Me Laurent Bohé

Laurent Bohé, avocat à Lyon : "Sans police, on bascule dans l'anarchie"

Laurent Bohé est avocat au barreau de Lyon, spécialisé dans la défense des forces de l'ordre. Il revient pour Lyon Capitale sur les violences policières, le texte de loi “sécurité globale”, les journalistes, l'IGPN...

Lyon Capitale : Le sentiment de défiance à l'égard de la police ne cesse de grimper. Quelle est votre perception ?

Laurent Bohé : À mon sens, cette défiance est un peu exagérée par le prisme médiatique et celui des réseaux sociaux puisque les dernières enquêtes n'ont pas montré que l’opinion majoritaire de la population avait changé vis-à-vis de sa police depuis au moins les attentats de 2015. Les policiers ont encore et toujours le soutien de la majorité des Français. Mais il est effectivement vrai que les personnes qui s'opposent à la police sont plus visibles qu'elles ne l’étaient à une certaine époque. Il y a là une totale déformation par rapport à ce qu'est la réalité du terrain.

La France Insoumise est “en partie responsable (des violences policières) en stigmatisant les policiers à longueur de journée” expliquait récemment Frédéric Péchenard, ancien directeur général de la police nationale, aujourd’hui vice-président (LR) de la région Île-de-France. Partagez-vous son analyse ?

Évidemment, sur le plan politique, tout cela semble parfaitement instrumentalisé par certains partis, certains groupuscules ou mouvements, dans un sens ou dans un autre d'ailleurs. C'est d'autant plus étonnant que la police, les policiers, tout le monde en a besoin, que vous vous situiez à l'extrême droite ou l'extrême gauche de l'échiquier. Sans police, on bascule dans l'anarchie. Je vous avoue que je ne comprends pas cette stigmatisation permanente des policiers. C'est, selon moi, ni plus ni moins de l'affichage purement idéologique. Ce qui est évident, c'est que notre société, en quête de repères, est sans doute en apparence plus violente qu'elle ne l'était il y a quelques décennies. Il est aussi exact que les citoyens acceptent de moins en moins la violence, qu'elle qu'elle soit. Notre perception de la violence a changé au fil du temps. Ceci étant dit, c'est un peu angélique car la violence a toujours existé. La violence des policiers est légitime car c'est la seule violence dont on peut user pour contrecarrer les violences illégitimes. Notre perception est aussi différente à l’occasion de manifestations qui sont beaucoup plus violentes qu'elles ne l'ont jamais été. Samedi dernier à Lyon, il y a ainsi eu des jets de projectiles, comme il n'y en a jamais eu à Lyon, de mémoire de policiers en fonction : des "manifestants", en nombre, ont entièrement vidé des containers à verre pour attaquer les policiers. Ceux-là mêmes qui dénoncent la violence usent d'une violence particulièrement excessive.


Les violences policières sont parfaitement instrumentalisées par certains partis, certains groupuscules ou mouvements.


Cette même violence excessive a semble-t-il été utilisée contre le producteur de musique Michel Zecler, roué de coups par quatre policiers, que le Parquet de Paris a d’ailleurs mis en examen pour “violences volontaires par personne dépositaire de l'autorité publique”...

Les forces de l'ordre sont globalement épuisées par un certain nombre d'expositions assez constantes, car elles sont sur-employées, sur-utilisées depuis les attentats de 2015 de façon considérable. Il y a aussi un véritable problème interne lié à la considération de leur administration et aux instructions qui leur sont données. C'est quelque chose de relativement nouveau car il y a 10/15 ans, traditionnellement, lorsqu'un fait, quel qu'il soit, concernait un fonctionnaire de police, son commissaire, son directeur,  le ministre de l'Intérieur en personne, venaient le soutenir en attendant que la justice fasse son travail. Aujourd'hui, les hiérarchies ne jouent plus ce rôle. Elles insinuent immédiatement un doute sur le fonctionnement de leurs propres hommes. Cette perte de confiance apparente de la hiérarchie policière à l'égard des hommes et des femmes de terrain est ressentie très durement par ces derniers qui ont le sentiment de ne plus être soutenus, pire d'être mis en porte-à-faux par leurs supérieurs. Il conviendrait d'y réfléchir. Qu'on m'entende bien : mon propos n'est pas de dire qu’il faut couvrir en quoi que ce soit d’éventuelles fautes professionnelles. Non. J'ai une confiance absolue dans la justice et je sais au quotidien, lorsqu'il y a des fautes, quand le procureur de la République est saisi, à quel point les enquêtes sont extrêmement bien menées. Il s'agit de faire en sorte que chacun reste à sa place c'est-à-dire que la place d'un ministre est de soutenir ceux dont il a la charge avant de les mettre en accusation, sous la pression de la rue, et avant que la justice fasse son œuvre.


