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Bruno Bonnell : “Les robots vont détruire des emplois pour permettre d’en créer d’autres”

Bruno Bonnell

© Tim Douet
Bruno Bonnell

INTERVIEW - À l'occasion de la deuxième édition du salon Innorobo qui débute ce mercredi (du 14 au 16 mars, à la Cité internationale), Lyon Capitale publie une interview parue dans le mensuel de mars de Bruno Bonnel. À la tête de la société Robopolis depuis 2007, le président lyonnais du Syrobo, le syndicat des acteurs français de la robotique, continue inlassablement de se faire le prophète des technologies d’aujourd’hui et de demain.

Lyon Capitale : Les robots ne vont-ils pas continuer de remplacer de nombreux emplois dans l’industrie et contribuer ainsi à l’augmentation du chômage ?

Bruno Bonnell : “Robotique” vient d’un mot slave, robota, qui peut être traduit par “servage, travail de force”. L’écrivain Karelcapek employait le mot dans une pièce de théâtre où il y avait des esclaves plus ou moins mécaniques. Aujourd’hui, pour le bien de l’homme, le robot peut le remplacer dans de très nombreuses tâches pénibles et dangereuses. Les ordinateurs sont des proto-robots et ils ont déjà remplacé de nombreux emplois dans les administrations et les entreprises de service. À plusieurs reprises dans l’histoire, les machines ont pris la place des hommes. Lyon est bien placé pour le savoir, avec les canuts qui ont perdu leur travail avec le métier à tisser Jacquard. Pourtant, malgré les apparences, les robots sont une vraie réponse pour faire baisser le chômage, ils peuvent nous rendre notre compétitivité et permettre de réindustrialiser le pays.

N’est-ce pas paradoxal de les voir comme une solution au chômage ?

Nous ne devons pas faire de l’activité pour de l’activité. On ne va pas demander aux gens de réaliser des tâches imbéciles et non rentables juste parce que ça les occupe. Ce n’est pas jouable à l’échelle d’une nation développée. À ce compte-là, autant mettre une personne devant chaque ascenseur pour qu’elle appuie sur un bouton. Je préfère encore qu’on donne une subvention aux gens pour qu’ils ne fassent rien. L’objectif est bien de leur trouver un travail, qu’ils acquièrent une valeur ajoutée et que le pays parvienne à renouer avec la croissance grâce à un retour de la compétitivité. Les robots à Shenzhen et à Vénissieux coûtent le même prix. Ils sont même moins chers en France, grâce au faible coût de notre énergie.

Mais le coût de la main-d’œuvre chinoise est bien plus faible. Le robot à Shenzhen ne reste-t-il pas plus intéressant quand on place toutes les autres variables dans la balance ?

Si le robot coûte le même prix, nous partons sur la même ligne de départ. Après, il y a l’environnement du robot. Effectivement, le coût de la main-d’œuvre est bien moins élevé en Chine, mais le “cerveau-d’œuvre” est plus rare. La robo-calisation, réindustrialisation par les robots, entraîne une nécessaire formation et une évolution des postes. On ne doit pas maintenir artificiellement des jobs non qualifiés au nom de la préservation de l’emploi. À titre personnel, je suis contre les projets de loi antilicenciements. Par contre, je suis pour des lois qui permettent aux gens d’être formés et qu’on arrête de leur faire croire que, sans qualification, ils ont un futur radieux devant eux. Ce n’est pas vrai. C’est en s’affranchissant de tâches pénibles, dangereuses et abrutissantes qu’on peut se donner du temps pour la formation.

Lyon a-t-il une chance de devenir une capitale mondiale de la robotique ?

Le Grand Lyon et la région ont tous les atouts pour le devenir. Nous avons la mécanique du côté de Saint-Étienne, la plasturgie dans l’Ain, la microélectronique à Grenoble, le logiciel à Lyon. La somme de ces technologies peut nous donner une vraie expertise robotique. Lyon est un vrai “hub” européen et international, facile d’accès, avec un gros potentiel de développement. Beaucoup de start-up pourront venir s’y greffer. Dès aujourd’hui, Lyon doit clamer une identité robotique, pour attirer les meilleurs. La ville doit montrer qu’elle ne souhaite pas rater la robo-lution et qu’elle est prête à accueillir les entreprises qui marqueront l’avenir.

