Des policiers protègent la statue de l’ancien premier ministre anglais Winston Churchill à Londres, lors d’une manifestation des Black Trans Lives Matter en juin 2020. Le monument avait auparavant été dégradé par un tag “Was a racist” @MaxPPP
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Théorie du genre, décolonialisme, cancel culture, woke : ces "dérives identitaires" qui cristallisent la gauche

Historienne de la psychanalyse, dont les travaux sur Sigmund Freud ont fait le tour du monde, élève de Deleuze, Élisabeth Roudinesco analyse, dans son dernier essai Soi-même comme un roi (éditions du Seuil), les "dérives identitaires" qui cristallisent la gauche. Et dont elle se préoccupe. Théorie du genre, décolonialisme, cancel culture, woke... Entretien.

Grande figure de la gauche morale, Elisabeth Roudinesco montre, dans un essai parfois abrasif, comment les identités ont éclipsé les engagements émancipateurs d’autrefois, opérant un repli sur soi, "autodestructeur pour la société dans son ensemble". @Luc Fachetti Lyon Capitale : Il y a d’abord eu la crise sanitaire, il y aura bientôt la crise économique. Il risque d’y avoir une crise politique. Assiste-t-on à une crise identitaire ? Élisabeth Roudinesco : Parfaitement. Cette crise identitaire est montée progressivement un peu partout dans le monde. Il y a celle de l’extrême droite, que je ne considère pas comme une dérive, parce que ressassant depuis toujours les mêmes discours, à quelques variantes près – terreur de l’altérité, hantise du “grand remplacement”, haine du présent, fétichisation d’un passé fantasmé. Et il y a celle, beaucoup plus minoritaire mais particulièrement retentissante, liée aux mouvements d’émancipation féministes et des minorités qui se sont tournés vers un repli identitaire et le rejet de l’autre. À quoi renvoie ce mot "identitaire" ? Il renvoie au fait que les engagements politiques, disons en faveur d’un changement du monde social, se sont effondrés après la chute du mur de Berlin. Face à l’échec du communisme, ces politiques identitaires, dont se réclament ces mouvements d’émancipation nés aux États-Unis, se sont éloignées de l’analyse marxiste pour se polariser sur des revendications plus personnelles. D’autant qu’il y avait lieu : il fallait alors mener une bataille contre le racisme, en faveur des femmes. Les mouvements de gauche liés aux politiques identitaires sont en quête d’un nouveau modèle de société respectueuse des différences, soucieuse d’égalité, de bien-être et du care. Écologistes et favorables à la cause des plus faibles, à la protection de la nature, des minorités opprimées, ces mouvements souvent généreux voudraient "réparer" le monde et, à cette fin, dénoncent les injustices, les guerres coloniales et le racisme, ce qui est très bien. Mais, par un retournement progressif, certains d’entre eux se sont mis à être les avocats d’un narcissisme des petites différences, au point de s’enfermer dans la logique mortifère du caméléon.

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