Le téléphérique de Brest @Fred TANNEAU / AFP

Ouest de Lyon : bonne ou mauvaise idée, le projet de téléphérique est-il vraiment crédible ? Et pertinent ?

L’annonce a fait l’effet d’une bombe avant Noël. Dans le plan de mandat dévoilé par le Sytral, il est prévu, pour fin 2025, la réalisation et aussi la mise en service de la première ligne de « transport par câble » dans la Métropole de Lyon, plus précisément avec 7 ou 8 stations entre Francheville et Lyon en passant par Sainte-Foy-lès-Lyon. Un projet de téléphérique qui soulève de nombreuses questions. Et déjà de vives passions. Quid des expropriations ? Des servitudes de survol ? Du bruit ? Du rapport coût/ voyageurs transportés ? Nous avons interrogé les acteurs locaux de l’ouest lyonnais. Qui sont très partagés. Analyse et décryptage.

Ah, les fameux débats autour de la mobilité dans l’ouest lyonnais. Des débats que les moins de 20 ans ne peuvent pas tous connaître « tant notre relief présente des avantages mais aussi des inconvénients », dixit le maire de Francheville, Michel Rantonnet. Sur la colline de l’ouest, des territoires accidentés mais aucun métro en 2020. Aucun tram non plus, relief oblige. Mais bientôt un téléphérique, ou un « transport par câble » selon le Sytral. Le Sytral (Syndicat Mixte des transports pour le Rhône et l'agglomération lyonnaise) est l'autorité organisatrice des transports en commun du Rhône. Bientôt, oui. Dès 2025. Avec donc une mise en service du téléphérique dans moins de 5 ans. « On nous annonce une livraison pour 2025 d’un projet pour lequel moi je n’ai pas été consultée, ni les habitants, s’étonne Véronique Sarselli, la maire de Sainte-Foy-lès-Lyon. On nous le présente comme une décision définitive. C’est surprenant ».

Dans le plan de mandat du Sytral 2021-2026, l’investissement prévu est de 2,55 milliards d’euros. C’est considérable. Avec notamment 875 millions d’euros d’investissement dans les tramways, avec 4 nouvelles lignes de tram (le T8 Bellecour-PartDieu-La Doua, le T6 en plein cœur de Villeurbanne, le T9 en plein cœur de Vaulx-en-Velin et le T10 au cœur de Saint-Fons), un investissement de 535 millions d’euros dans les bus (avec notamment 400 nouveaux bus écologiques), 685 millions d’euros d’investissement dans la modernisation du réseau de métro et donc 160 millions d’euros pour la réalisation de la première ligne de « transport par câble » à Lyon. Où, selon le Sytral, 20 à 25 000 voyageurs/jour sont attendus. Une étude réalisée en 2019 n’offrait pas de garanties de fréquentation aussi importante. Loin de là (autour de 4000, voire plus loin). De nombreuses autres questions se posent, interrogent habitants comme élus locaux. Comme les contraintes d’insertions, le bruit, le tracé précis, les expropriations, les 42 immenses pylônes (de près de 50 mètres de haut) pour assurer la tenue de l’édifice, le coût par rapport au nombre de voyageurs transportés…

Quel est l’objectif du téléphérique ?

Selon le Sytral, dirigé depuis le mois de septembre 2020 par l’écologiste Bruno Bernard, également président de la Métropole de Lyon, ce projet a pour but de permettre « une nouvelle offre de mobilité permettant le franchissement de coupures urbaines majeures et offrir un gain de temps considérable » et de « diminuer la part de la voiture individuelle qui représente encore près de 60% des déplacements dans cette zone géographique ». « Cette infrastructure permettra de relier Gerland à Francheville en une vingtaine de minutes contre cinquante en voiture », soutient le Sytral, ajoutant que « la technicité de mise en œuvre dans la construction des cabines sera adaptée au milieu urbain ». Une concertation débutera en 2021 pour retenir le tracté optimal pour les « 20 000 à 25 000 voyageurs quotidiens attendus à la mise en service », dixit le Sytral.

Quels sont les tracés étudiés ?

Plusieurs tracés sont étudiés, notamment pour la traversée, controversée – on y reviendra – de Sainte-Foy-lès-Lyon. Le départ s’effectue au Bourg de Francheville-le-Haut- avec ensuite une halte à la gare de Francheville (au niveau du centre culturel de l’Iris) et ensuite une troisième station à Francheville, à Taffignon, à la limite avec Sainte-Foy. Deux autres stations seront réalisées à Sainte-Foy (possiblement à la mairie de Sainte-Foy et à Croix-Pivort) puis, selon les tracés étudiés, une station à la Mulatière, vers l’Aquarium de Lyon, pour une arrivée à Gerland, dans le 7e arrondissement de Lyon. Avec une « branche » possible du téléphérique de Croix-Pivort, à Sainte-Foy, pour une arrivée à Confluence, dans le 2e arrondissement de Lyon.

