Tinariwen © Marie Planeille

Musique à Fourvière : six nuits en juin

La programmation musiques actuelles (et plus si affinités) des Nuits de Fourvière se présente comme un excellent cru tant sur la qualité que sur l’éclectisme. Si elle est traditionnellement plus touffue en juillet, juin démarre les (amicales) hostilités sur les chapeaux de roues. Sélection.

Chanter dans le désert

S’il y avait un équivalent à l’Académie française pour le blues touareg, et même plus largement le blues africain, c’est-à-dire intrinsèquement le blues originel, ce serait sans doute Tinariwen, qui approche qui plus est d’un âge canonique, pour ne pas dire académicien (plus de quarante ans d’existence dans des configurations volatiles et trente-cinq ans de discographie officielle). À égalité maintenant avec le regretté Ali Farka Touré, ces hommes bleus sont l’essence même du blues, tendance désertique et dansante, mais, à bien des égards, politique. Une essence largement diffusée puisque le groupe a collaboré avec tout ce que le monde compte d’indie-rockers informés (Matt Sweeney, Kurt Vile, Mark Lanegan, Cass McCombs, Warren Ellis) et de producteurs dans le vent (Jack White, Daniel Lanois). Dans cet univers aride, Tinariwen revient en quelque sorte aux sources, à certaines sources, avec l’album Idrache (traces du passé) une collection de démos anciennes (2002 à 2008) assorties de quatre titres inédits qui laisse transparaître avec la grâce habituelle du groupe cet assouf constitutif de sa musique, ce mal du pays associé à la langue tamasheq. À Fourvière, Tinariwen sera la tête d’affiche d’une soirée African Grooves qui risque d’attirer l’orage, avec en sus la légende des percussions de l’éthio-jazz Mulatu Astatké et le collectif féminin du Mali Les Amazones d’Afrique.

African Grooves : Tinariwen / Mulatu Astatké / Les Amazones d’Afrique – Le samedi 7 juin.

Fontaines DC

La flamme Fontaines

On connaît la tradition britannique consistant à ériger en meilleur groupe du monde une formation par semaine et en meilleur album de tous les temps un disque hebdomadaire. En vérité, du temps de la splendeur de la presse musicale britannique, la chose avait pas mal à voir avec le rythme de parution (hebdomadaire donc) qui était alors celui du New Musical Express et du Melody Maker, les deux publications de référence outre-Manche. Si les choses ont un peu changé (plus grand monde n’a la moindre idée de ce qu’est un journal papier ni même un disque long format), il reste des groupes érigés au firmament du rock en un rien de temps et ce fut le cas de Fontaines DC. Une formation dublinoise qu’on eût pu logiquement prendre pour un feu de paille un peu pressé, un soufflé délicieux mais vite dégonflé, une fois sorti du four à buzz. Sauf que. Sauf qu’en quatre albums (en à peine six ans), le groupe irlandais a su mieux que confirmer ou se renouveler, il n’a cessé de multiplier les contrepieds. Son dernier disque, Romance, est un étrange et impressionnant exercice débutant comme du Depeche Mode (Romance), se poursuivant en matière quasi hip-hop (Starburster) et toujours en embardées post-punk virant new-wave électro et s’achevant en parfaite petite bombe pop carillonnant de toutes ses forces (Favourite). Il est à peu près clair que Fontaines DC sera encore l’un des meilleurs groupes du monde la semaine prochaine, et peut-être même dans quinze jours.

Fontaines DC – Le lundi 9 juin.

Marc Rebillet

Un ticket pour l’espace

C’est peu de dire que Marc Rebillet est un phénomène : Franco-Américain né et poussé au Texas, Rebillet s’est lancé dans la musique sur Internet en improvisant des morceaux aux synthés et à la platine devant une caméra. Le tout dans une veine complètement déglinguée, tenant à la fois du concert privé, de l’art thérapie pour zinzins de l’espace et du bézu post-moderne sous kétamine. On ne jurerait pas qu’une telle formule permette à qui que ce soit de s’ouvrir les portes des grands concerts et festivals maous. Mais la chose a cartonné (impénétrables voies du Seigneur Internet) et le voilà maintenant qui fait à peu près la même chose que dans sa chambre mais sur des scènes de 1000 m2 loi Carrez et dans les festivals les plus sérieux, comme ici à Fourvière, où à Jazz à Vienne il y a trois ans. Notons, pour une information tout à fait complète, que Rebillet officie généralement torse nu et même la plupart du temps en slip, ce qui ne fait qu’ajouter au folklore. Il est tout à fait possible de trouver cela insupportable si on est plutôt branché Laurent Voulzy mais sachez que pour ce concert vos enfants ont déjà leur billet. Et même probablement un re-billet, au cas où.

Marc Rebillet – Le mardi 10 juin.

