Hervé Fernandez, directeur de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI), est l’invité de 6 minutes chrono sur Lyon Capitale.
Hervé Fernandez, directeur de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI), est l’invité de 6 minutes chrono sur Lyon Capitale.

Illettrisme et illectronisme : "Un enjeu économique puissant"

Hervé Fernandez, directeur de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme, est l’invité de 6 minutes chrono / Lyon Capitale.

Alors que l’État et la Région Auvergne-Rhône-Alpes viennent de signer une nouvelle feuille de route 2025-2027 pour lutter contre l’illettrisme et l’électronisme, Hervé Fernandez, directeur de l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI), était l’invité de l’émission 6 minutes chrono sur Lyon Capitale. Il y dresse un état des lieux nuancé mais déterminé : le phénomène régresse, mais demeure massif.

"Un enjeu économique puissant"

En France, environ 1,5 million d’adultes entre 18 et 65 ans sont en situation d’illettrisme. En région Auvergne-Rhône-Alpes, aucune donnée précise ne permet d’en quantifier l’ampleur localement, mais la situation y est représentative de la moyenne nationale, soit 5% des adultes. "Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’illettrisme concerne des personnes qui sont allées à l’école, mais qui ne maîtrisent pas les compétences de base", rappelle Hervé Fernandez.

Au-delà de la lecture et de l’écriture, le problème s'étend aussi aux savoirs fondamentaux comme le calcul. "3,7 millions de personnes en France ne maîtrisent pas au moins une de ces compétences essentielles pour être autonome dans la vie quotidienne", précise-t-il.

Et les conséquences sont multiples. Selon le directeur de l’ANLCI, "quand on ne fait rien pour ces salariés confrontés à l’illettrisme, on perd 3 % de sa masse salariale". Un chiffre qui témoigne de l’impact économique direct de ce phénomène, notamment dans le monde professionnel, où la moitié des personnes illettrées sont pourtant en emploi.

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"Il faut en parler pour mieux détecter"

Autre enjeu majeur : l’électronisme, soit la difficulté à utiliser les outils numériques du quotidien. "Comme le numérique est très présent dans notre vie, l’illettrisme s’y manifeste avec encore plus d’intensité aujourd’hui", souligne Hervé Fernandez, évoquant les démarches administratives, les relations parents-école, ou encore les outils professionnels.

La feuille de route signée avec l’État et la Région entend prendre le problème à la racine. "La préfète de région l’a rappelé : il faut agir dès l’école, dès le plus jeune âge", insiste-t-il. Mais pas seulement : l’action doit aussi viser les jeunes en insertion, les salariés et les demandeurs d’emploi, avec un rôle clé confié aux entreprises, aux OPCO, aux chambres consulaires et à France Travail.

"Ce qui compte, c’est que toutes celles et ceux qui peuvent jouer un rôle aient conscience de ce rôle et puissent mobiliser les moyens dont ils disposent", affirme-t-il, soulignant l’importance du travail en commun réalisé jusqu’à présent.

Enfin, l’élément central de la stratégie reste la sensibilisation : "Si on n’en parle pas, on s’interdit de le prendre en charge", conclut Hervé Fernandez.

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Bonjour à tous, bienvenue dans l'émission 6 minutes chrono, le rendez-vous quotidien de la rédaction de Lyon Capitale. Aujourd'hui, on va parler d'illettrisme avec Hervé Fernandez, directeur de l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme. Bonjour Hervé Fernandez. Alors, on va parler de l'illettrisme parce qu'en février dernier, l'État, l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme et la Région ont approuvé une nouvelle feuille de route régionale sur l'illettrisme et l'illectronisme, on va en parler, pour la période 2025-2027. Dans un premier temps, est-ce que vous pouvez, de manière courte, nous dresser l'état des lieux de l'illettrisme, localement ou nationalement ? Avez-vous des données ?

Oui. En Auvergne-Rhône-Alpes, on est un peu représentatif de la situation nationale. On n’a pas de données précises en région, mais on sait qu’il y a environ 5 % des adultes de 18 à 65 ans qui sont confrontés à l’illettrisme. Au niveau national, cela représente 1 500 000 personnes. Si on s’intéresse au-delà de la lecture et de l’écriture, à la question du calcul, on sait qu’il y a 3 700 000 personnes qui ne maîtrisent pas au moins une de ces compétences de base — lecture, écriture, ou calcul — pour être autonomes dans des situations très simples de la vie quotidienne.

Au-delà de ce chiffre massif, ce qui est très important, c’est d’avoir à l’esprit que l’illettrisme concerne des personnes qui sont allées à l’école, mais qui ne maîtrisent pas ce socle de base. Quand il n’est pas maîtrisé, on est dépendant des autres : incapacité à comprendre une consigne au travail, à poser des jours de congé sur une application, ou à lire une notice de médicament.

C’est la différence avec l’analphabétisme, où là, on ne peut pas lire du tout.

Les personnes analphabètes sont des personnes qui n’ont jamais été scolarisées, qui n’ont pas fréquenté l’école. Dans le monde, il existe un mouvement pour l’alphabétisation, car il y a encore des enfants qui n’ont pas la chance d’aller à l’école. On parle donc d’analphabétisme pour ces personnes.

