Vignes vallée du Rhône
La vallée du Rhône.

Le cri d'alarme de la côte-rôtie et du condrieu

Les plus vieilles AOC de France menacées ? C'est ce dont sont intimement persuadés trois poids lourds du monde viticole et politique.

Marcel Guigal, célèbre propriétaire de la maison de vins éponyme, Christian Paly, président des vins AOC à l'Inao*, et Georges Fenech, député (UMP) et candidat à l'investiture pour les prochaines élections municipales lyonnaises en ont ras la grappe.

Réunis le 10 avril à Ampuis, village antique et berceau de l'appellation côte-rôtie, la triade s'en est âprement prise au projet de contournement ferroviaire de l'agglomération lyonnaise (CFAL), censé traverser la région d'ici à 2020. Pour eux, le projet est un “coup de poignard” porté aux prestigieux vignobles du nord de la vallée du Rhône, la côte-rôtie et le condrieu.

“Une voie ferrée sur les Champs-Elysées”

Marcel Guigal a évoqué la côte-rôtie dont il est l'un des plus réputés producteurs (La Landonne, La Mouline et La Turque), “le plus vieux vignoble de France, berceau du cépage syrah, la locomotive des côtes-du-rhône”. Pour lui, le contournement fret serait “un peu comme une voie ferrée sur les Champs-Elysées”. Ni plus ni moins. Et Christian Paly d'avertir que, si le tracé n'évolue pas, “l'une des particularités d'une AOC est d'être ni remplaçable ni transposable”, la mobilisation deviendra alors “plus agressive”.

Dans une lettre ouverte au ministre des Transports, récemment envoyée et signée par 80 députés et 11 sénateurs, Guigal-Fenech-Paly expliquent qu'ils ne peuvent pas accepter “que ce patrimoine national soit sacrifié au profit du CFAL programmé pour faire passer l'ensemble du fret européen Nord-Sud au pied des vignes” et “que soient abîmées la qualité et la réputation mondiale de ces crus de la vallée du Rhône par un défilé quotidien d'environ 300 trains d'une longueur de 1 km leur porterait à coup sûr un coup mortel”.

Cuvillier : le vin lui monte à la tête ?

Le fuseau en question, c'est Dominique Busserau, alors secrétaire d'État chargé aux transports, qui l'avait retenu, en avril 2009, évoquant un “point stratégique du réseau ferré national”.

Quant à Georges Fenech, il s'est adressé directement au ministre des Transports, Frédéric Cuvillier, lors de la séance de l'Assemblée nationale du 24 janvier dernier, parlant d'“erreur majeure”. Le ministre a répondu que les tracés en cours d'étude étaient “très [éloignés] des grands crus”. Et de rappeler que les études ont été initiées en 2005 et présentées à la concertation publique. Ce sur quoi le député Fenech a glissé : “Mieux vaut tard que jamais.”

Mais, en rappelant que les vignobles de côte-rôtie et de condrieu se situent sur les coteaux en rive droite de la vallée du Rhône, le ministre se contredit, puisque le contournement fret empruntera la ligne existante. Et sera donc mitoyen avec les grands crus.

Le Clos (19) ()

Wagner

Dans son livre sur Les Vins du Rhône, paru en avril aux éditions Glénat, Jean Serroy, professeur émérite de lettres à l'université Stendhal de Grenoble, écrit ceci : “Entre le Rhône et le vin, c'est une vieille histoire, qui plonge ses racines dans la haute Antiquité. (...) La vigne, accrochée aux pentes abruptes des coteaux ou s'étalant sur les terres d'alluvions et de galets roulés, en est inséparable. Les vins qu'elle donne, or noir des rouges, or doré des blancs, or rose des rosés, sont comme l'or du Rhône. Wagner en raffolait...”

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* Institut national de l'origine et de la qualité : établissement public qui gère, entre autres labels, les appellations d'origine contrôlée (AOC).

La Grande Plantee ()

Article paru dans le mensuel Lyon Capitale de mai 2009.

Le train sifflera trop de fois

Transports. Le Gouvernement vient d’arrêter le tracé définitif du futur contournement ferroviaire de l’agglomération lyonnaise (CFAL), dont la mise en service est prévue à l’horizon 2020. Une autoroute destinée au transport de marchandises par rail qui reliera Ambérieu-en-Bugey, dans l’Ain, à Saint-Rambert d’Albon, dans la Drôme. Un projet monumental et absolument capital pour la région, mais qui, revers de la médaille, génère des conséquences préjudiciables pour les populations et les terres agricoles environnantes.

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Il faut aller sur place pour se faire une idée, ne pas rester à la surface. Sur le papier, le futur contournement ferroviaire de l’agglomération lyonnaise (CFAL) est un bon projet : permettre aux trains de marchandises d’éviter de transiter par Lyon et la gare de la Part-Dieu et, plus globalement, reporter le fret de la route vers le rail tout en se reliant au futur Lyon-Turin à l’est et à la Magistrale Eco-Fret au nord.

Écologiquement très correct, donc. En revanche, sur le terrain, les choses ne sont pas aussi simples.