Il s'agit de méconnaissance absolue que de penser que l'IGPN doit être dissoute car elle servirait la soupe aux policiers.


Adrien Quattenens, député de la France Insoumise, proposait mardi 1er décembre, la dissolution de l'IGPN, “la polices des polices”. Est-ce la bonne solution ?

La dissolution, certainement pas. Parmi les services d’enquête, l'IGPN fait partie des services d'élite. En pratique les meilleurs policiers, sans critique ou jugement aucuns à l'égard des autres, sont appelés à servir un temps dans leur carrière au sein de l'IGPN. Le grand public doit comprendre que l'IGPN est un outil qui ne dessert aucunement l’enquête et la Justice. Bien au contraire, c'est un service qui fait plus que son travail bien souvent, les policiers eux même témoignant que l'IGPN fait même un peu de zèle contre eux. Se pose néanmoins le problème de savoir s'il est sain que des policiers enquêtent sur d'autres policiers. A certaines époques, pour les affaires relativement graves qui impliquaient les services de police, il était demandé à la Gendarmerie d'assurer l'enquête. Et inversement. Il serait peut-être sain de revenir à ce système, et loin de moi l'idée de retomber dans la “guerre des polices”, des combats d'arrière-garde qui n'existent plus. Mais il s'agit de méconnaissance absolue  que de penser que l'IGPN doit être dissoute car elle servirait la soupe aux policiers.

Comment la police peut-elle redorer son blason ?

La police ne redorera pas son blason avec des franges de la population qui, de toutes les façons, ne la supporte pas par principe (les délinquants) ou par idéologie et continueront à ne pas la supporter de quelque manière que ce soit. On ne parle pas de ces minorités-là qui estiment que la police est un problème en démocratie et pour la République. Donc ce ne sont pas ceux-là qu'il faut satisfaire. Malheureusement, ce sont aussi parfois ceux qui sont les plus visibles. Pour redorer son blason il faudrait sans doute que la police se dote d'outils de communication qui lui permettront d'expliciter son action, comme le parquet de la République et le parquet général commencent à le faire. Mon vœu premier reste néanmoins que l'on fasse plus confiance à la Justice. Cela passera par se détacher des pseudo-autorités de tous bords qui donnent des avis partiaux sur des choses qu'elles ne connaissent souvent pas. Une justice plus forte et mieux dotée doit être l'unique moyen de résoudre ces questions. Cela rendrait pour nos concitoyens les choses plus lisibles plutôt que de créer en-dehors de la justice des entités du type “défenseur des droits” dont les prises de positions vont parfois à l'encontre des décisions de justice.

La difficulté de la Justice, c'est qu'elle est une action de réflexion. Or, la réflexion demande nécessairement du temps et lorsqu'elle doit répondre à une actualité brûlante, elle ne peut y répondre qu'imparfaitement, par exemple par des placements en détention provisoire. Sont-ils toujours justifiés au regard des critères précis de la loi ? À ce propos, on n'a pas entendu certaines acteurs, habituellement très engagés dans la défense des droits de l'homme, se plaindre de la mise en détention provisoire de policiers alors que les critères exigés pour les enfermer sont les mêmes que pour tout autre citoyen.


Tout le monde ne peut qu'applaudir à l'interdiction de la diffusion d'images de policiers lorsque cette diffusion est faite dans un but malveillant.


En tant que défenseur des libertés, que pensez-vous de la loi sur la sécurité globale ?

Sur la loi elle-même, je pense qu'il y a de très bonnes choses. On a focalisé sur l'article 24, très mal rédigé. Il était inapplicable. Mais l'idée est bonne car tout le monde ne peut qu'applaudir à l'interdiction de la diffusion d'images de policiers lorsque cette diffusion est faite dans un but malveillant. D'ailleurs, je n'ai pas bien compris comment des journalistes pouvaient se sentir concernés par cet article, car cela supposerait que des journalistes pourraient diffuser des informations de manière malveillante, ce que je n'ose croire. Ce n'est, en tous les cas, pas l'idée que je me fais d'un journaliste qui doit diffuser une information avant de donner son propre avis. Il était donc légitime de légiférer sur ce point car il y a nécessité de protéger les policiers qui, eux même, nous protègent des violences illégitimes. Il faut en revanche rédiger cet article 24 différemment.

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