Le tracé qui avait été étudié en 2019 lors d'une étude commandée par le Sytral

Un projet qui divise localement

Michel Rantonnet, le maire LR de Francheville (14 000 habitants), qui siège aussi au Sytral, accueille avec joie ce nouvel édifice. « On est terriblement enclavés. Pour partir de la mairie de Francheville et aller à la Part-Dieu, actuellement, il faut 1h10-1h15. Il faut absolument rejoindre une ligne forte du métro pour désenclaver ces secteurs. Je parle pour Francheville, mais cela concerne aussi Craponne, Chaponost. Francheville est aussi une ville de transit pour tous les véhicules qui descendent des Monts du Lyonnais, l’étalement urbain dépasse maintenant largement la Métropole de Lyon », explique-t-il. Le téléphérique, il est pour. « Je compte sur la solidarité de ma collègue de Sainte-Foy pour que l’intérêt général l’emporte sur les intérêts particuliers qui ne manqueront pas de venir… Sainte-Foy a aussi tout intérêt à ce que les véhicules de transit ne passent plus par la ville », poursuit le premier édile de Francheville.

Car il le sait, Sainte-Foy est beaucoup moins emballée. « Monsieur Bernard m’en avait parlé vaguement (du projet de téléphérique). On n’a jamais eu de réunion ensemble là-dessus. Et là, j’apprends ça à la sortie du comité syndical du Sytral (le 17 décembre 2020) où ont été votées les orientations budgétaires. Et on nous présente ce projet comme définitif, nous explique Véronique Sarselli, la maire LR de Sainte-Foy-lès-Lyon (22 000 habitants). On nous a ensuite proposé un comité de pilotage le lendemain (le vendredi 18 décembre). Je suis assez surprise de la méthode, surtout venant d’une tendance politique qui est pour la coparticipation citoyenne. C’est juste bien quand on est en campagne… ».

La maire de Sainte-Foy-lès-Lyon depuis 2014 poursuit : « Il faut améliorer les déplacements dans l’ouest lyonnais. C’est une réalité. Je ne peux pas contester ça. Et je dirais même dans le grand ouest lyonnais. C’est pour ça qu’on milite pour le métro E. Il faut aussi arriver à s’ouvrir à des modes de transports totalement nouveaux et décarbonés, je n’ai rien à dire là-dessus. C’est logique. Il faut avancer vers çà, vers des transports en commun efficaces et en lien avec la protection de l’environnement. Sur le principe, réfléchissons-y. Mais j’aurais aimé avoir une étude qui me prouve la pertinence du coût par rapport à son efficacité. Et aussi savoir ce qu’on ne fait pas en contrepartie. On voit bien que le projet de métro E est un peu mis de côté. Or, pour désenclaver l’ouest, il nous faut un transport lourd. Le téléphérique, ce n’est pas suffisant ». Sur ce point, Véronique Sarselli est rejointe par son collègue de Francheville. « Je me bats aussi, et toujours, pour le métro E. Le téléphérique ne se substitue pas au métro E, il est complémentaire. Sans faire ces investissements de mobilité, on compromet le développement économique et urbain de l’ouest lyonnais », souligne Michel Rantonnet. Le métro E, lui, n’est pas dans le plan de mandat 2021-2026.

Une fréquentation surévaluée ?

Pour ce projet, le Sytral avance 20 à 25 000 voyageurs attendus pour cette ligne entre Francheville et Lyon. « L’étude qui a été faite sous le précédent mandat (au Sytral) ne nous disait absolument pas ça, elle donnait un chiffre beaucoup plus faible. Je demande au Sytral, à Monsieur Bernard, d’avoir des projections de fréquentation. Pas les capacités maximales. Ce n’est pas du tout la même chose. Et derrière, je demande aussi une vraie étude qui consisterait à demander leurs besoins réels aux habitants », poursuit Madame Sarselli, réélue au 1er tour aux municipales de 2020

Cette étude, elle dit quoi ? Les résultats ont été donnés en décembre 2019 (lire ici). Le Sytral avait commandé une étude autour de différentes hypothèses de téléphériques dans la Métropole de Lyon. « On avait étudié 10 hypothèses », se souvient Fouziya Bouzerda, la présidente du Sytral jusqu’en septembre 2020. Après les études préliminaires, seulement trois des dix hypothèses potentiellement pertinentes avaient été testées de manières plus profondes : Caluire - Industrie - Vaise, Plateau Nord Rillieux - Grand Parc - Grand Montout et enfin… Francheville - Confluence – Gerland.

