Livres : la sélection de Lyon Capitale

Carole Fives pour Le Jour et l’heure, Yamina Benahmed Daho pour La Source des fantômes et Ivan Jablonka pour Goldman. C'est la sélection littéraire de Lyon Capitale.

Des retrouvailles pour un adieu…

Le Jour et l’heure, le dernier roman de Carole Fives, nous confronte à une famille à la fois banale et originale. Les deux parents retrouvent leurs quatre enfants devant la gare de la Part-Dieu. Mais ce n’est pas d’un joyeux départ en vacancesdont il s’agit. D’abord les “enfants” ne sont justement plus des enfants mais des adultes, déjà suffisamment avancés dans la vie pour avoir eux-mêmes leurs propres enfants.

La fratrie qui prend place à l’arrière de la Peugeot est plutôt une “sororie”, il y a trois jeunes femmes et un jeune homme. Ils ont en commun, comme leur père – qui conduit trop brusquement – autrefois, d’exercer une profession médicale (sauf la petite dernière). Tropisme familial que l’on retrouve dans les opinions de chacun et chacune : ils sont tous progressistes et, politiquement, on ne les classerait certainement pas à droite.

Peu importe au fond, puisque ça n’empêche pas, au-delà des valeurs communes, des différences notables dans la façon de voir la vie et la société qui les entoure. Et surtout de ressentir tous d’une façon singulière la situation qu’ils affrontent, qui les réunit durant ce voyage de cinq heures, durée estimée par le GPS, qui les conduira en Suisse, à Bâle, non pas pour passer une soirée arrosée en écoutant des tubes des années 80, ce qui sera pourtant le cas, mais pour être là avec leur mère, le lendemain matin, quand elle se donnera volontairement la mort.
Dans ce court roman de 140 pages, Carole Fives nous confronte, au cours de brefs chapitres de deux ou trois pages, aux pensées profondes – ou légères – des protagonistes.

Si tous respectent le geste et la volonté de la mère, confrontée à une maladie qui ne lui laisse aucun espoir, l’amertume est là, et bien sûr une profonde tristesse, que parvient à nous transmettre Carole Fives avec beaucoup de finesse, mâtinée d’humour. Tout en amenant sa pierre à l’édifice de la réflexion sur le sujet, ô combien complexe et douloureux, du suicide assisté (toujours interdit en France, même si la loi Leonetti a fait évoluer la situation).

C. M.

Le Jour et l’heure –Carole Fives, éditions JC Lattès, 144 p., 17 €.


Yamina Benahmed Daho, donner une voix aux oubliés…

En présentant son dernier roman, La Source des fantômes, lors de la matinée consacrée par l’Arall (agence Auvergne-Rhône-Alpes Livre et Lecture) aux écrivains de notre région qui sont publiés lors de cette rentrée littéraire, Yamina Benahmed Daho a affirmé son désir de parler de “ces vies oubliées”.

Il est vrai que lors de son précédent roman, À la machine, elle avait su redonner vie à l’un des premiers inventeurs, injustement méconnu, de la machine à coudre, Barthélemy Thimonnier.

Elle était partie d’un souvenir familial puisque sa mère possédait l’un des premiers exemplaires de cette antique machine… Sa famille est encore plus présente dans ce nouveau roman, même si elle a changé les noms, décalé les situations, glissé une part de fiction dans son récit. Lequel nous amène au cœur des années 80 dans un lotissement vendéen regroupant neuf familles.

Il fait bon vivre parmi toutes ces maisons semblables occupées par des personnes qui savent se témoigner amitié et solidarité. Les parties de billes sont acharnées, les petits chambrent les plus grands, tout en les jalousant de cette autonomie qu’eux n’ont pas encore.

Le racisme n’est pas complètement absent mais l’on se serre les coudes devant les imbéciles. L’enfance de Yamina serait encore plus heureuse, si elle ne voyait son père silencieux, souffrant sans doute de l’exil, et de ses souvenirs d’ancien harki.

N’empêche malgré la présence des “fantômes”, ceux que ses parents ont laissés en terre algérienne, c’est une forme de bonheur et de douceur qui émane de ce récit d’enfance. Avec le goût des crêpes et des frites que préparait son père dans sa camionnette.

C. M.

La Source des fantômes –Yamina Benahmed Daho, éditions L’Arbalète-Gallimard, 144 p., 18 €.


Un homme en or

Fut une époque où la marionnette des “Guignols” de Jacques Chirac (ou peut-être était-ce Chirac lui-même) répétait “Pas bouger, pas bouger” en reluquant ses sondages en hausse malgré un bilan de roi fainéant. En gros, moins j’en fais, plus on m’aime.

C’est là une sorte de paradoxe à la française qui veut qu’assez pareillement, le dénommé Jean-Jacques Goldman, retiré des Top 50 depuis deux décennies, continue non seulement à être le chanteur préféré des Français (un chanteur qui ne chante pas, donc) mais aussi le Français préféré des Français (un Français qui vit à Londres).

Ainsi lorsque l’historien Ivan Jablonka publie un livre sur l’idole (la sienne et celle des Français), tous les hebdos de l’Hexagone lui consacrent leur une de fin d’été. Surréaliste, un peu. Et puis l’on se plonge dans ledit et on constate qu’on est assez vite happé à la fois par la trajectoire du chanteur, sa famille de gauche, ses principes, son frère haut en couleur (Pierre Goldman), mi-activiste, mi-braqueur, assassiné après avoir fait de la prison, ses échecs aussi et sa réussite explosive.

Mais également par le phénomène sociologique décrypté par Jablonka. Car, et c’est peut-être un bémol (en plus du côté hagiographique de l’objet), Goldman n’est ni une biographie, ni un objet littéraire (l’écriture n’est pas folle), ni un livre d’histoire proprement dit (on se demande un moment ce que c’est exactement), c’est un peu tout ça à la fois et en même temps rien de tout ça.

Et pourtant la chose tient. Par le sérieux du travail de l’auteur, quand même, et par son sujet, fascinant, sans qu’on sache vraiment pourquoi. Même quand on n’est pas fan de Goldman, c’est dire le vertige.

Goldman – Ivan Jablonka, Seuil, La Librairie du XXIe siècle, 400 p., 21,90 €.

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