM, qui affirme que tous les transferts se déroulent dans la plus parfaite transparence. Il reconnaît en revanche qu’il est impossible pour le club de contrôler le versement d’éventuelles rétrocommissions par les intermédiaires officiels.

D’où certains atermoiements judiciaires. “On sait pertinemment que le milieu perçoit de l’argent sur les transferts, mais le prouver est une autre affaire. Nous ne voulons pas que la procédure se termine en eau de boudin…”, résume-t-on au palais. Du côté de l’OM, on renouvelle l’entière confiance en José Anigo. L’enquête a cependant révélé que ce dernier a été placé sous la pression de plusieurs membres du grand banditisme, dont il est historiquement proche. Des écoutes révélées en avril dernier montrent qu’un certain Richard Derruda, bien connu du côté de l’Évêché (surnom du commissariat central de Marseille), a notamment menacé José Anigo pour qu’il trouve un club à son fils footballeur. Morceau choisi : “Déjà, tu m’as mis ton Corse d’enculé sur les couilles (…) José, t’es en train de me faire fumer, t’es en train de me faire péter la casserole. Je crois que si j’étais à côté, José, je crois que je fais une connerie.” Un épisode qui n’est pas sans rappeler le départ pour le moins précipité de l’entraîneur Jean Fernandez à l’issue de la saison 2006-2007. On avait évoqué à l’époque une intimidation pour le moins musclée, un canon de pistolet placé dans la bouche par un membre du grand banditisme…

José Anigo ne renie pas ses anciennes amitiés ni ses liens issus des coursives de la cité Consolat où il a grandi. Mais il réfute toute intervention d’agent officieux dans le transfert Gignac. Pourtant, dans d’autres écoutes, comme celle concernant le départ de l’OM du Portugais Lucho Gonzalès, les policiers relèvent “des propos équivoques sur le mode de règlement de ces transactions” (rapport daté du 22 juillet 2011).

Est-ce à dire que José Anigo est réellement dans le collimateur de la justice ? La confiance renouvelée du staff olympien plaiderait en sa faveur, d’autant que l’enquête tarde pour le moins à mettre des noms sur les soupçons. Du côté du milieu, pourtant, on s’interroge : “José, il n’a rien fait, mais il va partir.”

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