« La plus pertinente reliait Rillieux à Décines-Meyzieu en passant par le Grand Parc (de Miribel-Jonage) », poursuit Fouziya Bouzerda, qui balaye les projections de fréquentation pour la ligne de Francheville : « Francheville, quand on a fait l’étude, on était sur très peu de personnes. Gerland, c’était environ 4000 voyageurs/jour. Confluence, c’était 2000 voyageurs/jour. Je ne vois pas comment ça aurait pu doubler ou tripler en quelques mois, d’autant que le départ est à Francheville. Il n’y a pas de point de rabattement spécifique, pas de tram, pas de ligne forte. On a des lignes classiques, pas de ligne forte ».

Lire ICI notre article consacré à l’étude de décembre 2019 sur les téléphériques à Lyon.

L'étude réalisée en 2019 pour la ligne Rillieux-Décines

Le coût de l’ouvrage sous-évalué ?

Le Sytral estime le coût de l’édifice Francheville-Lyon à 160 millions d’euros pour livraison en 2025. « L’étude réalisée en 2019 chiffrait la réalisation à 210M d’euros. Avec des contraintes quand même très importantes. Forte densité d’habitations, des survols complexes, un nombre de pylônes considérable. Est-ce que c’est pertinent ? Vous aurez solutionné le transport pour 2 ou 4 000 voyageurs / jour et vous aurez une insertion très complexe. Car la difficulté majeure de cette ligne, au-delà du rapport coût/voyageurs transportés, c’est surtout l’insertion. On est dans une configuration où il faut absolument donner toutes les clés aux habitants. A Sainte-Foy, les difficultés d’insertion vont être importantes », explique l’ancienne présidente du Sytral, Fouziya Bouzerda, désormais présidente du Modem Rhône. Difficultés d’insertion, en gros des cabines qui passent au-dessus des habitations.

Et puis il y a donc la question du coût. Pour ces ouvrages, le coût de la maintenance est à ne pas négliger. Ils tombent (régulièrement) en panne. Comme le montre l’exemple de celui de Brest (lire ici). Les maintenances annuelles, obligatoires, peuvent aussi être assez longues. Sans compter le chiffrage, difficile à estimer, des expropriations. Cela ne rentre pas, forcément, en compte dans le coût mais le bruit des téléphériques sera, aussi, à prendre en compte. Des nuisances sonores, au-dessus ou à proximité d’habitations. Ce chantier peut faire s’envoler une partie du budget, des câbles plus silencieux existent mais ils sont logiquement plus chers.

Le téléphérique de Brest @Fred TANNEAU / AFP

De grosses difficultés d’insertion à Sainte-Foy

« L’étude avait révélé des contraintes d’insertions énormes, très importantes et très impactantes à Sainte-Foy, qui n’existent pas à Francheville et à la Mulatière, poursuit Mme Sarselli. Le comité de pilotage du 18 décembre 2020 dit la même chose. On nous annonce des pylônes de 50 mètres de haut, il y en a 42 de prévus sur la ligne de Gerland. L’emprise au sol d’une pylône est aussi proportionnelle à sa hauteur, c’est normal. J’ai plusieurs questions. Quid des expropriations ? Car on nous dit « on va essayer de passer sur du public », mais ce n’est pas vrai, on va aussi passer sur du privé. Quid des servitudes de survol ? Quid de l’insertion paysagère ? On s’est battus à Sainte-Foy pour avoir un PLU (plan local urbanisme) protecteur. On a des espaces verts sanctuarisés, on a du patrimoine historique, on a un périmètre Architectes des Bâtiments de France (ABF) très large à Sainte-Foy, on a limités nos hauteurs à 3 étages au PLU… Dans le périmètre ABF, on refuse beaucoup de choses aux habitants. Comment vous pensez que vont réagir nos habitants ? Alors à ce stade, je suis très réservée. Ce qui m’inquiète, c’est le caractère définitif d’une décision. On précipite un projet. La moindre des choses, ça aurait été une réunion publique avec les personnes concernées non ? ».

A Francheville, moins de problèmes d’insertion. « Plus de la moitié du territoire de Francheville n’est pas constructible, il est en zone naturelle. Pas de problème pour faire passer le téléphérique », explique le maire de Francheville, Michel Rantonnet. Avant d’affirmer : « la population est unanime sur le téléphérique ».

