Trail : sur l'UTMB "la privation de sommeil peut être dangereuse"

Patrick Basset, médecin anesthésiste-réanimateur, directeur médical de l'UTMB (Ultra-Trail du Mont-Blanc), est à la tête d'une équipe de 30 médecins, 80 infirmiers, 300 secouristes, 3 hélicos et 10 ambulances. Rencontre avec le "doc" au cœur de la galaxie trail.

La pratique du trail longue distance nécessite une très bonne connaissance de soi et de son corps. Pour que la santé des coureurs soit prise en charge de façon optimale pendant la course, l'organisation de l'UTMB a mis en place différents dispositifs qui font date : un PC secours et médical composé de prestataires et bénévoles experts en médicalisation d'évènements sportifs, une commission médicale impliquée à l'année au sein de l'organisation, la mise en place d'un espace santé spécial coureur, ou encore l'ouverture de la course à des projets de recherche médicale permettant ainsi une meilleure compréhension de l'impact physiologique de l'ultra-endurance.

Lyon Capitale : Quels sont les enjeux de santé de l'UTMB ?

Patrick Basset : Je note trois types d'analyse. D'abord, il y a les problèmes de santé dont le pronostic vital peut être engagé. Il s'agit de maladies très rares qui tuent, comme l'hyperthermie (qui se traduit par l'élévation de la température du corps provoqué par un arrêt ou un dysfonctionnement du système de régulation de la température du corps ou l'hyponatrémie (apport d’eau trop important qui se traduit par un déséquilibre eau/sel dans le corps). Ensuite, il y a les problèmes de confort, on parle ici des tendinites, des douleurs musculaires classiques, pour lesquels il peut y avoir un taux de consultation important (650 soins de confort soit 40% de l’activité). Enfin, il y a le problème de l'automédication. Avec principalement la prise d'anti-inflammatoires. Dans l'Ultra trail, le coureur est soumis à un effort très intense. On brûle des muscles. On peut faire ce sont qu'on appelle une rhabdomyolyse : on risque alors un blocage des reins avec insuffisance rénale qui peut nécessiter une dialyse.

Combien de cas cela représente-t-il ?

Cela représente chaque année entre 5 et 10 cas sur l'ensemble des courses de l’UTMB sur les 15 à 25 patients hospitalisés.

Quelle est la politique de l'UTMB en matière de santé ?

Elle a beaucoup évolué au fil des années. Au départ, ce qui a fait notre richesse, c'est l'observation de la donnée santé grâce au digital sur une masse de trailers qui est une base unique au monde. L'UTMB est donc une très belle photographie en matière de santé. Comme nous n'avions que très peu de connaissances dans les pathologies graves, on a découvert que certains coureurs s'automédiquaient sous la pression et le lobbying des équipementiers qui donnaient de mauvais conseils : pour vendre des boissons, on invite à boire avant après pendant, mais à la fin il y a un risque grave d'hyponatrémie. L'UTMB est un catalyseur de la santé notamment grâce au programme Quartz. Ce programme que Pierre Sallet (docteur en sciences et président de Athletes for Transparency (qui milite pour l'éthique dans le sport, NDLR) a mis en place avec nous, offre aux coureurs un espace santé digital où ils communiquent aux médecins de l'UTMB leurs dossiers médicaux (allergies, asthme, diabète, traitement particulier…) pour parer à toute éventualité. Ces informations sont primordiales pour un diagnostic adapté, rapide et efficace en cas de souci pendant la course. Pour les coureurs élite, cela permet un suivi biologique confidentiel tout en permettant de rendre son espace santé publique pour plus de transparence. C’est unique dans le sport de haut niveau.

Quels sont les objectifs du programme Quartz ?

Quartz a été mis en place pour pallier à plusieurs problèmes constatés. Premier point, certains médicaments ne figurent pas sur la liste des interdictions alors qu’ils devraient y être, comme le tramadol, les anti-inflammatoires non stéroïdiens, le levothyrox qui, en plus de pouvoir améliorer la performance, présentent un risque élevé pour la santé dans le cadre de la pratique du trail running. Deuxième point, le programme permet de pallier à une utilisation détournée et abusive des autorisations d'usage à des fins thérapeutiques (AUT). Dans le cadre du programme Quartz, si un athlète est malade, il se soigne et ne court pas. S’il court, c’est sans prise d’aucun médicament pouvant aider la performance. En 2018, Kilian Jornet s'est fait piquer par une guêpe avant la course : par choix personnel et suivi du programme, il n’a pas voulu bénéficier d’une AUT pour des corticoïdes, ni avant la course, ni pendant la course quand sa situation s’est aggravée. Troisième point, la santé de l’athlète n’est pas prise en compte dans le passeport biologique de l’athlète (PBA) développé par l’Agence Mondiale Antidopage. Par exemple, un athlète avec une anémie sévère ou une pathologie hormonale ne sera jamais informé dans le cadre du PBA.

Que représente l'automédication en trail running selon vous ?

