Les enjeux de la ville de demain

Si Paris était la ville du XIXe siècle, New York la ville du XXe, la ville du XXIe n’a pas encore son archétype quoique quelques indices nous enjoignent de regarder vers les émirats du Golfe ou l’Asie. Et la perspective ne se montre pas si réjouissante que cela. Loin des délires imaginaires de la science-fiction, la ville du futur s’élabore aujourd’hui. Avec toutes les tensions et les contradictions de notre époque.

1. Le développement durable ou le risque de faire sécession ?

Non loin de ses gigantesques villes ultra polluées, congestionnées par l’automobile, la Chine construit actuellement la première cité écolo-vertueuse du monde. Située à quelques kilomètres seulement de Shangaï, Dongtan, c’est son nom, sera peuplée en 2050 de 500 000 habitants sur 3000 hectares, ce qui, à l’échelle de la Chine, n’est qu’une douce plaisanterie. L’énergie solaire, la biomasse et l’éolien devraient garantir une autosuffisance énergétique. Le coût du projet est annoncé à 1,3 milliard de dollars, mais selon toute vraisemblance, ce sera dix fois plus. La Corée du Sud de son côté bâtit également ex nihilo une ville écologique de 250 000 habitants : Songdo City.

L’informatique y sera complètement intégrée au quotidien des habitants. Les promoteurs du projet développent des cartes à puces (RFID) permettant tout à la fois de rentrer chez soi, d’emprunter un vélo, un livre de bibliothèque ou de prendre les transports en commun. Des robots intelligents et des réseaux de fibre optique sont censés faciliter la vie des habitants en proposant des services de télémédecine, d’enseignement à distance ou de télétravail. Coût du projet : 25 milliards de dollars. Pour être économiquement viable, Dongtan et Songdo souhaitent attirer la recherche médicale de pointe ou des industries de haute technologie. Avec le risque d’en faire des paradis de villégiature réservés aux plus fortunés. La ville tant vantée du “zéro défaut” porterait-elle les germes d’une véritable ségrégation sociale.

Plus proche de nous et moins délirant que les échelles chinoises ou coréennes, Londres et son éco-quartier de BedZed dont s’inspire le projet chinois. Construit au sud de la capitale britannique, BeZed a réussi à abaisser son empreinte énergétique de 50% avec 2,8 hectares par personne. Dans ce petit quartier, la centaine de logements est vendue 20% plus cher que le prix moyen des logements situés dans le même secteur. Même s’il devrait être amorti par la faible consommation d’énergie, ce surcoût pourrait rebuter les ménages les plus modestes.

Lyon a également réalisé un éco-quartier. Situé à Saint-Priest, le petit lotissement des Hauts de Feuilly est un échec. Construites à la hâte, les maisons passives étaient dégradées par des fissures et des infiltrations d’eau avant même d’êtres occupées.

2. Haro sur la périphérie !

Les urbanistes et les architectes tiennent leur nouvel évangile : la densification du centre au nom du développement durable. Cette nouvelle évangélisation est la réponse adressée aux zones pavillonnaires du périurbain, qui mitent le paysage et où les classes moyennes ont trouvé refuge. Pour Jacques Donzelot, sociologue de la ville, “les classes moyennes sont devenues le problème de la ville mondialisée. Elles se sentent menacées par l’insécurité sociale produite par la mondialisation et qui fragilise leur condition salariale”. D’ailleurs, le résultat du premier tour de l’élection présidentielle de 2002 et la présence de Le Pen au second tour est très largement imputé à cette frange de la population.

Du coup la société les désigne comme coupables : coupables de mal voter, coupables de ne pas favoriser la mixité sociale en se coupant des habitants des quartiers populaires, coupables de polluer la ville par leurs déplacements en voiture pour rejoindre le petit pavillon médiocre identique à celui du voisin. À Lyon, la voiture représente 35% des trajets pour les habitants de la ville centre et passe à 73% pour les habitants de la troisième couronne. La ville de demain, en raison de l’injonction écologique, prépare un rejet du périurbain. L’architecte et urbaniste David Mangin le regrette : “Nous ne parvenons pas à nous imaginer ces petits pavillons comme mutables. Ils ont été conçus un peu comme de “grands ensembles” à plat : des cellules éclatées toutes identiques.

Les gens n’ont pas le droit de faire évoluer leur maison en raison de règlements d’urbanisme trop contraignants.” Son confrère hollandais, Rem Koolhass, juge aussi hypocrite ce retour vers le centre et y voit plutôt la marque de la muséification des villes européennes. À l’échelle planétaire, le développement des villes est devenue anarchique. Plutôt que de criminaliser le périurbain, ne faudrait-il pas y déployer une nouvelle politique ?

3. La chance du périurbain ?

Car le périurbain a des atouts. Il rend possible la coexistence d’activités très différentes sur un même territoire : espaces logistiques, espaces agricoles ou résidentiels. La mixité des activités favorise la mixité sociale. En mitant le territoire, le périurbain tend à empêcher l’agriculture intensive par la constitution d’un vaste espace agricole d’un seul bloc, mais pourrait favoriser les petites parcelles agricoles propres à une culture maraîchère largement disparue. Le succès des AMAP tend à prouver que les circuits courts de production agricole peuvent se développer. Car l’un des enjeux de la ville du futur tient précisément à notre rapport à la nature et à l’environnement.

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