Réforme judiciaire : le bâtonnier de Lyon dénonce la “méthode Macron”

Dans un entretien publié ce mardi sur Lyoncapitale.fr, Thomas Rudigoz défendait la réforme de la justice actuellement étudiée à l’Assemblée nationale. Le député du Rhône membre de la commission des lois déclarait ne pas comprendre la mobilisation des avocats. Le bâtonnier de Lyon, Farid Hamel, répond que le Gouvernement va “réduire les droits de la défense” et assure que leurs revendications ne sont pas corporatistes.

Lyon Capitale : À Lyon comme en France, les avocats, magistrats, greffiers manifestent contre la réforme de la justice actuellement présentée à l’Assemblée nationale. Que reprochez-vous à la ministre ?

Farid Hamel : Le projet présenté par la chancellerie reprend le projet de départ, alors qu’entretemps cette dernière avait accepté un certain nombre d’amendements. C’est pour cela qu’on est en colère. Aujourd’hui, les députés attaquent les avocats tous azimuts parce que le ministère a passé un mot d’ordre et des éléments de langage. Mme Belloubet est sur la défensive parce que la méthode, qui est celle d’Emmanuel Macron, n’est pas la bonne. Il lance des pseudo-concertations pour la forme puisque le texte présenté au départ est exactement celui qui est à l’arrivée. Tous les amendements pour lesquels les avocats ont travaillé jour et nuit ont été effacés, alors qu’ils avaient été acceptés. C’est la même stratégie que pour les ordonnances sociales ou pour la réforme de la retraite.

Les députés avocats de profession portent-ils vos revendications ?

Les députés En Marche que l’on a contactés, notamment tous ceux du Rhône, avec qui l’on a de bons rapports, nous ont dit qu’ils allaient faire remonter nos critiques. À la sortie, il ne s’est rien passé, et aujourd’hui ils nous critiquent.


“Ce n’est pas une justice plus humaine, mais de l’austérité”


Justement, dans l’entretien qu’il nous a accordé, Thomas Rudigoz estime que les avocats se mobilisent de peur de voir leur rôle diminuer à l’avenir…

On nous dit que nous sommes corporatistes. Mais, quand on défend la non-suppression des tribunaux d’instance, qui va dans ces tribunaux ? Les justiciables tout seuls. Ils n’ont pas besoin d’avocats et les avocats ne vont pas sur ces litiges. À partir du moment où le tribunal d’instance (TI) est supprimé, ces justiciables devront prendre un avocat pour aller au tribunal de grande instance (TGI). Donc nous ne sommes pas corporatistes parce que là on plaide contre nous vu que l’avocat est obligatoire au TGI. Si l’on se bagarre pour maintenir les TI, c’est pour que les justiciables les plus faibles puissent accéder à la justice.

Avec 68 000 avocats en France, votre profession est-elle trop nombreuse, comme le dit Thomas Rudigoz ?

Quand M. Rudigoz parle de numerus clausus, il doit se rappeler que ce n’est pas la profession qui règle l’entrée des avocats, mais l’université, donc l’État. Si demain ce dernier dit qu’il ne faut que 200 avocats de plus en France, il n’y en aura que 200. Mais une profession qui a un numerus clausus est une profession qui se sclérose. La nôtre est très dynamique, avec une progression de chiffre d’affaires. À Lyon, on est à plus de 500 millions d’euros de chiffre d’affaires, avec une croissance de 3,8 % et le nombre d’avocats progresse.

Dans le cadre de la réduction des dépenses de l’État, le Gouvernement estime qu’il est obligatoire de fermer des tribunaux…

Soit on veut une justice et on regarde le coût, soit on dit que c’est trop cher et on adapte. Aujourd’hui, ils choisissent la deuxième option. C’est un choix politique. Ce n’est pas une justice plus humaine, mais de l’austérité. En clair, ils déjudiciarisent pour enlever 30 % du contentieux donc 30 % d’immobilier, de greffiers et de juges. Et cela passera aussi par la création d’une plateforme en ligne payante et privée. En face, ils disent augmenter le budget de la justice de 25 % sur le quinquennat. C’est une bonne chose, mais la majeure partie va aller vers le système pénitentiaire, qui en a besoin. La réalité, c’est qu’en budget justice par habitant la France est 37e en Europe, au même niveau que l’Albanie et derrière l’Azerbaïdjan. La justice, c’est comme les hôpitaux, ça ne rapporte pas d’argent.

Vous parlez d’une plateforme privée en ligne et payante. Quel est ce projet ?