À vue de nez, je dirai environ 30% des coureurs. Mais je pense qu'on est bien au-dessus.

Quel est le "process" quand vous êtes confronté à une problématique médicale en course ? 

On a un logiciel Logicoss qui permet de savoir ce qui s’est passé. Si le coureur est en-dehors du poste médical et dans l'incapacité de se déplacer, on envoie les secours. Lorsqu'une problématique médicale est signalée, l’équipe de Dokever, prestataire spécialisé dans la médicalisation sportive dirigée par mon frère et dont je suis le directeur médical, prend le relai et pilote la prise en charge sanitaire depuis le PC secours et médical en s’appuyant sur 30 médecins, 80 infirmiers, 50 kinés et 30 podologues, tous bénévoles, répartis sur le terrain. Ces experts prestataires agissent au sein du PC course, centre névralgique de l'UTMB, composé de professionnels et bénévoles chargés de monitorer pendant une semaine, 7 épreuves et 10 000 coureurs de 100 nationalités, répartis sur 3 pays et pas moins de 800 kilomètres de sentiers alpins. Les parcours sont segmentés et les passages des coureurs sont enregistrés par l'application Livetrail, afin d’alerter le PC secours et médical en cas de situation anormale. Livetrail identifie par exemple les retards de coureurs qui ce nous permet de déclencher des procédures préventives de recherche de personnes disparues avec plusieurs heures d’avance sur les process usuels.

Lors de l'UTMB 2015, l'Équatorien Gonzalo Calisto, 5e au scratch, a été contrôlé positif à l'EPO, suite à un contrôle antidopage...

Je connais bien le dossier, car c’est moi qui ai pris ce coureur en commission médicale.On lui a dit qu'il était fortement exposé à des risques médicaux comme une thrombose cérébrale. Il nous a répondu qu'il pouvait avoir ce genre de profil sanguin, car il courait beaucoup en altitude dans son pays. J'avais des doutes au vu de sa performance et de sa progression fulgurante. C'est le premier coureur de l'histoire de l'UTMB à avoir été disqualifié pour dopage.  On a transmis son dossier aux instances antidopage qui l'ont contrôlé positif à l'érythropoïétine.

L'Ultra trail est-il dangereux pour la santé ?

Nous n'avons pas encore assez de recul pour savoir si les ultras trails ont un impact massif sur le corps humain. Nous n'aurons jamais pour objectif de dire que c'est dangereux, je préfère pousser quelqu'un à courir autour du Mont-Blanc plutôt que de le voir boire un coca devant sa télé. La privation de sommeil, en revanche, peut être dangereuse, avec une fatigue cérébrale centrale qui s'installe. Lorsqu'on conduit, il y a une règle qui veut qu'on s'arrête toutes les deux heures. Ce sera pareil dans les ultras. On analyse la nécessité en sommeil pour qu'il y ait des phases de repos. Ces recherches nous ont permis de mettre en place des espaces sommeil pour éviter que les coureurs tombent dans un ravin.

Selon de récentes études, le pic hallucinatoire se situerait après 31 heures de course, 145 kilomètres et entre 23 heures et 1 heure. 70% du peloton en est victime. Les hallucinations sont-elles un avertissement du cerveau pour faire une pause ?

C'est plus qu'un avertissement, c'est une alarme. Quand un coureur hallucine, il doit s’arrêter et se reposer.

L'UTMB est-il un bon modèle d'étude du corps humain ?

C'est surtout qu'on a un nombre de publications très faibles, mais qui commence à s'étoffer d'années en années. Pour vous donner un comparatif, dans l'univers du foot, on a 7 000 publications, contre 400 pour l'ultra endurance ( l’ultra endurance c’est ce qui est extrême pour le corps de par l' intensité, la  durée et par rapport à  ou l'environnement). C'est 1 750% de plus. S'il n'y a pas encore, dans l'ultra endurance, trop d'argent et de perversité, on profite de cette jeunesse pour améliorer la recherche médicale. On s'entoure des meilleurs chercheurs mondiaux. J'ai le sentiment que l'être humain est l'animal le plus solide, le mieux fait biochimiquement et le plus intelligent. L'être humain surpasse la pandémie. Tous les grands animaux disparaissent sauf l'homme. Donc un homme est capable de courir un 170 kilomètres, 10 000 mètres de dénivelé positif et autant de négatif.

En 2018, lors du duel entre François d'Haene (arrivé vainqueur en 19h01) et Kilian Jornet, vous avez dit que leurs cœurs battaient à 34, maximum 38 battements par minute au repos. On est dans le registre de l'extraterrestre ? 

On est face à des extraterrestres, oui, quand on sait que la moyenne est de 70 battements par minute. Cela signifie qu'ils sont moins dans le rouge sur leur débit cardiaque quand ils courent. Pour un athlète de haut niveau, l’objectif est d’augmenter le débit cardiaque. Plus le débit cardiaque est fort, plus l’approvisionnement en oxygène des organes sera conséquent.

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