Comment la robotique va-t-elle changer notre quotidien ?

Au cours des vingt prochaines années, avec la robotique, nous allons vivre la même révolution qu’on a connue avec Internet. Elle va bouleverser l’industrie comme l’ont fait Internet et l’informatique pour les services. Ce sont tous des champs diffusants, qui s’inscrivent dans chaque élément de la vie quotidienne des entreprises et la transforment. Nous aurons des structures dédiées à la robotique, qui fabriqueront les machines, tandis que d’autres fourniront les logiciels. À côté, nous verrons la robotisation progressive et systématique de toutes les tâches industrielles. Bill Gates disait qu’il y aurait un ordinateur dans chaque foyer. Avec le syndicat Syrobo, nous parions qu’il y aura plusieurs robots dans chaque maison, dans chaque bureau, dans la rue. Tous les objets qui nous entourent vont acquérir une forme d’intelligence. Notre voiture sera un robot et sera capable de conduire seule. Notre lit, notre table, notre réfrigérateur et bien d’autres choses vont acquérir des automatismes.

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Allons-nous avoir un seul robot qui sera capable de tout faire ?

Je ne crois pas au robot universel ou convergent qui serait une sorte de majordome. À titre personnel, je déteste les smartphones, les gens n’utilisent que 5 % de leurs fonctions. C’est pareil pour mon PC. Je préfère largement ma tablette tactile, qui me permet d’aller sur Internet, de lire mes mails et de travailler sans m’encombrer. Je n’ai pas besoin du reste. Nous allons vers une segmentation des robots, qui seront spécialisés dans une seule tâche et la feront parfaitement. Le mythe du robot humanoïde qui fait tout n’a aucune utilité pour l’instant. Je vois plutôt des objets intelligents où le biomimétisme est la clé du design. C’est-à-dire comment mère Nature aurait fait l’animal capable de réaliser parfaitement cette tâche ? Par exemple, le robot aspirateur n’est pas un humanoïde qui fait le ménage, mais une galette. Cette forme est parfaite pour cette fonction.

Les films de science-fiction comme Terminator nous ont souvent montré des robots humanoïdes bipèdes. À quoi ressembleront-ils vraiment ?

La science-fiction a choisi ce modèle car le monde est organisé pour les bipèdes. Quand on avait des chars à bœufs et des fiacres, les villes étaient organisées autour des chevaux, pour leur donner à manger ou ramasser leurs crottes. Quand la voiture est arrivée, on a agrandi les rues, fait des trottoirs. C’est pareil pour la maison de demain. Elle va intégrer la robotisation dans son architecture, à commencer par les systèmes de recharge et de communication. Aujourd’hui, si notre réseau wifi se coupe, ce n’est pas grave, on relance la box. Les robots, eux, seront toujours en relation et ne peuvent pas se permettre d’être coupés du réseau. Par ailleurs, personne ne veut des robots humanoïdes. Dans Star Wars, je n’aime pas C-3PO qui est bien trop humain et en devient presque antipathique. Tout le monde aime R2D2 alors que c’est une boîte de conserve. Pourtant, il aide les autres et reste toujours utile. Demain, les enfants auront un compagnon robot, qui ne sera pas un bipède humanoïde mais sûrement un animal totem, un peu comme dans Harry Potter. Ils auront une chouette, un dinosaure qui les accompagnera, leur rappellera certaines choses, portera leur sac.

Peut-on sortir du nucléaire si l’on a de plus en plus de robots qui fonctionnent à l’énergie électrique ?