Passe, passe le oinj

Oh, il y aura du monde sur la corde à linge en ce 26 juin. Et si Fourvière a plutôt l’habitude d’attirer l’orage, il se peut que le temps soit davantage au brouillard ce soir-là. Et que ledit brouillard sente un peu fort. Ce soir-là en effet, c’est Cypress Hill qui s’y colle. Attention légende. Cypress Hill, pour ceux qui n’ont pas traversé les années 90 avec un tee-shirt trop grand, des chaussettes remontées jusqu’au short (lui aussi trop grand) et une casquette à visière plate posée sur les oreilles, c’est un des piliers du rap Côte Ouest de l’époque, c’est-à-dire de l’Histoire car tout fut inventé dans cette décennie. En 1993, leur album Black Sunday, porté par le tube Insane in the Brain (production étriquée, phrasé sous protoxyde d’azote, rythmique carrément enfumée) fait pleuvoir les disques de platine et les Grammy Awards et vaut au groupe mené par DJ Muggs d’être le premier groupe latino-américain multiplatiné. Capable de concocter des tubes avec une simple rythmique lancinante, une guitare et des trompettes hispaniques dans un minimalisme assumé (Tequila Sunrise), ou d’écrire à la gloire de la marijuana (Dr. Greenthumb) avec une voix de dessin animé. Cypress Hill est aussi un adepte des mélanges, collaborant avec toute la sphère rap (Wu-Tang Clan, Dr. Dre, Mobb Deep, KRS-One, Nas, Eminem) mais aussi vers l’infini rock et au-delà (Tom Morello, Damian Marley, Prodigy). Les quatre premiers albums du groupe, au moins, sont mythiques car rattachés à ce qu’on considère comme un âge d’or du rap. Il sera là, l’âge d’or, à Fourvière. Évitez de respirer trop fort, vous pourriez rentrer chez vous en zigzag.

Cypress Hill –Le dimanche 29 juin.

Beth Gibbons

Trip folk

S’il ne fallait désigner qu’une égérie au mouvement trip hop qui, au mitan des années 90, transforma la déprime en grâce à coups de scratches épileptiques et de voies célestes, la gagnante serait facile à désigner. Bien sûr, on citerait les savants fous que furent Tricky et Massive Attack aux commandes d’albums diaboliques (Maxinquaye et Pre-Millennium Tension pour le premier, Protection, Blue Lines et Mezzanine pour les seconds) mais la figure de proue qui incarne le mieux le mouvement, son Athéna Nikè en quelque sorte, reste Beth Gibbons, chanteuse du troisième pilier trip hop, Portishead et son bouleversant Dummy. Une femme plutôt effacée, que pas grand monde n’a eu l’occasion de voir sourire, à l’opposé complet de ce qu’on imagine d’une rock star ou même d’une simple chanteuse, mais qui quand elle ouvrait la bouche en laissait jaillir une lumière noire comme on n’en n’avait jamais vue, entendue, ressentie. Au point qu’elle pouvait en être, et l’est encore parfois, malaisante. Depuis Portishead et ses trois albums studio (la suite n’a guère fait le match avec Dummy), Gibbons a multiplié les projets dont un avec Rustin Man, projet tenu par l’ancien bassiste de Talk Talk, Paul Douglas Webb, et a même chanté du Henryk Górecki. Mais ce n’est que l’an dernier qu’elle a livré son premier véritable album solo, Lives Outgrown, une réflexion sur la maternité, l’anxiété, la ménopause. Rien donc qui n’incitera à danser la chenille autour d’une table de camping ou dans les travées rocailleuses du théâtre antique. Mais de superbes chansons d’indie-folk atmosphérique (plus question de trip hop, ici, évidemment) sur lesquelles piquer une bonne déprime salvatrice. Une musique quasi mystique et cinématographique qui flirte avec Morricone autant qu’avec David Sylvian ou le Talk Talk tardif de Colour of Spring. On annonce que sur scène la chose est encore plus bouleversante. On risque d’y croiser pas mal de nostalgiques de l’inoubliable concert de Portishead en ce lieu il y a onze ans.

Beth Gibbons – Le lundi 30 juin.

Franz Ferdinand

Eux aussi ont donné à Fourvière des concerts que peu ont oublié, l’un en première partie de PJ Harvey en 2004. L’autre en 2006, en tête d’affiche. Depuis on les a revus, très favorablement, à la salle 3000 en 2018, entre autres. Vingt et un ans après leur baptême du feu (le coup de vieux !), la formule, qui les a portés à dépasser le milliard d’écoutes sur les plateformes pour leur tube Take Me Out,n’a en apparence pas changé sur leur dernier disque The Human Fear, sautillant comme au premier jour de ce funk blanc quasi festif et nourri de riffs comparables à une machine à trancher. En réalité, en trois décennies, Franz Ferdinand a emprunté pas mal de détours musicaux et varié les formules pour ne pas s’ennuyer et ennuyer, la plus emblématique restant ce projet en compagnie des Sparks des frères Mael, commis en 2015, enthousiasmant album de pop foutraque fiché pile au croisement des univers, pourtant distants, des deux formations. Avec The Human Fear, comme sur Always Ascending (2018), on retrouve ces riffs si reconnaissables un peu westerns mais froids et cette rythmique funk aux accents presque disco, comme sur le redoutable Hooked et cette musique qu’on jurerait toujours empreinte d’une certaine ironie et d’un refus de tout à fait se prendre au sérieux. Et comme dit plus haut, tout cela est terriblement efficace en live.

Franz Ferdinand –Le mardi 1er juillet.

www.nuitsdefourviere.com

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