Pour les litiges jusqu’à 10 000 euros, les justiciables seront obligés de passer par une plateforme privée, qui finira par être une filiale d’Amazon ou de Google. Cette plateforme sera payante. Entre 50 et 80 euros. On ne connaît pas encore le prix. En cas de litige, il faudra aller sur ce dispositif pour justifier d’avoir fait une tentative de médiation. Un algorithme, une intelligence artificielle, fera la médiation. En cas d’échec, vous pourrez éventuellement aller au tribunal et le juge choisira de prendre le dossier ou non. C’est ça qui contrebalancera la disparition du TI.

Aujourd’hui, les temps de procédure sont extrêmement longs. C’est aussi la réduction de ce temps que vise cette digitalisation…

À Lyon, on est entre trois et quatre ans pour un procès. C’est une honte. Aujourd’hui, vous achetez une maison avec des malfaçons : la procédure dure huit ans. En matière sociale, aux prud’hommes, c’est aussi trois, quatre ans. Face à ça, on nous impose des médiations, c’est-à-dire des règlements amiables avec un arbitre que l’on paye, sinon c’est quatre ans d’attente.

Finalement, vous dites la même chose que le ministère…

Oui, mais le projet présenté, c’est du cosmétique. Quand Thomas Rudigoz dit que l’on peut croiser son agresseur dans un commissariat, je ne vois pas le rapport avec la réforme de la justice.


“Quand il n’y a plus de justice, c’est la vengeance privée qui s’installe”


Il parlait de l’intérêt de la dématérialisation…

Si un député a peur d’aller dans un commissariat en France, soit il change de métier, soit il réforme l’accueil dans les commissariats. Mais il ne le supprime pas, parce qu’il y a 10 millions de personnes qui n’ont pas accès à un ordinateur en France. Si l’on dématérialise, ces gens-là ne feront plus de procès. On s’en est aperçu aux prud’hommes : le contentieux a baissé de 30 % et surtout le contentieux où l’avocat intervient très peu. Dans les tribunaux d’instance supprimés sous la précédente législature, le contentieux a aussi baissé. Quand il n’y a plus de justice, c’est la vengeance privée qui s’installe.

Plus globalement, vous dénoncez la diminution des droits de la défense. Qu’est-ce qui va changer ?

Aujourd’hui, quand vous êtes gardé à vue, on vous notifie par procès-verbal tous vos droits. Désormais, cela se fera oralement, sans aucun document écrit. On supprime donc les droits de la défense, puisque l’avocat ne pourra pas vérifier la légalité de la procédure puisqu’il n’y aura plus rien d’écrit. On ne pourra plus vérifier l’application du Code de procédure pénale, qui garantit les droits. L’objectif du Gouvernement est de gagner du temps puisqu’il manque des fonctionnaires et des magistrats dans la justice.


“Aujourd’hui, excusez-moi du terme, mais ils défendent leur gamelle pour être renouvelés”


Pourquoi en est-on arrivé à un moment où l’on considère qu’il faut réduire les droits de la défense ?

Ça s’appelle la montée du populisme. C’est aussi parce que le monde judiciaire n’intéresse personne. Il y a un exemple très simple : l’amélioration des conditions de garde à vue et la présence d’un avocat datent de quand ? Elles datent de la période durant laquelle des juges d’instruction et des procureurs ont eu le courage de poursuivre des hommes politiques. Les types sont sortis de garde à vue et ont trouvé ça scandaleux. Ce n’est que là qu’on a amélioré les conditions de la défense. Aujourd’hui, tant que ça va toucher des petits jeunes de banlieue, on ne va rien faire et dire que c’est du trouble à l’ordre public.

Le monde de la justice critique ce projet de loi depuis maintenant plus d’un an. Qu’avez-vous raté, ou mal fait, pour que rien n’ait changé malgré les manifestations ?

On est 68 000 avocats en France. On a une réputation de nantis. Donc, on ne peut pas manifester, bloquer des péages. Surtout sachant que l’on est légaliste. On n’est donc pas un secteur porteur et audible auprès du public. La chancellerie le sait et joue sur ça. On n’a pas beaucoup d’autres moyens d’action, à part parler aux députés. Mais aucun d’entre eux n’ira contre la loi. Les députés En Marche avocats de profession ne sont plus avocats, mais députés à plein temps. Aujourd’hui, excusez-moi du terme, mais ils défendent leur gamelle pour être renouvelés.

Si la loi passe, qu’allez-vous faire ?

On va l’appliquer. Je ne vois pas comment manifester contre une loi déjà votée. Malheureusement, ce sera le justiciable qui en paiera le prix. Mais qu’on ne vienne pas nous dire que ce sera une justice plus proche, plus humaine et accessible parce que ce sera une justice privatisée, lointaine et chère.

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