Il y a aussi, dans notre pays, des personnes qui s’installent, qui ne parlent pas notre langue et qui doivent apprendre à lire et écrire. C’est très différent de l’illettrisme. L’illettrisme renvoie à un sentiment de honte. Souvent, les personnes n’osent pas dire qu’elles ne savent pas. Elles cachent leurs difficultés, ont vécu leur passage à l’école de manière douloureuse et dissimulent leurs problèmes. Elles trouvent des stratégies pour se débrouiller dans leur environnement professionnel. Il faut savoir que parmi les personnes confrontées à l’illettrisme, la moitié travaillent. Elles ont un emploi, elles exercent une activité professionnelle.

Donc ce sont des adultes ?

Ce sont des adultes, et elles vivent plutôt dans des zones rurales ou faiblement peuplées, contrairement à ce qu’on imagine.

Ce ne sont donc pas dans les grandes villes qu’on retrouve principalement les problèmes d’illettrisme ?

90 % des personnes confrontées à l’illettrisme ne vivent pas dans les quartiers couverts par la politique de la ville. Quand on regarde ces quartiers, on sait que le risque d’illettrisme y est deux fois et demie plus élevé.

D’accord. Il y a aussi des données plus positives. J’allais vous demander : comment évolue l’illettrisme en France ?

Depuis que l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme est installée à Lyon, il y a 25 ans, on a beaucoup travaillé avec l’Insee pour évaluer l’ampleur du phénomène. Plusieurs enquêtes ont été réalisées, et la dernière montre que le phénomène recule. Cette tendance était déjà marquée en 2011, mais là, on constate vraiment un repli. Toutefois, il y a encore trop de personnes concernées.

Le numérique étant très présent dans notre quotidien, l’illettrisme se révèle aujourd’hui avec plus d’intensité. Il est très présent dans les démarches administratives, au travail, dans la relation avec l’école des enfants. Il est partout. On parle aussi d’illectronisme pour qualifier cette incapacité à utiliser les outils numériques de base dans la vie quotidienne.

Donc, il y a plus de personnes qui sortent de l’illettrisme que de personnes qui y entrent ?

Exactement. Les solutions sont de plus en plus nombreuses, qu’elles soient portées par les pouvoirs publics nationaux, territoriaux, ou par le conseil régional.

On va entrer un peu dans le détail sur la feuille de route. Justement, quels sont les points saillants à retenir pour répondre à ces besoins ? Qu’est-ce qui a été signé le mois dernier ?

Ce qui est très important, c’est d’agir très tôt, prendre le problème à la racine. La préfète Fabienne Buccio l’a rappelé lors de la signature de cette feuille de route.

La préfète de la région Auvergne-Rhône-Alpes, je précise.

Oui, elle l’a dit : c’est très important d’agir dès l’école, pour que les solutions soient mises en place dès ce moment-là. Mais il faut aussi agir auprès des jeunes qui cherchent un métier, du travail, une formation. Il faut aussi agir dans l’entreprise. On a vu que c’est un environnement très concerné par l’illettrisme. Quand on ne fait rien pour ces salariés confrontés à ce problème, on perd 3 % de sa masse salariale. C’est donc un enjeu économique fort. Et il faut aussi agir pour les chômeurs.

Tout le monde a un rôle à jouer : France Travail, les entreprises, l’école. Le rôle de l’Agence, c’est de réunir tous ces partenaires. On les a réunis autour de cette feuille de route pour établir un constat commun et fixer des priorités. Une priorité essentielle, c’est de parler du problème, pour mieux le comprendre et le détecter, donc équiper…

Communiquer, sensibiliser.

Voilà. Si on n’en parle pas, on s’interdit de le prendre en charge. Il y a aussi d’autres priorités, comme agir auprès des demandeurs d’emploi pour améliorer leur prise en charge, ou encore auprès des entreprises, via ceux qui les accompagnent — les OPCO notamment — pour qu’ils soient mieux à même de proposer des parcours de sortie de l’illettrisme à leurs salariés.

On s’appuie en région Auvergne-Rhône-Alpes sur des solutions qui existent déjà, et notre idée est de les promouvoir. Il y a un gros travail réalisé avec les chambres consulaires, les chambres de métiers, pour les apprentis.

Vous travaillez donc avec toutes ces entités, ces organisations ?

Oui. On y arrivera, et on a réussi à faire reculer ce problème parce qu’on a fait cause commune. On n’a pas seulement distribué des moyens avec une ligne de crédit ou une fondation. Ce qui compte, c’est que toutes celles et ceux qui peuvent jouer un rôle aient conscience de ce rôle et puissent l’assumer en mobilisant les moyens dont ils disposent.

Ce sera le mot de la fin. Merci beaucoup d’être venu sur notre plateau pour nous présenter cette feuille de route et cette problématique qui touche tout un chacun, puisque nous sommes tous liés, d’une manière ou d’une autre, au monde de l’entreprise et au langage. Merci beaucoup. Merci à vous d’avoir suivi cette émission. Vous pouvez retrouver plus de détails sur l’actualité lyonnaise et de la région Auvergne-Rhône-Alpes sur le site lyoncapitale.fr. À très bientôt.

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