Lucie Aubrac, un volcan s'éteint

Quarante après la guerre, alors que le procès Barbie se préparait, elle racontait dans "Ils partiront dans l'ivresse" ce qu'avait été sa vie de résistante, aux côtés de son mari, pendant les heures sombres de l'Occupation. Récit.

Lucie Bernard est née en 1912 dans une famille de vignerons bourguignons. Etudiante à la Sorbonne, cette belle et grande fille brune s'engage dans le Groupe des étudiants pauvres puis dans la Jeunesse communiste.
Agrégée d'histoire, Lucie est nommée à Strasbourg. Elle y rencontre un jeune ingénieur, Raymond Samuel. Une date scelle leur destin : le 14 mai 1939. "A Strasbourg, nous avons ressenti l'un pour l'autre un amour total. Pas seulement un coup de foudre, mais un accord si définitif que nous nous sommes juré, tant que nous vivrons, d'être toujours ensemble les 14 mai". Lucie et Raymond se marient trois mois après la déclaration de la guerre.
En août 1940, Raymond est fait prisonnier. Comme elle le fera à trois reprises, Lucie le fait libérer, s'arrangeant pour qu'il se retrouve à l'hôpital. "Un mur à sauter le soir et ce fut la liberté".
La zone nord devient trop dangereuse. Lyon est leur prochaine destination. A Clermont-Ferrand , Lucie prend contact avec le petit groupe "La dernière colonne", autour du journaliste Emmanuel d'Astier de la Vigerie, qui fait paraître un "tract" clandestin qui deviendra après-guerre le journal "Liberation".
Lucie, Raymond et leur fils Jean-Pierre s'installent dans une villa tranquille de l'avenue Esquirol. Raymond s'implique peu à peu dans les mouvements de résistance sous le nom d'Aubrac, le nom de ces volcans du Massif central qui veillent dans l'ombre... Arrêté par les Allemands, Raymond parvient à les convaincre qu'il n'est qu'un petit trafiquant. Ce qui est peu important pour l'occupant est en revanche un délit grave pour la police française. Lucie dédide d'intervenir en se rendant chez le procureur, "un trouillard". Se faisant passer pour la représentante de De Gaulle, elle brandit des menaces de mort et obtient ainsi la libération de son mari. Un coup de bluff qui aurait pu mal tourner ? Qu'importe : Raymond est là pour le 14 mai.
Enseignante au lycée de jeunes filles Edgar Quinet de Lyon, elle est révoquée en novembre 1943 pour ses convictions gaullistes.
Le 20 juin 1943 est "une splendide journée d'été". Les Aubrac doivent rencontrer au parc de la Tête d'Or l'envoyé de De Gaulle, Max. Lucie voit s'avancer "un homme de taille moyenne, brun, avec de très beaux yeux noirs". C'est l'unique et dernière fois qu'elle voit Jean Moulin. Il demande à Raymond de consentir à organiser l'armée secrète dans la zone nord. Lucie n'hésite pas : "Tu acceptes, mais il n'est pas question que nous nous séparions. Nous sommes trois, nous serons peut-être quatre l'an prochain ; allons-y". Raymond apprend ainsi qu'il va être papa à nouveau.
Le lendemain, une réunion secrète entre Raymond Aubrac, Jean Moulin et six autres résistants a lieu dans le cabinet du docteur Dugoujon à Caluire afin de désigner définitivement le futur chef de la zone nord. Le "rendez-vous de Caluire" tourne au tragique.
Quand elle apprend l'arrestation de son mari et de ses compagnons par la Gestapo, Lucie Aubrac décide encore une fois d'agir. Pour savoir si Raymond est toujours vivant, elle se rend au siège de la Gestapo. Elle se présente comme une jeune fille de bonne famille, enceinte de Claude Ermelin (c'est sous ce nom qu'a été incarcéré son mari) et demande à parler au chef des services de la police allemande, un certain Klaus Barbie. "Est-il possible que ce petit bonhomme fasse peur à tout le monde ?" s'étonne-telle en le voyant. Une rencontre terrifiante mais qui lui apprend que Raymond est vivant et... condamné à mort.
Il faut agir vite. En soudoyant un officier allemand à qui elle raconte qu'elle a honte de donner naissance à un enfant "naturel", elle obtient finalement un mariage in extremis. Une opportunité pour transmettre à son mari les plans de son évasion.
Le 21 octobre, le camion transportant Raymond est attaqué par les membres du groupe-franc que Lucie dirige. Raymond est blessé mais libre. Quatre mois plus tard, un message de la BBC leur annonce leur départ pour Londres où Lucie Aubrac représente le Mouvement de libération nationale à l'Assemblée consultative. Ce message est : "Ils partiront dans l'ivresse".
Après la guerre, Lucie, qu'Emmanuel d'Astier de la Vigerie avait surnommé "Madame conscience" retourne à son métier d'enseignante. Elle a continué à transmettre, inlassablement, d'écoles primaires en universités, le flambeau de l'Histoire. L'Histoire qu'elle avait elle-même vécue, et sur le cours de laquelle elle a courageusement influé.

Sources : Lucie Aubrac, Ils partiront dans l'ivresse, Paris Le Seuil, Collection Points, 1984.

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