Actuellement, il y a des scientifiques qui travaillent sur des robots capables de se nourrir, qui mangent des feuilles ou des limaces. C’est un peu folklorique, mais c’est le début. Après, je suis un adepte du nucléaire. On progresse tous les jours vers une technologie propre. Nous avons en France un nucléaire exemplaire. Le contrôle est quasi militaire et il ne faut pas retenir les caricatures des militants de Greenpeace qui mettent deux coups de cisailles et disent qu’ils sont rentrés dans une centrale. Il faut diversifier l’énergie, aller vers l’éolien, le solaire, la biomasse et l’hydraulique, mais en même temps il faut continuer d’explorer le nucléaire, qui a le meilleur rendement. Je crois à la fusion froide, qui nous donnera une énergie quasi illimitée. À la fin du xviiie, Malthus disait que nous n’avions pas assez de terres arables pour nourrir tout le monde. Il a négligé les engrais, l’agriculture intensive, bref tous les progrès de l’industrialisation. C’est pareil aujourd’hui : on sait que nos réserves de pétrole sont limitées, mais on va trouver des sources alternatives importantes et le nucléaire en fait partie.

Pourquoi avoir choisi de créer un fonds d’investissement en robotique ?

On doit donner le capital initial et le temps à un entrepreneur. Cela se fait bien dans plein de secteurs. Pour le vin, on ne demande pas au viticulteur de vendre le raisin l’après-midi. Investir en robotique, c’est avoir la conscience qu’on est dans le monde industriel, pas dans celui du service. Il faut accepter de donner du temps pour créer, le temps pour fabriquer, le temps pour vendre. C’est un retour à l’économie normale. De leur côté, les entreprises ne devront jamais arrêter d’innover et constamment anticiper les technologies à venir. C’est préoccupant pour ceux qui ont été habitués à des investissements sur le court terme. La robotique bouleverse les business plans.

Pensez-vous, comme certains scientifiques l’imaginent, que des robots seront un jour capables d’être autonomes et d’innover eux-mêmes ?

L’intelligence est humaine. Les robots sont déjà capables d’analyser une situation et de trouver une solution dans un univers fermé. Au backgammon, un ordinateur gagnera toujours. Par contre, de là à dire qu’ils créeront, il y a une grande marge de manœuvre. Ils se répareront par changement de pièce, ils sauront que l’élément A peut être trouvé dans le bâtiment B, mais je suis sûr qu’ils n’auront jamais l’astuce du mécanicien au fond de la savane capable de faire démarrer une voiture avec un lacet de chaussure. L’humain trouvera toujours des solutions décalées et absurdes, il pourra toujours bricoler avec tout ce qui lui tombe sous la main et restera toujours plus intelligent que le robot.

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Bruno Bonnell, des jeux vidéo aux robots

Né en 1958 à Alger, Bruno Bonnell déménage pour Lyon en 1966. En 1983, associé à Christophe Sapet, il fonde Infogrames, qui connaît ses heures de gloire avec les jeux vidéo Alone in The Dark et V-Rally.

Dès la fin des années 1990, Bruno Bonnell imagine un jeu vidéo où un geek sauve des ambassadeurs pris en otage par des écologistes amazoniens en pilotant des robots à distance : “On voulait montrer que les greens peuvent être méchants et que la robotique pouvait être sympa.” Le jeu ne se fait pas, mais montre à quel point Bruno Bonnell a déjà intégré la robotique dans son univers. Le 5 avril 2007, il est limogé par son conseil d’administration et décide alors de fonder Robopolis, avec la ferme intention d’imposer les robots domestiques.

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Innorobo, le rendez-vous incontournable de la robotique

Pour sa deuxième édition, le salon Innorobo (du 14 au 16 mars, à la Cité internationale) a choisi de voir les choses en grand et d’inviter les équivalents de Bill Gates ou Steve Jobs en matière de robotique, tel Yoshiyuki Sankai. Au milieu de la centaine de robots présentés, des modèles inédits feront leur première apparition en Europe, comme Kibo, le petit humanoïde coréen qui est capable d’exprimer plus de dix émotions.

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