Le 26 décembre 2005, le tracé de la partie nord du contournement, de Grenay à Ambérieu-en-Bugey, est retenu, sans trop de difficultés. Le 15 avril dernier, c’est au tour du tracé sud d’être arrêté, après plusieurs années d’âpres, parfois très virulentes, discussions. Dominique Bussereau, secrétaire d’état chargé des transports, tranche pour la plaine d’Heyrieux/Sibelin Nord (Feyzin), soit 21 kilomètres de ligne nouvelle. Voilà, tel quel, le CFAL : un contournement de l’inextricable nœud ferroviaire lyonnais.

Conséquence du choix de ce fuseau, le projet relie directement la vallée du Rhône, via la ligne de chemin de fer existante, qui devra supporter les prévisibles augmentations de trafic du fret – on parle de 240 trains/jour au lieu d’une centaine actuellement – avec des wagons plus longs, pouvant atteindre jusqu’à 1,5 km de longueur.

Bref, un tracé qui va modifier en profondeur le cadre de vie des habitants, notamment en termes de perception paysagère et d’ambiance sonore. Voici un reportage sur le terrain, entre Vienne et Serrières.

Repères CFAL

Coût : 3 milliards d’euros

Longueur : 72 kilomètres de ligne nouvelle Ambérieu-en-Bugey/Sibelin-Feyzin

Mise en service : 2017-2020 pour la partie nord (Ambérieu/Grenay), 2020-2022 pour la partie sud (Grenay, plaine d’Heyrieux/Sibelin)

Des produits dangereux aux abords d’une école

Entre Saint-Romain-en-Gal et Serrières, les trains de marchandises passeront à proximité immédiate d’écoles et d’établissements scolaires, soit au total près de 5 500 enfants. La cour de l’école maternelle d’Ampuis se trouve ainsi à moins de 10 mètres des rails. Seule protection : un grillage de 2,50 mètres de haut. Chaque jour, des wagons de matières dangereuses circulent sur la ligne.

Seule consolation pour les riverains : Dominique Bussereau, secrétaire d’État chargé des transports, a demandé au préfet de la région Rhône-Alpes, Jacques Gérault, de mettre en place un comité de suivi “dédié à l’élaboration d’un programme adapté de mesures de protections acoustiques” sur les lignes existantes. Rien en revanche sur la question des risques.

Passage à niveau

La zone compte 11 passages à niveau. Pour l’association Fracture (Fédération régionale des associations contre le train en zone urbaine et pour le respect de l’environnement), qui regroupe 27 communes et 4 000 habitants, pour sécuriser les passages à niveau, 55 millions d’euros de plus seraient nécessaires, soit 5 millions par passage à niveau, qui ne sont actuellement pas pris en compte dans le budget de RFF.

Nuisances sonores

Au-delà des risques encourus par les habitations proches, les riverains doivent supporter les nuisances sonores : 80 à 85 décibels par train, soit l’équivalent d’un klaxon de voiture pendant 45 secondes. Soit 3 heures de klaxon par jour (hypothèse de passage d’un train de 1,5 km de long toutes les 6 minutes à 120 km/h).

24 communes sont concernées

Certaines voient le train passer dans leur centre. À l’époque de la construction de la ligne, à la fin du XIXe siècle, l’idée était justement de faire s’arrêter les trains de voyageurs dans les communes. Le transport de fret a aujourd’hui complètement changé la donne.

On “sent” les trains passer

À Serrières, l’église, déjà détruite entre 1878 et 1879 lors de la construction de la ligne de chemin de fer Lyon-Nîmes, est aujourd’hui lézardée de fissures, très probablement dues aux vibrations des trains qui passent à moins de 3 mètres. À l’intérieur du bâtiment, on peut entendre et “sentir” les trains passer.

À Serrières toujours, en face de l’église, rue du 19 mars 1962. Nous y rencontrons Gilbert Rey, sur sa petite terrasse quasiment à hauteur des rails. Il est aujourd’hui sourd, malgré le double vitrage. Dans la même rue, dans un petit immeuble, les placards bougent lorsqu’un train passe.

Matières dangereuses

La gare de triage de Sibelin (Feyzin), avec ses 48 voies, est spécialisée dans le traitement du trafic de fret. Les wagons de marchandises isolés de leur rame initiale sont triés pour être incorporés dans de nouveaux trains de marchandises. Chaque jour, 1 800 wagons transitent ici, soit 11,5 millions de tonnes de marchandises, dont des matières dangereuses. Les trains en provenance de toute l’Europe s’y arrêtent. Sibelin est le deuxième plus gros hub français de triage de fret.

Des risques réels

Le 3 décembre 1990, vers 23h30, un train de 22 wagons d’hydrocarbures déraille en plein centre de Chavanay. Une dizaine de wagons prennent feu et plusieurs habitations sont ravagées par l’incendie. Les pompiers éteindront les flammes le lendemain matin. Les milliers de litres d’essence qui n’ont pas brûlé s’écoulent dans les nappes souterraines, provoquant une pollution. Coup de chance, l’accident ne fait aucune victime. Et le même scénario, en journée, devant une école ?

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