Splice : Une Famille en horreur

Oubliez Shrek, le monstre de la semaine est dans Splice, drame familial horrifique sur fonds de manipulation génétique et de tentation prométhéenne. Mais surtout conte moral aux accents freudiens.

Avec ses trois premiers films, Vincenzo Natali était apparu comme un cinéaste enfermé dans des films concepts trop verrouillés. Et pour cause il y était beaucoup question de cellules, qu'elles soient celles d'une prison en forme de Rubik's Cube (Cube), celles de la mémoire et des neurones (Cypher) ou carrément du néant (Nothing). Avec Splice, Natali se libère avec brio de son éternel carcan conceptuel et pourtant il est toujours question de cellules : celles dont la division suit la fécondation, et une autre, non moins divisible, la cellule familiale. Couple star de la génétique aux services d'un gros labo, Clive (Adrien Brody) et Elsa (la trop rare actrice canadienne Sarah Polley) séquencent et assemblent l'ADN de diverses espèces animales à des fins thérapeutiques. Mais en apprentis sorciers curieux d'explorer les frontières de la science et du génie divin, ils cèdent bien vite à la tentation prométhéenne de mêler l'ADN humain à leurs expériences. De là naît Dren, une chimère, mi-humaine, mi-toutes sortes d'animaux, que les deux scientifiques vont garder au secret et élever comme leur enfant. Car c'est bien à une métaphore appuyée de la paternité-maternité que se livre Natali, notion avec laquelle le couple entretient des rapports compliqués, notamment Elsa dont on comprend assez vite qu'elle a été maltraitée enfant et que cela va avoir son importance. Mais une métaphore accélérée car Dren croît à une vitesse stupéfiante, comme un clin d'oeil à ces parents qui trouvent que, vraiment, « ils grandissent trop vite ». Et parfois trop mal.

Oedipe carabiné

Chaque étape de l'arrivée et du développement de l'enfant est ainsi décortiquée, ainsi que les angoisses que ces différents stades provoquent chez les « parents ». Le cinéaste se régale à accoler à ces situations en temps normal d'une affligeante banalité, les ressorts du fantastique et d'un quasi huis-clos de plus en plus tendu. Jusqu'à un Oedipe/complexe d'Electre particulièrement carabiné qui fait basculer la petite famille dans une drôle de tambouille, entre tentations d'infanticides (le père puis la mère), désirs équivoques (la mère puis le père) et boucherie domestique. C'est là, en faisant bifurquer son film dans une voie horrifique extrêmement malsaine, que Natali sort des sentiers battus du fantastique aux petits pieds pour venir aiguillonner les tabous les plus drus (l'inceste en premier lieu) rappelant au passage leur fonction de socle civilisationnel (ce que décrit à peu près Freud dans Totem et Tabou). Sa thèse étant que l'éthique scientifique et l'èthos familial sont des garde-fous fondamentaux. De ce point de vue, Splice a valeur de conte, dans la droite lignée des contes pour enfants dont Bruno Bettelheim nous explique dans Psychanalyse des Contes de fées quel rôle ils peuvent jouer dans l'édification de la personnalité et de la sexualité de l'enfant, ce petit monstre en puissance. Aussi efficace dans le conte moral que dans la fable horrifique, dans le huis-clos familial que dans la science-fiction d'anticipation, Splice est une étrange créature cinématographique. Un film hybride, entre cinéma d'auteur et d'horreur, dont les charmes fatals sont aussi troublants et changeants que ceux de sa créature.

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