Lyon, 12 mai 2019 © Antoine Merlet
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Gilets jaunes : bilan d’un an de comparution devant les tribunaux lyonnais

Un an après les premières condamnations de Gilets jaunes, de nombreux acteurs et observateurs évoquent une justice d’exception. Outre la réponse policière dans les rues, qui a blessé et mutilé des dizaines de manifestants, plusieurs avocats lyonnais pointent une politique pénale particulièrement ferme, diligentée par l’exécutif pour étouffer la contestation sociale.

Un an que les lundis sont jaunes à la 14e chambre correctionnelle du tribunal de Lyon. Les comparutions immédiates s’y enchaînent proportionnellement à l’agitation du week-end. L’aboutissement d’un après-midi de garde à vue suivi d’une journée de geôle pour les prévenus qui arrivent à la barre, bien souvent pour la première fois de leur vie. “Ils n’avaient pas le capital procédural, les bases du droit pénal, se souvient Yannis Lantheaume, du collectif Activistes du droit, membre du Syndicat des avocats de France. Nous avons été choqués des violences qu’ils subissaient alors qu’ils n’étaient pas habitués à manifester dans la rue et avons donc fait une formation de base pour outiller les gens face aux gardes à vue et aux comparutions immédiates.” Car, en face, l’appareil judiciaire s’est rapidement mis en branle, avec poigne. En témoignent la visite de Nicole Belloubet au parquet de Paris lors d’une permanence Gilets jaunes, en décembre 2018, ou la note du procureur de Paris, Rémy Heitz, incitant les magistrats à la “fermeté”.

Divination

À Lyon, 303 gardes à vue ont été menées entre novembre 2018 et novembre 2019, selon les chiffres fournis par le parquet. Et le dernier bilan judiciaire, qui remonte à avril 2019, fait état de 80 condamnations pour trois relaxes. Pas de chiffres officiels, en revanche, sur les motifs de condamnation ; mais, sur l’échantillon de trente audiences compilées par la Commission d’enquête populaire contre les violences policières et la répression*, qui a présenté ses résultats fin novembre à la Bourse du Travail, un tiers des infractions (32 sur 97) est constitué par la “participation à un groupement en vue de commettre des dégradations ou des violences”. “Une justice divinatoire !” cingle Amandine Fabregue, qui a défendu une quinzaine de dossiers jaunes à Lyon. “On demande de deviner si les personnes se présentent en manifestation pour défendre des valeurs ou pour dégrader, et on condamne avant même qu’ils aient commis la moindre infraction, s’insurge l’avocate. Souvent, les juges déduisent du contenu du sac ou de la tenue.” Beaucoup d’arrestations pour dissimulation du visage, aussi, notamment de personnes qui se protégeaient des gaz lacrymogènes. Thomas Fourrey, qui a par ailleurs obtenu des succès sur des dossiers de “décrocheurs”, se souvient d’un client condamné à huit mois fermes “parce qu’il buvait un Coca en dehors de la manif, avait des fumigènes et une quille de Mölkky dans son sac”.
* Elle regroupe différents partis, syndicats et associations classés à gauche, mais aussi la Ligue des droits de l’homme et le Syndicat de la magistrature. Elle a documenté la réponse judiciaire au mouvement des Gilets jaunes en compilant une trentaine d’audiences à Lyon.

“Droit d’exception”

De lundi en lundi, les comparutions se succèdent. “Si bien que les magistrats ont l’impression que la réponse pénale ne suffit pas, et durcissent les peines”, constate Yannis Lantheaume, qui insiste sur la violence symbolique de ces audiences. “Les comparutions immédiates, c’est très coercitif, abonde Amandine Fabregue. On juge en urgence, dans un contexte passionnel.” Et le Syndicat des avocats de France de s’interroger sur “un droit d’exception”. Un prévenu sur dix seulement aurait refusé la comparution immédiate, selon la Commission d’enquête populaire. Avec à la clé une plus grande sévérité, de l’avis de plusieurs robes concernées, de part et d’autre de la barre. Laurent Bohé, estampillé avocat des policiers, valide. “La comparution immédiate est une politique pénale faite pour une réponse rapide, comme c’est le cas avec les violences envers les femmes ou la délinquance routière, rappelle-t-il. On risque des peines plus importantes, mais c’est surtout lié à la typologie des infractions, qui sont plus graves.” Des condamnations sévères, d’autant que la plupart des prévenus sont primo-délinquants, insérés socialement.

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