Sur le tournage du film, Martin Sheen a été victime d’une crise cardiaque induite par les hallucinogènes.

Festival Lumière à Lyon : l’apocalypse Coppola

C’est en majesté que Francis Ford Coppola viendra quérir son prix Lumière avec, sous le bras, une nouvelle version restaurée (et sans doute définitive) de son monstrueux chef-d’œuvre, Apocalypse Now, projeté en clôture comme apothéose d’une vaste rétrospective.

À en croire les spécialistes, l’Histoire n’aurait rien d’objectivement nécessaire. Et il n’y a pas de raison que l’Histoire du cinéma échappe à cet adage. Il est pourtant difficile de voir un hasard dans le prix Lumière décerné précisément cette année au mogul hollywoodien Francis Ford Coppola. C’est qu’il y a quarante ans, le réalisateur, membre clé du Nouvel Hollywood, déjà multioscarisé, remportait sa deuxième palme d’or (ex-æquo avec Le Tambour de Volker Schlöndorff) pour Apocalypse Now, cinq ans après sa première pour Conversation secrète. Avec ce film monstre, adapté de la nouvelle Au Cœur des Ténèbres de Joseph Conrad, Coppola, sur le toit du monde à 35 ans, avait non seulement repoussé les limites du cinéma mais surtout les siennes.

L’histoire est connue : le tournage, aux Philippines, fut cauchemardesque. Il doit durer six semaines qui se transforment en seize mois, ravagé par la mousson et la folie qui gagne jusqu’aux acteurs (Harvey Keitel est renvoyé, Marlon Brando est ingérable et boulimique, Martin Sheen, qui remplace Keitel, fait une crise cardiaque induite par les hallucinogènes) et l’on déplore un mort. Coppola lui-même, mégalomane, capricieux et inconséquent, est à deux doigts d’y laisser sa santé mentale et physique, son couple et toutes ses économies. "On était tous enfermés dans la jungle, résumera-t-il à l’époque, et, peu à peu, nous sommes tous devenus fous." Un documentaire, Au cœur des ténèbres : l’Apocalypse d’un metteur en scène, goulûment présenté au festival Lumière, immortalisera en 1991 cette épopée cinématographique.

"L’horreur..., l’horreur"

Le film, que Coppola achève à la hâte pour concourir à Cannes et dont personne ne voulait – les studios fleurant peut-être le bourbier à venir – est une bombe réalisée sans effets spéciaux, un opéra-trip psychédélique et wagnérien, une apocalypse en direct, métaphore d’une Amérique devenue folle et de "l’horreur..., l’horreur" consubstantielle à l’espèce humaine. "Ce n’est pas un film sur le Vietnam, c’est le Vietnam", dira son réalisateur, encore marqué par ce tournage dantesque. Ce Vietnam dont la plaie est encore à vif, quatre ans après la chute de Saigon.

Les critiques ne comprennent pas tout de suite le film – comment pourraient-ils ? Coppola ne le comprend pas lui-même –, Françoise Sagan, présidente du jury cannois, le déteste. Il gagne pourtant la palme et les faveurs du public. Entre dans l’Histoire du cinéma. En 2001, le réalisateur en sort une nouvelle version, Apocalypse Now Redux plus proche de ses aspirations et surtout plus longue de 53 minutes (il fait désormais 3 heures 14). Et c’est avec Apocalypse Now Final Cut, une troisième version (de 3 heures 03) du monstre, minutieusement restaurée en 4K à partir des photogrammes de Redux, que Coppola s’est représenté cette année à Cannes, hors compétition, à l’occasion des 40 ans du chef-d’œuvre.

Megaloppola

Anniversaire, d’un film et d’une palme, copie magnifiquement restaurée – l’une des raisons d’être du festival Lumière – il n’en fallait pas davantage pour que Francis Ford Coppola devienne, précisément cette année, indépendamment des contingences d’agenda qui nourrissent aussi parfois les programmations de tels événements, le 11e prix Lumière. Un prix que oui, l’on qualifiera d’objectivement nécessaire pour un festival qui se refermera en apothéose sur la projection du film le plus fou jamais réalisé par un réalisateur qui ne l’est pas moins. Pensez : à 80 ans, Coppola vient de s’atteler à son projet de toujours, son film "serpent de mer", maintes fois repoussé (en 2001 après le 11 septembre), pour ne pas dire abandonné (en 2007 quand il œuvrait sur L’Homme sans âge) : Megalopolis, un film de science-fiction prenant place dans un New York dévasté. Un projet ad hoc pour le réalisateur porté sur les révélations, ce cavalier de l’Apocalypse filmée.

Festival Lumière. Du 12 au 20 octobre.
Conversation avec Francis Ford Coppola. Le vendredi 18 octobre à 15 h aux Célestins.
Remise du prix Lumière. Le vendredi 18 octobre au Centre de congrès.
Apocalypse Now Final Cut. Le dimanche 20 octobre à 15 h à la Halle Tony-Garnier.

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