@Lucas Bariolet/AFP

Loi “anticasseurs” : les députés partagés entre hémisphère droit et gauche

La loi dite “anticasseurs” a été adoptée mardi par l’Assemblée nationale par 387 voix contre 92. À Lyon, les députés La République en Marche (LREM) se sont majoritairement prononcés en faveur du texte. Seul Hubert Julien-Laferrière s’est abstenu.

Majoritairement issus du PS, les députés LREM de Lyon – Hubert Julien-Laferrière, Anne Brugnera* et Jean-Louis Touraine – se sont montrés mal à l'aise vis-à-vis de la loi “anticassseurs” adoptée hier par l'Assemblée nationale. À tel point que M. Julien-Laferrière a décidé de s'abstenir, comme 49 autres députés LREM. “Cette proposition de loi ne correspond pas à ce qui fait mon engagement politique, à mon attachement aux principes démocratiques”, a-t-il confié à Lyon Capitale avant le vote.

Discours presque similaire de Jean-Louis Touraine, qui a cependant voté pour cette loi. “J'ai hésité entre le vote pour et l'abstention et je ne suis pas le seul à avoir des sentiments contradictoires. D'un côté, insupportable que des casseurs reviennent chaque samedi depuis douze semaines. On voit rarement une violence de ce niveau-là. Et de l'autre côté, je suis très viscéralement attaché au respect des libertés. Pour moi, c'est fondamental”, explique-t-il. S'il ne s'est pas abstenu, c'est que “l'abstention ne [lui a] pas paru assez courageuse”. “Je ne dis pas que ceux qui l'ont fait ont manqué de courage. Mais, quand on fait le bilan global, on voit que cette loi comporte des choses nécessaires et des choses qui me plaisent moins. S'il y avait eu un vote distinct, j'aurais voté pour tout et contre l'article 2”, dit-il.

Cette “loi de la peur”

Initié au Sénat par le conservateur sénateur de Vendée Bruno Retailleau, la loi “anticasseurs” est très critiquée par les juristes comme François Sureau ou Henri Leclerc. Ce texte interdit notamment de “dissimuler volontairement tout ou partie de son visage sans motif légitime” dans une manifestation (article 4), mais surtout il permet au préfet (article 2) “d'interdire de participer à une manifestation sur la voie publique ayant fait l’objet d’une déclaration ou dont il a connaissance” à une personne “[qui] constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public parce que ses agissements à l’occasion de manifestations sur la voie publique [ont] donné lieu à des atteintes graves à l’intégrité physique des personnes ainsi qu’à des dommages importants aux biens ou par la commission d’un acte violent à l’occasion de l’une de ces manifestations”.

“Cette “loi de la peur”, comme il y a eu une loi du “sacrilège” sous la Restauration, vise à prévenir en réalité le retour du sacrilège commis contre les institutions. Mais la démocratie ne tient pas à des objets matériels, une statue sous l’Arc de triomphe, une porte de ministère. Elle tient à des choses plus invisibles, et c’est à celles-là que le gouvernement s’attaque”, dénonçait dans Le Monde l'avocat et écrivain François Sureau. Ce proche d'Emmanuel Macron déplorait que le texte “établisse un véritable contrôle administratif du droit de manifester”.

“Là, l’autorité administrative est juge et partie”

Bien qu'ayant voté la loi, Jean-Louis Touraine reconnaît les problèmes qu'elle engendre. “On a beaucoup retravaillé le texte initial et désormais la décision préfectorale pourra être contrôlée en référé sous 48 heures par un juge administratif, parce qu'à partir du moment où vous êtes dans l'anticipation, il y a toujours de la subjectivité. Cependant, j'aurais préféré que ce soit un juge judiciaire qui s'occupe de cette procédure”, déplore l'ancien premier adjoint au maire de Lyon.

Même constat pour Hubert Julien-Laferrière : “Ça pose problème que ce soit l'autorité administrative qui interdise à une personne de manifester et que l'on restreigne ce droit de manière préventive. Là, l'autorité administrative est juge et partie.” L'ancien maire du 9e arrondissement regrette que la majorité ait participé à “une loi de circonstance”. “C'est ce que l'on reprochait à Nicolas Sarkozy. Là, il y a un problème de violence, mais est-ce que l'on répond à un problème par une loi ?” interroge-t-il. “Je pense qu'avec plus de temps on aurait pu avoir une loi plus respectueuse. Ça a trop été fait sous influence des événements présents. On aurait pu donner plus de place au juge judiciaire. Cette question n'a pas été travaillée jusqu'au bout. Ça aurait été mieux pour la séparation des pouvoirs”, abonde Jean-Louis Touraine.

“Il y a ceux qui commentent et ceux qui agissent”

Contacté, Thomas Rudigoz, également député d'une circonscription lyonnaise (la 1re), est moins critique que ses camarades. Issu du centre droit, il estime cette loi nécessaire et équilibrée. “On a clairement mis des garde-fous pour éviter toute interdiction excessive. Les termes ont été pesés, notamment dans l'article 2. Les libertés individuelles seront respectées”, assure-t-il. L'ancien maire du 5e arrondissement assume son “différend avec certains collègues qui sont un peu trop dans un positionnement théorique et qui ne voient pas l'utilité pratique de cette loi, qui protège le droit de manifester dans un contexte de situation d'urgence face à des gens extrêmement violents comme on en avait rarement vu”. “Il y a ceux qui commentent et ceux qui agissent. Et qui ont la responsabilité de la sécurité publique. Cette loi ne va pas interdire de manifester des membres de groupes politiques, comme La France Insoumise ou le Rassemblement national ou autres, mais des personnes qui appartiennent au Black Bloc ou aux groupes d'extrême droite comme ceux d’Alexandre Gabriac ou Yvan Benedetti. Des anti-républicains, des factieux”, conclut-il.

Le texte va maintenant partir au Sénat pour une deuxième lecture, le 12 mars. Le Gouvernement espère qu'il sera adopté le plus rapidement possible. Questionné hier sur le sujet lors de l’audience solennelle du tribunal de grande instance de Lyon, Gérard Collomb, à l'origine de la loi antiterroriste – critiquée pour les mêmes raisons que celle-ci, car transposant dans le droit commun des dispositions de l'état d'urgence –, a simplement répondu : “Moi, je ne dis rien.”

* Contactée à de nombreuses reprises, Anne Brugnera n’a pu être jointe. Elle n’était pas présente lors du vote, mais s’est prononcée, par délégation de vote, en faveur de la loi.

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