Ce n’est pas le cas à Sainte-Foy. « Les écologistes en ont parlé aux deux élections précédentes à Sainte-Foy, en 2008 et en 2014, on ne peut pas dire qu’il y ait eu un engouement extraordinaire des Fidésiens », note la conseillère municipale d’opposition à Sainte-Foy, Ghyslaine Torres (LREM).

Des recours et de longues procédures à prévoir ?

« Sainte-Foy, c’est très étendu, beaucoup d’habitants continueront de prendre le bus. Le seul problème sur le transport par bus, c’est la fréquence.  Je ne vois pas ce que ça va résoudre (le téléphérique). Ca va améliorer la vie de quelques personnes qui habitent près de la station. Ca ne va pas résoudre le problème des mobilités sur Sainte-Foy. J’ai regardé l’histoire dans les villes des télécabines, elles étaient essentiellement à destination touristique ou pour passer des bras de mer. Il y a un problème de flux avec le nombre de points de ralliement sans point relais », précise Mme Torres. Avant d’ajouter : « Ca sera douloureux et long. Il va y avoir des procédures et ça va durer des années ».

Même favorable au projet, Michel Rantonnet en est conscient : « L’avantage du téléphérique, c’est aussi le coût. Et la durée. Vous pouvez le réaliser dans le mandat sans les recours ».

Un désenclavement de l’ouest lyonnais, vraiment ?

Mais est-ce que ce projet va vraiment désenclaver l’ouest ? Ancienne président du Sytral, Fouziya Bouzerda ne le pense pas : « Le téléphérique, ça n’a jamais été pensé comme une alternative au métro. Les lignes de câble et de métro n’ont rien à voir. Le Métro E jusqu’à Part-Dieu, on était jusqu’à 150 000 voyages/jour. 150 000… par rapport à 4 000 pour le téléphérique. Quand on parle des investissements, on les met en rapport. Sur ce mandat (car le métro c’est sur plusieurs mandats), le coût du métro E aurait avoisiné les 500M d’euros si on avait commencé à creuser avec le tunnelier. Bon, 210M d’euros (pour le téléphérique) pour 4000 voyageurs par jour, avec ceux qu’on est censé desservir qui seront les plus impactés, est-ce vraiment la bonne solution ? Si vous ne lancez rien sur ce mandat-là, vous prenez un retard considérable pour l’avenir. La responsabilité des élus, ce n’est pas uniquement de faire les choses qu’ils vont voir eux lors de leur mandat, c’est aussi de lancer ce qu’il va se poursuivre au long cours. C’est une fausse vision de considérer que le métro E était uniquement un métro pour Tassin. C’était un métro pour tout le grand ouest avec du rabattement. Le Sytral, c’est penser dans sa globalité, pas faire des petits tronçons en disant « super, nous on est novateurs, on fait une télécabine ». Je trouve ça dommage de ne faire de la politique que lors de son mandat, ce n’est pas ça l’outil Sytral ».

« Il faut se battre sur tous les fronts, poursuit Michel Rantonnet. Pour le métro E aussi. Avec le téléphérique, on va cerner une partie de Francheville. Mais on se bat aussi pour le métro E à Alaï, pour tous les gens qui descendent de Tassin, de Craponne, et qui convergent vers Alaï. Le métro, c’est beaucoup de voyageurs, il faut aussi le faire ».

Les élus locaux plébiscitent également un autre moyen de transport, le tram-train. « C’est le projet prioritaire sur l’ouest, explique Mme Torres. Les lignes existent déjà. Métropole et région, il faut qu’ils se mettent d’accord. Le réseau existe ». « Une bonne solution aussi » pour Véronique Sarselli. Et pour Michel Rantonnet, qui demande au président de la région, Laurent Wauquiez, et à celui de la Métropole, Bruno Bernard, d’avancer ensemble sur ce projet.

D’ici-là, les Fidésiens attendent des réponses. « Je n’ai pas de réponse sur une analyse efficacité/coût du télécabine, efficacité dans le sens désenclaver/améliorer et le coût qui est proposé. Je n’ai pas de réponse. On va nous dire un métro ça coûte beaucoup plus cher mais on ne peut pas comparer un métro en terme de rapidité, de transport lourd… Je suis d’autant plus réservée », conclut la maire de Sainte-Foy-lès-Lyon. Un nouveau comité de pilotage est prévu en avril 2021 avant le lancement d’une phase de pré-concertation. Le débat autour du téléphérique dans la Métropole de Lyon ne fait que commencer…

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